A l’horizon du mariage pour tous

On pourrait penser, à première vue, que l’objectif de la loi du mariage pour tous est l’égalité des droits, dans la mesure où celui-ci permettrait aux personnes homosexuelles d’adopter un (ou des) enfant(s), comme cela est possible pour les couples hétérosexuels. Une analyse un tant soi peu objective permet de montrer qu’il n’en est rien et que l’objectif que poursuit cette loi, ainsi que d’autres qui l’ont précédée, est la dissolution des liens de parenté.

 

Quelques données anthropologiques de base

L’analyse qui suit s’appuie sur une approche anthropologique de la famille. Chaque fois que l’on utilisera, dans cet article, le terme « famille » au sens générique, ce sera sous cet angle. Nous précisons cela afin que notre lecteur n’y associe pas des connotations morales ou bourgeoises. Nous n’évoquons donc pas ici un modèle historique lié à une histoire spécifique.

La famille élémentaire, selon A.R. Radcliffe-Brown « consiste en un homme, son épouse et leurs enfants »[1]. C’est, d’après cet auteur, « l’unité de structure à partir de laquelle s’élabore un système de parenté». R. Girard, prolongeant la critique de C. Levi-Strauss de cette définition, renverse la proposition en disant : « la famille élémentaire n’est pas la cellule constituante mais le résultat des systèmes de parenté »[2]. De ce point de vue, la présence des systèmes de parenté « conditionne tout savoir de la parenté biologique »[3]. Pour ce même auteur, en effet, on trouve à la base de l’identification des données biologiques, la distinction des trois rapports (alliance, filiation et consanguinité) et cette distinction « n’est possible que sur la base d’une séparation réelle, c’est-à-dire sur la base des interdits de l’inceste et des systèmes de parenté »[4]. Le système de parenté assure donc une fonction structurante (il opère une distinction entre  alliance et consanguinité)  et, ce faisant, permet la production d’un savoir sur la parenté biologique. Ce que R. Girard résume de la façon suivante : « Il n’est pas de système de parenté qui ne distribue le licite et l’illicite dans l’ordre sexuel de façon à séparer la fonction reproductrice du rapport de filiation et du rapport fraternel, assurant de ce fait, à ceux dont la pratique sexuelle est gouvernée par lui, la possibilité de repérer les données élémentaires de la reproduction »[5]. Le système de parenté, constitué du lien de filiation, est donc une clef structurante qui permet, par la distinction entre les rapports d’alliance et les rapports consanguins, de repérer « les données élémentaires de la reproduction ».

Derrière le mariage pour tous, c’est le lien de parenté qui est visé

Derrière l’euphémisme du mariage pour tous, chacun sait que l’objectif est de permettre, sous prétexte d’égalité des droits, à des personnes homosexuelles d’adopter un (ou des) enfant(s). Or pour rendre juridiquement possible cette adoption, le législateur est obligé de postuler que le rapport de filiation n’est plus constitutif de la famille, que la norme n’est plus un couple parental et un (ou plusieurs) enfants dont ils sont géniteurs. C’est la raison du passage dans le texte de la loi des termes de « père » et « mère » à « parents ». Si le mot « parent », certes, inclue la notion de filiation, il permet néanmoins l’indétermination des sexes du couple parental, d’une part,  et, d’autre part, un glissement sémantique, qui par analogie, ouvre, dans le texte de la loi, la parenté à d’autres caractérisations : parenté éducative, adoptive… Et c’est ce système qui devient la norme inclusive. Le schéma structurel de base de la famille devient dés lors : un couple parental et un (ou plusieurs) enfant(s). Et ce schéma peut se décliner en : un couple parental masculin et un (ou des) enfant(s), un couple parental féminin et un (ou des) enfant(s), un couple parental hétérosexuel et un (ou des) enfant(s)[6]. Néanmoins ce schéma, tel quel, ne traduit pas complètement l’objectif réel des promoteurs de la loi du mariage pour tous. Pour bien saisir la visée de cette loi, il faut intégrer la loi sur la famille monoparentale dans l’analyse.

