Cet Homme est le miracle

« Pour l’Occidental, et sans doute pour la plupart des non-musulmans, le Christ et le Bouddha représentent des perfections immédiatement intelligibles et convaincantes (…) ; par contre, le Prophète de l’Islam paraît complexe et inégal et ne s’impose guère comme un symbole en dehors de son univers traditionnel », c’est ainsi que Frithjof Schuon commence le chapitre consacré au Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, dans son livre « Comprendre l’Islam ».

 A l’occasion du mois de la naissance du Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, nous voudrions citer un récit que Bayhaqui, et d’autres auteurs ont relaté, afin de contribuer à mieux faire connaître le Prophète Mohammad, paix et salut de Dieu sur lui, que Dieu a qualifié, dans le Livre Saint, de « miséricorde pour les univers »[1] :

Quand le Messager de Dieu, paix et salut de Dieu sur lui, a émigré de la Mecque à Médine avec Abou Bakr, ‘Amir b. Fuhayra (le domestique d’Abou Bakr) et leur guide ‘Abdullah b. Urayqiz al-Laythi, ils passèrent par la tente de Oum Ma’bad ‘Atika bint Khalid al-Khuza’iyya, une vieille femme qui avait l’habitude de rester assise dans le campement pour nourrir et abreuver les gens de passage. Ils lui demandèrent si elle avait quelque nourriture ou du lait qu’ils auraient pu lui acheter, mais elle n’en avait point. Elle leur dit : « Par Dieu, si nous avions la moindre chose, nous ne vous laisserions pas dans la demande, mais notre peuple vient de passer une année difficile ».

Le Messager de Dieu, paix et salut de Dieu sur lui, vit une brebis qui venait d’apparaître d’un des côtés de sa tente. Il dit : « Qu’est-ce que cette brebis, Oum Ma’bad ? ». « C’est une brebis que la fatigue a empêché de rejoindre les autres, répondit-elle. « A-t-elle du lait, demanda le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui ? » Elle répondit : « Elle est trop faible pour cela… ». Il demanda : « Me permettrais-tu de la traire ? ». Elle répondit : « Si elle peut être traite, trais-la » (et d’après une autre version : « Oui, que mon père et ma mère soient sacrifiés pour toi, si tu as le sentiment qu’elle peut être traite, alors trais-la »). Le Messager de Dieu appela la brebis, passa ses mains sur elle puis sur ses mamelles (selon une autre version : « sur son dos »), mentionna le Nom de Dieu et demanda un seau dont la contenance pouvait satisfaire toute la compagnie jusqu’au soir. La brebis écarta ses pattes et donna de son lait en abondance jusqu’à ce que le seau fût plein.

Le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, donna à boire à Oum Ma’bad et à ses compagnons, et ils burent jusqu’à ce qu’ils furent satisfaits ; alors, le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, but à son tour, après avoir dit : « Celui qui donne à boire, doit boire le dernier ». Ensuite, il remplit une seconde fois le seau de lait et le lui laissa ; et dans une autre version, il dit : « Donnez ceci au mari de Oum Ma’bad lorsqu’il sera de retour ». Ensuite, il reprit son chemin.

