La prière, creuset des qualités morales du croyant

La prière, second pilier de l’Islam après l’attestation de foi, représentait pour le Prophète, paix et salut sur lui « la prunelle de ses yeux » Nous tenterons dans cet article de montrer deux choses. Tout d’abord le fait que la prière est l’occasion que donne Dieu au musulman de s’élever moralement, et donc d’accéder au degré du croyant. Et la deuxième, le lien entre la prière et les qualités morales du croyant (appelées aussi vertus), lien sans lequel cette fonction éducative de la prière ne serait pas possible.

 

L’Islam, une voie vers l’élévation

Avant d’avancer dans mon propos, je voudrais rappeler un élément important, nécessaire à notre démonstration. Celui-ci nous est rapporté dans le hadith de Gabriel. Chacun se souvient de ce hadith dans lequel l’ange Gabriel interroge le Prophète, paix et salut sur lui, sur l’Islam, l’imân et l’ihssâne. De ce hadith d’une extrême importance, on apprend que la religion est constituée de trois niveaux, trois degrés. Et qu’à chacun de ces degrés correspond un état spirituel : au degré de l’Islam correspond l’état de soumission aux piliers de l’Islam, au degré de l’imân, l’état du croyant et donc des qualités morales qui le caractérisent, et au degré de l’ihssâne, l’état de perfection morale, d’excellence spirituelle et de connaissance de Dieu. Ces trois principaux états sont ceux du muslim (le musulman), du mu’mîn (le croyant) et enfin du muhssîne.

Tous sont musulmans au sens de l’appartenance à l’Islam, mais tous ne sont pas au même niveau de proximité avec Dieu, d’obéissance, en un mot de piété. Ces trois niveaux nous indiquent donc la possibilité d’une élévation, d’une progression sur « la pente ascendante » dont nous parle Dieu dans la sourate La Cité. Cette élévation consiste en un passage du niveau de l’Islam, à  celui de l’imân et enfin à celui de l’ihssâne. Cette réalité du cheminement vers Dieu en Islam est confirmée par le verset 14 de la sourate LES APPARTEMENTS : « Les Bédouins ont dit : “Nous avons la foi”. Dis : “Vous n’avez pas encore la foi. Dites plutôt : Nous nous sommes simplement soumis, car la foi n’a pas encore pénétré dans vos cœurs. ». Une autre preuve confirme cette distinction. Il s’agit du hadith dans lequel le Prophète, paix et salut sur lui, dit « L’Islam est apparent et la foi est dans le cœur ». Comme on le voit par ce dernier hadith, celui de Gabriel que nous avons cité plus haut, et le verset tiré de la sourate LES APPARTEMENTS, la simple mise en œuvre des cinq piliers de l’Islam, ne donne pas automatiquement le statut de croyant. Être croyant est une affaire qui trouve source et sa réalité dans le cœur. Or le cœur est, outre le siège de la connaissance de Dieu, il est aussi le siège des qualités morales, des vertus.

Ceci dit, nous pouvons, maintenant, revenir à notre sujet principal, le lien entre la prière et les qualités morales. C’est, en effet, par ce lien, comme nous allons le voir, que la prière joue son rôle d’élévation et qu’elle permet de passer du niveau de la simple soumission au niveau de la foi participative, engagée, combative qui est la caractéristique du croyant. Mais nous verrons aussi qu’il y a une condition essentielle pour que la prière puisse être la clef de l’élévation spirituelle.

La prière et sa fonction éducative

Ce lien entre la prière et les vertus morales est affirmé indirectement dans le verset 45 de la sourate l’ARAIGNEE : « Et accomplis la prière. Certes la prière réfrène l’infâme et le blâmable ». De nombreux hadiths confirment ce caractère éducatif et purificateur de la prière. Nous n’en citerons qu’un seul. Selon Jabar, le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, a dit : « L’image des cinq prières est celle d’une rivière qui coule en abondance devant la porte de l’un de vous et où il se lave cinq fois par jour ».

