Plus facile d’en rire que de l’étudier !

Pas facile non plus de trouver à quoi fait allusion ce titre ! Vous avez deviné ? Non pas au rire qui en est une manifestation concrète d’ailleurs, mais plutôt à l’humour !

Humour, humour, quand tu nous tiens, on peut dire : Bonjour humanité !

Je pensais justement à cette citation de Ionesco[1] : « là où il n’y a pas d’humour, il n’y a pas d’humanité! », et me suis rendue compte que l’humour était une chose proprement humaine. A première vue, seul l’Homme accède à l’humour et encore… !

Trêve de plaisanterie, on ne badine pas avec l’humour !

L’humour est inhérent à toutes les sociétés certes, mais il varie énormément d’une culture à une autre (à tel point qu’on a pu parler spécifiquement d’humour anglais, humour juif, etc), voire d’une personne à l’autre (nous ne naissons pas tous égaux face à ce domaine – qui n’en a pas d’ailleurs, un jour fait les frais!…).

Tout homme rit et fait rire autrui, le rire est paraît-il le propre de l’homme!

Cependant, n’a pas le sens de l’humour qui veut !
L’humour s’apprend et se cultive aussi…

L’humour est devenu, ces dernières décennies, un univers à lui seul: avec ses formes (absurde, blague, caricature…), ses variantes culturelles (humour anglais, humour juif, blague belge…), ses métiers (humoriste, clown, imitateur…), ses médias (livres humoristiques, presse humoristique…), ses organisations (école nationale de l’humour, académie de l’humour…), ses fêtes/festivals (poisson d’Avril, juste pour rire…), ses recherches (gélotologie, association pour le développement des recherches sur le comique, le rire et l’humour…).

Il est partout: dans la rue, dans la publicité, dans le petit et grand écran, au bureau…

Mais qu’est-ce que tout cela signifie ? Comment comprendre cette omniprésence de l’humour, et donc du rire, dans notre société ?

On ne rit pas tous de la même chose. Pourtant, tout le monde semble avoir besoin de rire, mais pourquoi ?

A force de trop banaliser le rire comme étant « normal », ne prenons-nous pas le risque de passer à côté d’une manifestation lourde de sens ?

Si le rire est si propre à l’être humain, n’est-ce pas justement parce qu’il relève de processus essentiels de la psyché ? Tout ce qui est essentiel  mérite d’autant plus qu’on s’y attarde en psychologie.

Définir l’humour

Peut-être devrais-je commencer par définir l’humour. Or celui-ci se prête difficilement à cet exercice.

On pourrait s’empresser de dire qu’il s’agit d’une forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité, de sa réalité…

Quand je note le sens de l’humour aiguisé et le sens de la répartie aiguë de certains, je ne manque pas de voir en l’humour une arme redoutable ou à contrario un puissant bouclier…
Nous sommes, là, bien loin de la joie à laquelle l’humour se rattache habituellement.
Dans ce cas, il va être question d’humour jaune, un rire donc forcé, amer : un rire de détresse.

L’humour est polychrome car il peut être aussi noir, il sera alors question d’ironie, de sarcasme.

Il revêt également à certaines occasions un aspect plus tendre : le comique de geste, de répétition, de situation, de mots, le quiproquo, le sous-entendu complice, la parodie, la farce etc.

Une chose est sûre, l’humour se manifeste de différentes façons et est un réel mode de communication. Mais alors qu’est-ce qu’il peut bien exprimer ?

Les facettes de l’humour

Il permet de libérer des tensions. Je vous renvoie toutes et tous à l’état dans lequel vous vous trouvez après avoir bien ri !
En pareilles circonstances, nous sommes proches de l’hilarité voire de la « transe humoristique » (rire à s’en éclater les boyaux!)
A ce sujet, je schématiserai les effets de l’humour sur un graduel allant du simple sourire de connivence à la franche hilarité, en passant par le (sou)rire plaisant et, bien-sûr, le rire.

L’humour permet également de prendre de la distance par rapport aux problèmes: la dédramatisation. L’humour, dans ce cas, va consister à repérer, à relever les éléments cocasses de la situation.
Dans les conjonctures les plus dramatiques, il y a toujours une ou plusieurs personnes pour trouver le « bon mot » pour faire rire…

A quoi servirait l’humour aux humoristes s’il ne permettait pas de dénoncer une certaine réalité, voire des vérités ?

A ce propos, je citerai Doris Lussier[2], pour qui, « lorsque la vérité n’ose pas aller toute nue, la robe qui l’habille le mieux, c’est l’humour ».
L’humour est une façon socialement acceptable d’exprimer son désaccord, voire son hostilité, tout en sachant qu’il y a des limites et qu’il faut savoir s’arrêter, ce qui n’est pas toujours facile !
L’humoriste est un équilibriste, un faux pas et il tombe dans la trappe de la moquerie, à son tour!

Et enfin, le dernier mais non des moindres, peut-être la forme suprême de l’humour, à mon sens, serait l’humour qui permet à l’homme, par le décalage et l’absurde, de prendre conscience lui-même de ses dérèglements, de ses travers, de ses gaffes.

L’humour serait, dans ce cas de figure, cette loupe qui grossirait ses propres traits. Cet instrument qui permettrait de se moquer de soi-même, en somme l’autodérision, cette mise à distance de soi.

Savoir rire de soi-même, c’est déjà une façon de reconnaître ses erreurs, ses défauts, ses manies, ses imperfections et surtout, de les accepter.
Savoir se regarder avec humour permet d’éviter de se prendre au sérieux et protège donc de l’arrogance!

« Bienheureux ceux qui savent rire d’eux-mêmes, ils n’ont pas fini de s’amuser! » (Anonyme).