En effet, si on tient compte de cette précédente loi, on obtient le schéma structurel de base de la famille suivant : non plus un couple parental mais une instance parentale (un homme seul, une femme seule, un couple parental masculin, un couple parental féminin, un couple parental hétérosexuel) et un (ou plusieurs) enfant(s) (avec ou sans lien de filiation avec l’instance parentale). La nouvelle norme « familiale » est donc fondée sur une indétermination purement abstraite dont la seule finalité est la multiplication des possibles. Et donc en dernière analyse : la dissolution. L’abstraction « instance parentale » sous-jacente à cette dynamique législative, autorise, en effet, toutes les interprétations, tous les scénarios « familial ». Cette ouverture sur tous les possibles ne peut mener qu’à une perte de sens extrêmement dommageable pour les individus et donc pour la société dans son ensemble. Dès lors que tout se vaut, plus rien n’a de valeur ; conséquence immédiate du relativisme.

Conséquence de la perte du lien de filiation et du système de parenté

Compte tenu de ce que nous avons dit plus haut du caractère structurant du système de parenté, il devient clair que si, dans le modèle normatif cité plus haut, et qui est sous-jacent à ces nouvelles lois,  le rapport de filiation devient secondaire, facultatif en quelque sorte, il ne peut plus opérer cette « séparation stricte de l’alliance et de la consanguinité » dont parle R. Girard et que nous citions précédemment. Le lien de filiation, constitutif du système de parenté, n’étant plus un élément structurant, la famille est, en réalité, démembrée. Ne subsiste donc plus dans cette structure familiale que le rapport d’alliance et le rapport de consanguinité. Or l’alliance est de nature contractuelle. Le problème, et il est crucial, c’est qu’une alliance ne peut concerner que des adultes ayant la maturité légale. Un enfant ne contracte pas une alliance, ne signe pas un contrat. La structure de base normative, affirmant les rapports de parenté, assure à l’enfant un lien, un lien de nature, indéfectible. On objectera que le cas des familles hétérosexuelles adoptant un enfant est lui aussi fondé sur une absence de lien objectif entre les parents et l’enfant (les dispositions réglementaires nationales venant corriger cet état de fait). C’est vrai ; mais dans une société où la norme est le couple parental hétérosexuel géniteur des enfants dont il a la charge, le couple parental hétérosexuel adoptif garde un référent normatif, et donc structurant. Dans le cas où la norme devient une instance parentale et un (ou plusieurs) enfant(s) (avec ou sans lien de filiation avec l’instance parentale), le seul élément de référence structurant est l’alliance. Or l’alliance ne peut être que le fait des adultes entre eux. Qu’est-ce qui lie l’enfant à son instance parentale dans un système normatif de ce type ? Outre les protections juridiques, rien, si ce n’est le bon vouloir de ceux qui l’ont adopté, leur éthique individuelle éventuelle, leur affect ; autant dire leur subjectivité et rien d’autre. Certes, un enfant adopté par un couple parental, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, ne fait pas le choix conscient et contractuel de ses parents. Mais dans la situation où la norme est la famille « traditionnelle », le lien de filiation demeure, pour cet enfant, un élément structurant (qu’il vivra, certes, en terme de manque : le couple parental qui l’a adopté ne sont pas ses pères et mères, mais aussi positivement : il a un père et une mère biologique, et il est capital que ce savoir-là ne soit pas relativisé). L’absence vécue de ce lien avec ses « parents » adoptifs n’annule pas le caractère déterminant de la filiation car elle demeure une norme dans le système familial en vigueur. Ce qui n’est plus du tout le cas dans la situation où la norme ignore la filiation comme élément structurant.