Peu de temps après, le mari d’Oum Ma’bad revint menant un mouton maigre et émacié. Quand il vit le lait, il resta abasourdi et dit : « D’où vient ce lait, Oum Ma’bad, alors qu’aucun animal de la maison ne donne de lait et alors que les brebis sont loin de tout pâturage ? ». « Un homme béni est passé par chez nous, dit-elle ». Et elle raconta l’histoire. « Décris-le moi, Oum Ma’bad, dit-il ». Elle répondit : « J’ai vu un homme d’un intense rayonnement, de très belle apparence, au visage lumineux, aux côtes peu saillantes et à la tête pas trop petite, affable et bon. Ses yeux étaient d’un noir profond et ses cils étaient fournis. Sa voix était chaude et douce. Le blanc de ses yeux était lumineux et ses pupilles très noires. Ses sourcils, au coin de ses yeux, étaient fins et se rejoignaient au milieu. Son cou était long et sa barbe abondante. Quand il gardait le silence, il était impressionnant de dignité. Quand il parlait, c’était avec noblesse et comme s’il était couronné de splendeur. Son discours était doux, ses mots précis, ses phrases ni trop courtes, ni trop longues, comme un collier de perles s’écoulant doucement. Il était la plus belle et la plus extraordinaire personne vue aux alentours et la plus sincère. Il était de taille moyenne, ni désagréablement trop grand, ni méprisable de par une trop petite taille ; une branche entre deux branches. Des trois qui l’accompagnaient, il était le plus rayonnant, le plus élégant de stature. Il était entouré de ses compagnons. Quand il parlait, ils l’écoutaient attentivement. Lorsqu’il donnait un ordre, ils se hâtaient de l’exécuter. Honoré et entouré par ceux qui le suivaient. Il n’était jamais contrarié ni critiqué. »

Abou Ma’bad dit : « C’est, par Dieu, le compagnon des Qoraïsh que nous cherchons et si je le rencontre, je demanderai à l’accompagner. » Dans une autre version : « Si je le vois, je le suivrai, et je m’efforcerai de trouver le moyen de le faire ». Ils émigrèrent vers le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, et embrassèrent l’Islam.

Énormément d’enseignements peuvent être tirés de ce hadith. Nous voudrions ne tirer que ceux qui nous intéressent au premier-chef dans le cadre de cet article. Ce qui peut émerveiller, dans un premier temps, dans ce hadith, réside dans le caractère miraculeux de la traite de la brebis, et qui rappelle d’autres miracles attribués, notamment, à Jésus (la Paix sur lui). Mais l’essentiel ne réside pas là. Pour expliquer cela nous allons rappeler quelques éléments concernant les miracles.

Le miracle c’est l’Homme

Ceux-ci sont des dons de Dieu : « Dis : En vérité, les miracles ne dépendent que de Dieu »[2], qu’Il fait descendre sur les Prophètes afin de les soutenir dans leur mission de guidance : « Il dit : Tu sais bien, dit Moïse, que ces choses-ci [les miracles], le seul qui les fait descendre est le Seigneur des cieux et de la terre pour (vous) éclairer… »[3]. Mais le don des miracles vient toujours, en ce qui concerne les Prophètes, alors que ceux-ci sont, d’abord et avant tout, des hommes exemplaires, à l’autorité morale incontestable, au discours clair et explicite : « Et Nous avions envoyé Moïse, avec Nos miracles et une autorité incontestable »[4] (J.Berque traduit sulTânin mûbin par « justification explicite »)

C’est un des principaux enseignements du hadith cité ci-dessus. Dans l’économie narrative du hadith, le miracle de la traite n’est pas ce qui est déterminant pour faire du Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, un homme exceptionnel et donc un modèle à suivre. Lorsque le mari d’Oum Ma’bad revient au campement et qu’il se fait raconter l’événement par son épouse, ce n’est qu’après la description que cette dernière en donne qu’il déclare : « C’est, par Dieu, le compagnon des Qoraïsh que nous cherchons et si je le rencontre, je demanderai à l’accompagner. » Ce n’est donc pas le miracle seul qui convainc le mari d’Oum Ma’bad, mais le miracle et les qualités de l’homme à qui ce miracle a été donné. Et ces qualités sont la preuve de la véracité de l’homme.

En effet, un phénomène extraordinaire, en soi, ne prouve rien ; certains hommes pouvant même illusionner leurs contemporains. La preuve de la véracité ce sont donc les qualités de l’homme ; qualité de beauté, de dignité, de noblesse, de douceur qui font que celui qui en est pourvu est aimé et suivi. Ceci est un premier enseignement. Nous pourrions dire, en résumé, le miracle c’est l’Homme.