Dans le verset cité plus haut, Dieu nous dit donc que la prière détourne de l’infâme : al-faHshâ’. Al-faHshâ’ est un terme général qui désigne toute turpitude, morale, sexuelle, corporelle. Ibn Kathîr dans son exégèse, donne pour explication de ce verset ce qu’en a dit le Prophète, paix et salut sur lui : « N’a pas de prière celui dont la prière ne lui proscrit pas l’infâme et le blâmable ». Ce hadith du Prophète, paix et salut sur lui, nous indique une chose extrêmement importante et dont nous allons parler plus loin. La prière a un but et si ce but n’est pas atteint c’est qu’il manque quelque chose à la prière effectuée.

Puis dans le verset Dieu nous dit que la prière réfrène aussi le blâmable al-munkâr. Nous avons traduit ce terme coranique par le mot français le plus couramment utilisé pour cette traduction : le blâmable. Cette traduction est en partie correcte mais ne donne pas le sens plein du mot arabe. Al-munkar, c’est tout ce qui est méconnu de la morale commune, du bon sens, ce qui est désapprouvé, nié, rejeté spontanément par l’innéité, al-fitra ; c’est ce qui déplait au cœur, à la conscience du croyant.

Pour résumer, on pourrait dire que Al-FaHshâ renvoie à la Charia et à la distinction entre le licite et l’illicite, et que al-Munkar renvoie à la « charia du cœur », à la distinction entre le bien et le mal, que tout cœur non-corrompu connaît.

La prière, donc, nous éloigne de l’illicite et de ce qui est communément perçu comme mauvais. Or, si la prière a cet effet sur le cœur et le comportement du musulman de réfréner le mal, nul doute qu’elle a, pour effet inverse, de purifier le cœur et d’y faire croître ces qualités morales qui font choisir le licite et aimer le bien. Elle a donc bien un effet « élévateur ». Ce qui est d’ailleurs confirmé étymologiquement. En effet, lorsque Dieu invite les musulmans à prier, il utilise le verbe aqimû Salâta. Ce verbe provient de la racine Qa-Wa-Ma qui renvoie, notamment, aux notions suivantes : se lever, se dresser et se tenir debout, s’élever. Faire la prière c’est donc effectivement élever la prière, l’ériger, et, ce faisant, s’élever… Quant au terme Salât, il estissu de la racine Sa-La-Wa qui a, entre autres significations, celle d’effectuer la liaison, faire le lien, atteindre…. La prière nous sort donc de l’insouciance du cœur pour nous élever à la présence à Dieu, ce qui est une des caractéristiques morales du croyant. La prière élève car elle éloigne du mal.

La force de la prière

La prière éloigne du mal de par ses caractéristiques propres. Le fait qu’elle doit être priée cinq fois par jour et aux heures prescrites. Dieu dit : « Observez avec assiduité les prières»[1] L’assiduité est, en effet, une condition essentielle pour que la prière produise ses effets de purification et d’amélioration. Prenons pour exemple un grand péché comme la consommation d’alcool. Nous savons que son interdiction s’est faite en trois étapes. Au début, Dieu, dans un premier verset, la qualifie de grave péché, mais renfermant certains avantages. Puis dans un second verset, et c’est celui qui nous intéresse ici, Dieu dit : «  Ô les croyants ! N’approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres, attendez de savoir ce que vous dites »[2]. Il va de soi que pour celui qui prie de manière assidue ses cinq prières quotidiennes et aux heures prescrites, la consommation d’alcool devient quasiment impossible, s’il veut respecter le commandement de Dieu : « N’approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres ».

Ce principe est valable pour tous les autres péchés ainsi que pour tout ce qui nous distrait. La prière à l’heure, cinq fois par jour, est un rempart contre les mauvaises habitudes, les comportements répréhensibles mais aussi l’insouciance, la négligence envers Dieu, envers les autres… La prière à l’heure, et à la mosquée, nous freine, nous arrête si nous sommes engagés sur une mauvaise voie.

