L’eau, la vie… le profit (1/2)

L’eau est un élément central dans notre vie. Nous la buvons, nous l’utilisons pour nos soins corporels, nous la canalisons pour la culture, pour abreuver nos animaux. A l’état naturel, elle est une réserve quasi inépuisable en poissons, elle structure nos paysages par ses cours d’eau qui nous permettent le transport de marchandises, elle est le vecteur principal des échanges climatiques autour de la planète…

Cet aspect central fait aussi d’elle un enjeu majeur d’un point de vue économique et stratégique. L’eau revêt donc des sens, des « goûts », très divers selon l’histoire, les cultures, les lieux, selon son usage. Mais aujourd’hui, l’eau semble voir perdu la diversité de ses « goûts » pour ne plus connaître que la seule saveur du profit…

L’eau, ressource économique, source de profit

L’eau est un élément dont la masse, constante, est évaluée à 1370 millions de kilomètres cube. Cette caractéristique fait de l’eau une ressource inépuisable. La problématique liée à l’eau n’est donc pas sa raréfaction mais son accessibilité et sa qualité. Les facteurs géographiques, climatiques, économiques, politiques et culturels pèsent lourdement sur ces deux éléments et il n’est plus possible, désormais, de laisser la gestion de l’eau aux seuls usagers locaux, voire même aux seules instances nationales ; l’eau n’a pas de frontière et pourtant certains pays n’hésitent pas à faire de l’eau une arme contre leur voisin. Un usage concerté et responsable de l’eau est nécessaire si l’on veut instaurer et pérenniser l’accès à une eau en quantité suffisante et de qualité.

Le temps d’une gestion autonome et locale, laissée aux seuls usages et savoir-faire locaux semble en effet révolu. Les endroits de la planète où l’eau n’est pas affectée par des données climatiques, environnementales, politiques deviennent rares. L’eau est prise dans un système qui dépasse largement le cadre local. A titre d’exemple, les eaux des nappes phréatiques des côtes somaliennes sont, depuis le tsunami de décembre 2004, saturées en sel marin mais, surtout, contaminés par divers agents chimiques provenant des dépôts sauvages de produits toxiques et radioactifs déversés sur les plages somaliennes par des industriels du Nord. Selon le PNUE[1], les containers qui se sont vidés sur les plages somaliennes lors du tsunami contenaient des déchets industriels et hospitaliers comprenant de l’uranium, du cadmium, du mercure et toutes sortes de produits pharmaceutiques et de substances chimiques. A cela, il faut ajouter le fait que suite à la guerre civile qui sévit en somalie depuis 1991, 55% de la population s’est concentrée sur les côtes, fuyant les combats, les exactions sévissant à l’intérieur du pays, augmentant, dès lors, la pression sur l’eau du point de vue de la consommation. On comprendra que dans un contexte de cette nature, la seule construction de puits n’est pas la réponse adéquate à la question de l’eau.

L’eau est donc devenu, malgré sa disponibilité naturelle, un bien précieux, difficile d’accès et nécessitant un traitement important avant sa consommation par l’homme et le bétail. Si la masse de l’eau demeure constante (sous ses différentes formes : solide, liquide et gazeuse), elle est devenue rare du point de vue de l’accessibilité et de la qualité. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que si la masse globale d’eau reste en effet constante, il n’en va pas de même à l’échelle locale. A titre d’exemple, la surconsommation d’eau à des fins agricoles en Asie centrale a conduit à l’assèchement de la mer d’Aral qui a perdu, en 30 ans, 50% de sa surface. Trente années de monoculture forcenée du coton, le détournement de deux fleuves aux fins d’irrigation a abouti à un désastre écologique sans précédent.

Tous ces éléments font que selon l’Organisation Météorologique Mondiale, « une grave pénurie d’eau risque de se produire d’ici 50 ans », conséquence d’une mauvaise gestion des réserves, de la pollution et de la poussée démographique. Dans ce contexte, et compte tenu du modèle économique actuel, fondé sur la maximalisation du profit, il n’est pas étonnant que l’eau soit devenue une ressource économique, exploitable. Cette situation alarmante, combinée aux besoins en alimentation de proximité nécessite une expertise, une technologie de plus en plus coûteuse. La distribution et la potabilisation de l’eau sont devenus des enjeux économiques et donc des sources de profit.

La marchandisation de l’eau

D’autres facteurs, outre ceux présentés plus haut, expliquent le processus de marchandisation de l’eau. Tout d’abord, l’échec patent des politiques des pays liés à l’ex-Union soviétique en terme de gestion hydrique : l’accès quasi gratuit  l’eau a amené un gaspillage de ressources et une pollution dramatique de l’environnement. Premier enseignement rapidement tirés par les instances internationales : la gratuité de ce bien universel n’est pas une solution. Les problèmes liés à la gouvernance dans les pays dits en voie de développement, ensuite, n’ont pas permis de progrès dans la distribution publique de l’eau et les services d’assainissement. Ce qui conduit les chantres du néo-libéralisme à proposer une libéralisation du marché, seul remède à l’incurie des services publics. Par ailleurs, l’idée, soutenue par les grandes institutions (Banque mondiale, FMI, OMC), à travers, notamment, le Consensus de Washington, qu’il est possible de rendre le service de l’eau profitable, attirant les investisseurs, a progressivement fait son chemin, pour finalement s’imposer comme la seule voie permettant d’assurer un meilleur accès à l’eau et une meilleur qualité de celle-ci. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le Préambule de la Directive-cadre européenne de l’eau qui indique que “l’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger et traiter comme tel“. On aura remarqué la qualification de l’eau comme bien “marchand”, certes différents des autres biens marchands mais néanmoins considéré comme source potentiel de profit. 

L’eau, bien universel, droit fondamental, garantie de la vie, est devenu une ressource économique exploitable.

 


[1] Programme des Nations Unies pour l’environnement

 

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