L’humour, un mécanisme de défense

On peut s’interroger sur ce que signifie rire de soi et être la cible de son propre rire.

Une chose est sûre: c’est lorsque l’humour est appliqué à soi-même que l’on peut parler de mécanisme de défense. D’ailleurs pour la psychanalyse, l’humour est le plus grand des mécanismes de défense.

J’entends d’ici vos interrogations: un méca, quoi?!

Oui, vous avez bien lu, un mécanisme de défense, c’est-à-dire pour faire bref un anticorps à la douleur.

Autrement dit, un moyen par lequel l’inconscient aide une personne à faire face à une situation anxiogène ou à un traumatisme, que la conscience n’est pas en mesure de résoudre à elle seule.

Les mécanismes de défense sont universels, normaux, inconscients et involontaires. Nous en avons tous, et nous ne pourrions probablement pas faire face aux vicissitudes de la vie sans eux.

Ils servent à protéger la conscience d’une émotion douloureuse ou inacceptable et ont pour objectif la réduction des tensions psychiques. Un certains nombre d’entre eux sont utilisés de façon permanente et banale.

Quel lien, me direz-vous, avec l’humour ?

L’humour est justement un de ces nombreux mécanismes de défense que nous possédons tous. L’humour peut ainsi aussi servir à dégager les aspects plaisants, ironiques, insolites d’une situation vécue comme traumatisante afin de faciliter son intégration dans son propre psychisme.

C’est en cela qu’il peut être perçu comme étant un mécanisme de défense : il nous défend des attaques extérieures que nous arrivons difficilement (de manière inconsciente) à intégrer.

En effet, l’humour lorsqu’il est appliqué à un sujet, à une situation pénible, peut aboutir à un renversement de l’effet. L’humour peut être considéré comme une ressource et une variable intermédiaire, un régulateur de tensions, de stress : en somme, c’est une stratégie d’adaptation positive.

Un exemple d’humour, emprunté à Freud, illustrant cette fonction de  mécanisme de défense donc pour s’auto-apaiser face à une situation stressante, celui d’un condamné à mort qui monte sur l’échafaud un lundi en déclarant : «  La semaine commence bien ! ».  Il ne le dit pas d’abord pour être entendu mais pour lui-même, pour que même face à la pire des situations, il puisse se dégager de son stress…

L’humour, c’est cette capacité qui, dans les pires situations, tente avec assez de force de se faire rire soi-même de soi-même, des malheurs qui nous arrivent.

Autre exemple, plus proche de l’autodérision : « Je suis intelligent et beau. J’ai de l’esprit et je suis tolérant. Mais, par-dessus tout, je suis modeste ».

Celui-ci émet un propos qui, parce qu’il n’est pas parfaitement cohérent, signale du même coup l’autodérision sous-jacente. Ainsi, mettre en avant ses qualités n’est pas compatible avec la modestie signalée dans la chute de l’histoire.

Cependant, rire de soi est assez rare en public, car en société il est de mise de faire bonne figure, voire de montrer qu’on accepte assez bien la plaisanterie, au risque d’être pris pour quelqu’un qui manque cruellement d’humour, un rabat-joie.

A ce propos, saviez-vous que dans certaines cultures, il existe une parenté que l’on appelle « parenté à  plaisanterie » qui autorise et parfois même oblige, des membres d’une même famille (tels que des cousins éloignés), ou des membres de certaines ethnies entre elles, à s’insulter, se moquer les uns des autres et ce, sans conséquence. Ces affrontements verbaux étant en réalité des moyens de décrispation sociale.

On peut aussi y voir un mécanisme de défense sociale qui consiste à produire cette dérision de manière contrôlée pour éviter que d’autres ne s’en chargent, de manière moins élégante et plus blessante…

Même si l’humour peut être compris comme une défense, il ne doit pas être réduit à cette fonction de mécanisme de défense.

Tout ceci prouve la grande richesse des significations et des implications de l’humour.

D’ailleurs, plutôt que d’utiliser le terme « humour », celui de « processus humoristique » me semble plus approprié.

Ce n’est pas qu’une simple subtilité de langage. En fait, l’emploi de ce terme revient à Jean-Luc Donnet[3] qui compare l’humour à un chemin  « Le chemin  du processus humoristique parcourt l’espace qui va de l’assise narcissique primaire à une objectalité maintenue, à une butée d’altérité ».

En d’autres termes, le terme même de « processus » induit l’idée de quelque chose qui ne reste pas figé, qui évolue d’un point à un autre, qui peut tout aussi bien aller en avant que revenir en arrière. Ce mouvement de va et vient rendrait compte d’un subtil jeu entre un retour sur soi et un mouvement vers l’autre.

Encore l’Autre ? Qu’est-ce qu’il vient faire là, celui-là!…

Le processus humoristique tendrait vers l’autre, l’autre en nous, l’autre à côté de nous, l’Autre dans toute sa splendeur…

La phrase d’Ionesco prend alors tout son sens : « là où il n’y a pas d’HUMOUR, il n’y a pas d’HUMANITE »…

Je vous avais prévenus: plus facile d’en rire que de l’étudier !


[1] Eugène Ionesco : dramaturge, écrivain français

[2] Doris Lussier : humoriste québécois

[3] Luc Donnet : psychanalyste français

Un commentaire

  1. Merci beaucoup pour cet article. Très belle analyse, belle réflexion concernant l’Humour. Je ne m’attendais à voir l’Humour comme un mécanisme de défense. Tout compte fait l’humour, le rire est un bienfait en soi. Est certes malheureux, celui qui n’a pas d’humour!

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