L’efficacité de la prière réside dans l’humilité du fidèle

Ceci dit, l’expérience montre que parfois prier ne suffit pas. Certains diront : je prie mais je continue à commettre des péchés… Pourquoi ? Nous arrivons là à cette condition qui fait que sans elle la prière ne peut produire son effet éducatif. Rappelons-nous du hadith du Prophète, paix et salur sur lui : « N’a pas de prière celui dont la prière ne lui proscrit pas l’infâme et le blâmable ». Quelque chose, donc, manque dans la prière de celui dont la prière ne lui proscrit pas l’infâme et le blâmable. Ce quelque chose Dieu nous en parle dans la sourate Al-A’araf, au verset 221 : « Et ne soyez pas des inattentifs ». Le Prophète, paix et salur sur lu,i a dit : « Celui qui prie et s’agenouille deux fois sans penser à quoi que ce soit de ce monde, ses péchés antérieurs lui seront remis ». La condition de la remise des péchés et donc  de la purification c’est donc le recueillement, la concentration. Dans son livre « De la revivification des sciences de la religion », al-Ghazali cite ce propos du Prophète, paix et salur sur lui: «  La prière est humilité, soumission, lamentation et remords. Tu lèves les bras et tu dis : Oh mon Dieu ! O mon Dieu ! Celui qui ne fait pas cela, sa prière est un accouchement prématuré ».

Si nous voulons donc que la prière nous élève par l’éloignement des péchés et l’acquisition des vertus morales du croyant nous devons donc demander à Dieu la concentration, le recueillement, al-Khuchu, dans la prière. En effet, comment espérer que la prière nous éduque, aie un impact sur notre cœur si nous ne laissons pas la parole de Dieu nous atteindre, si nous n’écoutons pas ce que nous récitons ou ce que récite l’imam ? Comment pourrons-nous glorifier Dieu si nous pensons à autre chose ? Si notre pensée est occupée ailleurs, nous manquons d’office le but de la prière qui est l’invocation de Dieu. Ne dit-Il pas : « Et célèbre la prière pour mon invocation »[3]. Or quelles sont les mérites de l’invocation, du Dhikr ? Ils sont bien connus : purification du cœur et surtout renouvellement de la foi.

Ainsi la boucle est bouclée. Sans concentration, il ne peut y avoir d’invocation au sens complet du terme et sans invocation accomplie, pas ou peu de renouvellement de la foi, et sans foi, on ne peut espérer acquérir les qualités, les vertus morales du croyant et donc accéder au degré de la foi.

Les vertus morales du croyant

Mais quelles sont ces vertus ? C’est ce que nous allons voir succinctement ainsi que le lien qu’elles ont avec la prière. On peut classer les vertus du croyant en dix grandes catégories : l’amour en Dieu, en Son Messager et l’amour de ceux qui aiment Dieu et Son Messager, la présence à Dieu ou la pratique de Son rappel, la véracité, le don, le savoir, le fait de faire bonne œuvre (travailler, être juste, se recommander la Vérité…), le fait de témoigner pour Dieu (propreté, purification, pudeur, joie, assiduité à la mosquée), la maîtrise (patience,…), la volonté de cheminer (être économe, être incorruptible) le sens du combat pour Dieu (courage, volonté…)[4].

Nous n’allons pas aborder toutes les vertus du croyant. Il nous manquerait le temps pour le faire. Je vais seulement indiquer le lien qu’il y a entre la prière et quelques qualités morales. Nous verrons la patience qui est liée à la maitrise de soi et la pudeur qui est liée au fait de témoigner pour Dieu[5].