Un homme béni au savoir utile

Mais, il est possible de lire un deuxième enseignement, qui ne se livre, quant à lui, qu’à travers une lecture symbolique du hadith et dont la clef est le lait de la brebis. Le lait, est dans la tradition musulmane, une allégorie de la science et de la connaissance. On trouve, en effet, chez Boukhari ce hadith : « Tandis que je dormais (c’est le Prophète qui parle), on m’apporta (en songe) un bol de lait ; je bus jusqu’à ce qu’il me sembla sentir cette boisson s’écouler par mes ongles. Alors je remis à Omar ce que je n’avais pu boire ». On demanda alors à l’Envoyé de Dieu, paix et salut de Dieu sur lui : « Quelle interprétation donnes-tu de ceci ? ». On demanda alors à l’Envoyé de Dieu, paix et salut de Dieu sur lui : « Quelle interprétation donnes-tu de ceci ? ». Il répondit : « C’était la science ». Cette signification symbolique est complétée par un autre propos du Prophète dans lequel celui-ci raconte que lors de son ascension nocturne, on lui proposa trois boissons différentes : un verre de lait, un verre de vin, un verre de miel. Il choisit le verre de lait, suite à quoi l’Ange Gabriel (la Paix sur lui) lui dit : « C’est le symbole de la religion que tu suivras, toi et ton peuple ».

En tenant compte de cette signification symbolique, le hadith cité ci-dessus nous offre un raccourci saisissant de la mission prophétique du dernier des Prophètes, paix et salut de Dieu sur lui. Dans le hadith, une vieille femme, veillant dans un campement pauvre et dénué de ressource, voit un groupe d’hommes s’approcher d’elle et lui demander quelques subsistances, qu’elle ne peut leur accorder. L’un de ces hommes, « un homme béni » dira-t-elle plus tard, après lui avoir demandé poliment son autorisation, appelle à lui une brebis malingre et la traie, remplissant un seau entier puis un second, une fois les présents abreuvés. Puis… l’homme « reprit son chemin »… Non sans avoir laissé un seau de lait pour la vieille femme (selon la version citée ci-dessus) ou pour son mari (selon une autre version). Voilà la mission prophétique résumée en un récit simple et dense : un « homme béni », aimé et entouré de compagnons, passe dans ce vieux monde, proche de sa fin, lui apporte cette science utile qu’est l’Islam et continue son chemin, non sans avoir laissé aux présents (Oum Ma’bad) et aux absents (le mari d’Oum Ma’bad) la science nécessaire.

Une miséricorde pour l’univers

Fait remarquable, dans le récit ci-dessus : le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, boit le dernier, après s’être assuré que les présents se sont désaltérés, alors même qu’il a recueilli le lait en premier. Et ceci ne peut faire écho qu’aux deux traditions suivantes. La première affirmant la primauté du Prophète Mohammad : Abou Salama a rapporté d’après Abou Hourayra que des gens ont demandé : « Ô Envoyé de Dieu ! Quand la Prophétie s’est-elle imposée à toi ? ». Il a répondu : « C’était au moment où Adam existait entre l’esprit et le corps »[5]. La seconde affirmant que le Prophète Mohammad, paix et salut de Dieu sur lui, est le dernier des prophètes : Abdullâh Ibn ‘Amru rapporte que le Prophète a dit : « Je suis Mohammad, le Prophète illettré. Point de prophète après moi… »[6].

Le premier et le dernier, donc, de la même manière que dans le récit cité, le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, est le premier à recueillir le lait et le dernier à le boire, après en avoir désaltéré les présents, laissant après son passage du lait en suffisance, pour ceux qui restent, confirmant la qualité que Dieu lui a attribué de « miséricorde pour les univers ».


[1] Coran : Les prophètes, 107

[2] Coran : les bestiaux, 109

[3] Coran : le voyage nocturne, 102

[4] Coran : » Houd, 96

[5] Hadith rapporté par Al-Qâdî ‘Iyad dans son Ach-chifâ

[6] Hadtih rapporté par Al-Qâdî ‘Iyad dans son Ach-chifâ

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