On a vu aussi plus haut que la présence des systèmes de parenté « conditionne tout savoir de la parenté biologique »[7]. Ne plus considérer que le système de parenté est l’élément structurant de la famille, qu’il n’en est qu’une variante, c’est, à terme, brouiller ce « savoir de la parenté biologique ». Toucher au système de parenté, c’est, aussi, relativiser le savoir sur la parenté biologique. C’est, en effet, le système de parenté qui permet de « lire » la parenté biologique. Certains diront que ceci relève du délire. Qu’affirmer cela est  paranoïaque. Nous voudrions rappeler, à ces derniers, qu’avec le projet de loi du mariage sur tous, un autre projet de loi devait être examiné : celui de la procréation médicalement assistée. Il y a donc une cohérence générale qui se dessine derrière toutes ces lois et dont le vrai visage est le déni du lien de parenté comme élément constitutif et structurant de la famille et en dernière analyse, une rupture anthropologique majeure du lien de l’homme avec le biologique, avec la nature, au profit d’une régression dans une indifférenciation aveugle.

La société a le mariage dont elle a besoin pour sa pérennité, ses transformations et son devenir

Avec le mariage pour tous, et la structure de base sous-jacente, on se trouve projeté dans un modèle consumériste et relativiste du mariage. Consumériste car on fera son choix en fonction de ses  spécificités individuelles, et relativiste car toutes les formes de familles se valent. Ce modèle de base est donc le modèle le mieux adapté aux catégories de la postmodernité : flexibilité, interchangeabilité, relativisme, individualisme. Autant le modèle de la famille bourgeoise, généralisé,  vers la fin du XIXème siècle, à toutes les catégories sociales, avait servi de base sociale à la montée en puissance du capitalisme, autant le mariage pour tous, aujourd’hui, de par le fait qu’il s’inscrit parfaitement dans la postmodernité, et ce dans la mesure où son moteur n’est rien d’autre que l’individualisme, sert les intérêts économiques du néo-libéralisme et participe donc à la continuité du système. Bien mieux, il en préfigure le prochain avatar.

Sous prétexte d’égalité, l’indétermination des sexes et la négation du caractère structurant des liens de parenté devient la norme, l’anti-norme faudrait-il dire (ces deux éléments sont d’ailleurs liés puisque la normalisation, par le mariage pour tous, de l’homosexualité a pour réel objectif l’indifférenciation des sexes ainsi que la négation du caractère structurant des liens de parenté[8]). Cette notion d’indétermination ou d’indifférenciation est axiale. La norme anthropologique universelle qu’est la reconnaissance normative et constitutive de la différence des sexes est le dénominateur commun de l’ensemble des sociétés humaines, des traditions et des civilisations. Cette norme est en passe d’être remplacée, non par une autre norme, mais par un projet de déliquescence universelle charpentée par la seule loi du désir individuel. Sous prétexte de rupture avec l’ordre ancien, réputé arriéré, rétrograde, la modernité occidentale prépare, sans s’en rendre compte, la descente de l’humanité dans l’infrahumain.

Changement de paradigme

Cette descente est inéluctable si les sociétés occidentales n’opèrent pas une rupture radicale avec leur propre histoire. L’urgence et la nécessité de cette rupture se font ressentir à de nombreux niveaux. La notion de mariage n’échappe pas à la règle. Elle nécessite une redéfinition et celle-ci ne peut se faire qu’après un détour par l’Histoire.

Le premier constat est que le mariage n’a jamais été au cours de l’Histoire européenne une institution stable, contrairement à une idée qui voudrait que n’ait existé que le mariage bourgeois, cadre de reproduction de l’idéologie dominante, capitaliste en l’occurrence.[9]. Or, il n’en est rien. Les visages du mariage ont été extrêmement divers. Chacun de ces différents visages est le reflet des changements de société, de modes de vie, de pensées qui ont marqué le cours de cette Histoire.

Nous en prendrons pour exemple l’instauration du mariage chrétien, qui ne rentra en vigueur, rappelons-le, qu’au XIIIème siècle et qui fut le premier tournant majeur. Jusqu’alors les unions entre homme et femme n’étaient que très peu légiférées. Les rapts, les unions forcées, la polygamie étaient extrêmement répandus, notamment dans l’aristocratie. L’Église réprima progressivement les abus les plus criants, interdisant le rapt ou au maître de violer une esclave vierge, au père d’abuser de la fiancée de son fils et de partager la couche de la mère et de la fille. L’obsession était alors de mettre fin à l’inceste, qui s’était largement répandu. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le mariage chrétien en tant qu’institution. Il permit d’établir la liberté de choix et la libre volonté des deux époux. Si, dans la pratique, les mariages arrangés se poursuivirent, particulièrement dans les classes sociales supérieures, du moins le principe de liberté et d’égalité des époux était-il posé. La répudiation fut interdite et le divorce autorisé dans trois cas : la stérilité, la consanguinité jusqu’au 7e degré ou l’ordination ultérieure d’un des époux[10].