Dans le Coran, Dieu lie à plusieurs reprises la prière à la patience, as-Sabr. Je citerai notamment le verset 132 de la Sourate TAHA : « Ordonne la prière à ta famille et persévère toi-même dans la prière » et le verset 45 de la sourate LA GENISSE : « Demandez l’aide de la patience et de la prière : c’est vraiment pénible sauf pour les humbles ». La prière et la patience vont donc de pair. Pour mieux comprendre cela, il faut rappeler que le terme coranique As-Sabr veut dire, certes, patience, mais aussi persévérance, endurance. Il s’agit ici de la persévérance dans l’accomplissement de nos obligations envers Dieu. Cette persévérance est une clef éducative pour acquérir la persévérance dans la résistance à la désobéissance, la résistance aux tentations. Or as-Sabr est, par excellence, une qualité du croyant que l’on retrouve citée dans la sourate LE TEMPS : « Par le Temps ! L’homme certes est en perdition, sauf ceux qui croient et accomplissent les bonnes œuvres, s’enjoignent mutuellement la vérité et s’enjoignent mutuellement l’endurance ».

La prière va aussi de pair avec la pudeur. En effet, parmi les conditions de validité de la prière il y a le fait que le musulman qui prie doit être vêtu de manière pudique : l’homme doit voiler, au minimum, la partie de son corps qui va du nombril aux genoux et la femme tout le corps à l’exception du visage et des mains. La pudeur c’est aussi le respect envers Dieu par la recherche de la beauté, c’est la raison pour laquelle Dieu : « Revêtez-vous de vos beaux habits chaque fois que vous vous rendez à la mosquée »[6]. Mais la pudeur, c’est aussi la propreté. Or la propreté est une des conditions de validité de la prière puisque le corps, les vêtements et le lieu de la prière doivent être nettoyés. Le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « Dieu n’accepte jamais une prière sans purification ». La prière est donc l’occasion d’une éducation à la pudeur. Or, comme l’a dit le Prophète, apix et salut sur lui, « La pudeur et la foi vont de pair. Si l’une est enlevée, l’autre l’est aussi ». Encore une fois nous voyons comment la prière élève le musulman au rang du croyant en lui en faisant acquérir les qualités.

Il en va de même pour de nombreuses autres vertus, dont la reconnaissance (ac-Chukr), Dieu nous dit en effet : « Remerciez Dieu pour Ses bienfaits, si c’est Lui que vous adorez »[7] ; l’amour en Dieu (rappelons à ce sujet les mérites de la prière en groupe), l’humilité : « Ils ont prospéré les croyants, ceux qui dans leurs prières sont humbles »[8]. La prière est donc bien la clef pour le grade supérieur des croyants. Et elle est aussi la clef pour la perfection, l’ihssane, qui est la proximité de Dieu. C’est pour cette raison que Dieu a dit : « Prosterne-toi et sois proche »

Nous terminerons cet exposé en rappelant que toutes ces vertus sont les qualités des pieux (al-mouttaqîne) et que ceux-ci sont toujours associés à la prière. La piété (at-Taqwa) étant le concept coranique qui englobe toutes les qualités du croyant. Dieu nous dit, en effet, dans les premiers versets de la sourate LA GENISSE : « Alif, Lam, Mim. C’est le Livre au sujet duquel il n’y a aucun doute, c’est un guide pour les pieux qui croient à l’invisible et accomplissent la prière »

 


[1] Sourate LA GENISSE, verset 238.

[2] Sourate LES FEMMES, verset 43.

[3] ourate TaHa, verset 14 

[4] On trouvera dans le livre de l’Imâm Abdessalam Yassine « La révolution à l’heure de l’Islam » un développement complet de ces dix catégories de vertus.

[5] Suivant le classement effectué par l’Imâm Abdessalam Yassine dans son livre cité dans la note 1.

[6] Sourate LES REDANS au verset 31 

[7] Sourate LA GENISSE, verset 172

[8] Sourate LES CROYANTS, versets 1-2

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