Vers une pensée musulmane

Qu’appelle-t-on une pensée musulmane aujourd’hui ? Est-ce une pensée qui cherche à défendre l’intérêt des musulmans en tant que groupe ethnique ou culturel? Est-ce une quelconque lecture des textes génératrice d’idées et de débats autour de l’islam ? Est-ce la production intellectuelle de tout musulman instruit ?

Définir et produire une pensée musulmane ne peut se faire à l’écart du principe fondamental de l’Islam qui est la soumission à Dieu l’Unique.

Soumissions

La soumission à Dieu concerne l’intégralité de l’être humain, à savoir, les aspects gestuel, intellectuel et spirituel. La reconquête de soi en vue de parachever sa soumission à Dieu sur ces trois niveaux s’annonce laborieuse. Ce n’est pas un pessimisme de la part de l’auteur, mais bel et bien une vérité énoncée dans le Coran. L’allusion est faite à la sourate « la Cité » où Dieu Tout Puissant incite l’Homme à s’engager dans une montée pénible assimilée à l’effort que doit faire l’être humain pour se surmonter en vue de parachever son être et se rapprocher de son Seigneur.

Le plus abordable, et encore, est la soumission des sens et des gestes. Celle-ci consiste à ne pas porter atteinte à autrui physiquement ou verbalement , ne pas médire, ne pas assouvir son regard à droite et à gauche, effectuer correctement ses ablutions, sa prière, son jeûne … etc. Ce sont autant de gestes concrets et d’actes volontaires tangibles et quantifiables.

Le plus subtil est la soumission de l’être profond. Voir ses désirs et ses passions conformes à la Révélation, être en perpétuelle soumission à Dieu dans toutes les circonstances, être présent à Dieu et se soumettre à Lui comme si on Le voyait, voilà un projet qui mérite et qui demande l’investissement de toute une vie.

Le Prophète de Dieu, bénédictions et saluts sur sa noble personne ainsi que sur sa famille et ses compagnons, vivait une présence permanente à Dieu selon un témoignage de son épouse Aïcha.

Sur un niveau intermédiaire entre le coeur et l’action, se situe le défi d’élaborer une pensée musulmane fondée sur une perception coranique et prophétique de l’Homme et de l’univers. Cette élaboration consiste d’abord en une révision de l’esprit musulman en vue de s’assurer de son islamité. La réussite de cette entreprise est nécessaire pour une élévation générale de la soumission gestuelle vers la soumission de l’être.

Un sens pour la raison

En effet, le rôle de la raison dans l’ascension spirituelle selon le modèle prophétique est indéniable. La preuve toute simple en est que la raison est le point d’attache de toute responsabilité (al-‘Aqlou Manâtu t-Taklîf). Sans elle, on n’est plus concerné par le message coranique.

Par ailleurs, les invitations à la méditation (Tafakkour) et au Savoir se multiplient dans le Coran.

Néanmoins, une raison utile est celle qui investit pour avancer vers la complétude spirituelle. A défaut d’une telle condition, la raison humaine se trouve dépourvue de son essence ; et l’Homme, réduit à sa nature bestiale.

Des concepts clés en main

Le musulman se trouve aujourd’hui, après plusieurs siècles de « retraite », devant une pensée « prête à porter » véhiculée par des « concepts préconçus » et de forte tonalité. Droit de l’Homme, justice, développement, liberté, …etc.

Le musulman s’en sert pour construire « son » discours. Un discours qui ne manque pas d’inscrire ces concepts dans un cadre islamique : L’islam a instauré les droits de l’Homme, les libertés, … quatorze siècles auparavant, versets coraniques à l’appui.

Or, lorsqu’on aborde ces concepts tels qu’ils sont établis, on remarque qu’ils s’intéressent exclusivement à la vie sur terre. Ainsi les droits de l’Homme ne tiennent guère  compte de son droit à une Vie future « digne ». La justice lui assure une équité fondée sur une version terrienne de son existence. La liberté gère la volonté d’agir et de s’exprimé d’un Homme destiné au néant. L’économie tente de réaliser un bien être terrestre qui s’achève au seuil de la mort…

…et en la Vie future

La foi en la vie future est étroitement liée à la foi en Dieu dans les textes coraniques et prophétiques.

On ne peut prétendre à une pensée musulmane authentique en maniant des notions coupées de la vie future. On risque ainsi d’amputer le Message coranique de son apport le plus essentiel: la Grande Nouvelle du retour vers Dieu.

C’est donc se retrouver avec une raison handicapée que d’analyser à l’aide de notions fondées sur une perception tronquée de l’Homme, sachant que notre existence s’étend sur deux demeures liées par la mort.

Aujourd’hui, en dépit de la bonne intention qu’ils peuvent avoir, les musulmans tendent à réfléchir et analyser selon un mode plutôt matérialiste. Ils adoptent, tels qu’ils sont, les concepts qui leurs sont offerts pas la pensée dominante. Ainsi, ils mesurent le bien-être par le pouvoir d’achat, la noblesse par le rang social, le savoir par la quantité de connaissances, et la gravité des choses selon des critères physiques et financiers. Le perdant est celui qui a fait faillite, le doué d’intelligence est celui qui excelle dans la ruse, le plus fort est celui qui écrase tout le monde, le danger est qu’on soit touché dans son corps ou dans sa poche.

Alors que …

La vie ici bas n’est qu’un petit bien éphémère et la demeure dernière est meilleure et éternelle.

Le bien-être est celui du paradis auprès du Seigneur du Paradis.

La noblesse se mesure par la piété.

Le Savoir est d’abord de craindre Dieu et se rendre conscient de la vérité du retour vers Lui.

Le perdant est celui qui est venu le jour dernier avec des oeuvres entassées comme des montagnes mais qui, à coté, à perpétré du mal envers autrui. Chacune de ses victimes prend de ses bonnes oeuvres puis une fois épuisées, il porte de leurs pêchés puis est jeté en Enfer.

L’intelligent est celui qui se remet en cause et oeuvre pour sa demeure dernière.

Le plus fort est celui qui se maîtrise dans sa colère.

La pire des atteintes est d’être touché dans son coeur, foyer de sa foi, et de risquer l’Enfer.

Malheureusement, loin du champ intellectuel,  les récits prophétiques qui instaure un mode de pensée tourné vers la vie dernière ne sont là que pour les exhortations (Maw’idha). J’en cite un exemple dernier :

De retour chez lui le soir du jour d’Aïd al-Adhâ (fête du mouton), le Prophète demanda à Aïcha, puisse Dieu l’agréer, ce qu’il en fut de leur mouton. Aïcha répondit: «A part le gigot, il n’en reste plus.» En effet, Aïcha avait tout donné aux pauvres et ne lui restait que le gigot. Alors le Prophète dit : «Aïcha ! dis plutôt que tout est resté (pour la vie future) sauf le gigot (que nous allons manger).»

Des notions à ma taille

Soumettre ma raison à Dieu revient de ce point de vue à réfléchir, analyser et projeter comme un être qui va vivre pour toujours. Une partie de ma vie se passe sur terre et l’autre, plus longue, dans ma demeure dernière. Ma vie sur terre est d’autant plus importante que mon devenir en dépend.

Le travail de reconquête au niveau de la raison est colossal. A part l’effort intellectuel qui doit se dispenser de tout prêt-à-porter précuit, une présence assidue à Dieu est indispensable. Le générateur d’une pensée présente à Dieu est d’abord un coeur imprégné de vigilance et d’attention envers son Seigneur.

C’est un chantier qui s’ouvre et qui offre du « Travail » à tout le monde. Toutes les notions doivent être retaillées à la mesure de notre longue vie.

 

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