Ce visage du mariage n’est déjà plus celui du XVIème siècle, encore moins celui du XIXème siècle. Rappelons d’ailleurs qu’en ce milieu du XIXème siècle, qui voit l’essor du capitalisme, le mariage est pratiquement inexistant dans la première génération du prolétariat urbain issu de l’exode rural. Il a fallu la politique volontariste de quelques grands industriels français (Dolfuss par exemple) qui encouragèrent, à l’aide de primes, leurs ouvriers à se marier pour que se généralise le mariage en tant qu’institution. Depuis lors, les formes du mariage ont encore changé.

Prendre en compte cette réalité d’un mariage qui ne s’est, en quelque sorte, jamais trouvé et qui se cherche chaque fois en fonction de tel ou tel contexte sociétal est important. Nous pourrions dire, dans une certaine mesure, que l’Europe n’a jamais rencontré le mariage. Tout le défi, aujourd’hui, pour l’homme moderne est donc de découvrir ce modèle de mariage, et de famille, qui ne soit ni un modèle tendant vers l’indifférenciation, la dissolution ni un modèle caractérisé par la rigidité, l’oppression. C’est en ce sens qu’il est permis de parler de changement de paradigme. Pour découvrir ce modèle, il faut que l’homme moderne relise et mette en perspective critique son histoire, d’une part, mais que, d’autre part, il reconsidère ce qu’est un être humain, dans sa globalité, qu’il réinterroge ses liens avec la nature et avec son Créateur. L’homme n’est pas qu’une bête assoiffée dont le seul but est de satisfaire ses besoins et qui disparaîtra dans le néant après sa mort. L’homme a été créé pour accéder à la plus haute des connaissances, qui est la connaissance  de Dieu, la connaissance de la Vérité Ultime. Il ne tient qu’à lui de foncer vers le sommet plutôt que de s’abandonner aux forces gravitationnelles de son égo acquisitif et individualiste, ivre de cette liberté illusoire que procure la dissolution des règles, l’indifférenciation généralisée, l’abolition de toutes normes.

 


[1]Word, I, 2 (1945), pp. 1-21 ; reproduit dans Anthropologie structurale (Paris, 1958), pp. 37-62. Cité par R.Girard dans La Violence et le sacré.

[2]R.Girard, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1974, p.310

[3]R.Girard, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1974, p.310

[4]R.Girard, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1974, p. 309

[5]Id supra.

[6]Nous verrons un peu plus bas qu’il faut préciser cette structure de base par la prise en compte de la notion de famille monoparentale.

[7]R.Girard, La violence et le sacré, Grasset, Paris, 1974, p.310

[8]On voit ici tout le subterfuge de cette loi qui prétend défendre le droit des homosexuels mais qui en réalité utilise le droit des homosexuels pour installer l’indifférenciation des sexes et la négation des liens de filiation.

[9]Selon cette vision, le mariage est nécessairement liberticide et rétrograde. On peut d’ailleurs se demander pourquoi ceux qui pensent cela du mariage, et qu’on retrouve en grand nombre dans les rangs des défenseurs du mariage pour tous, militent autant pour donner accès à d’autres (les homosexuels) à un droit que, par ailleurs, ils méprisent…

[10]Source : Wikipedia

Un commentaire

  1. Bien vu.
    Mais a t on pensé de la structure d’une société ou ce mariage devient légal, dans un siècle par exemple?

  2. Aujourd’hui le mariage pour tous est devenu légal si aujourd’hui on rend sa complétement normale qu’est-ce que çà sera dans 1 siècle ? la socièté sera d’accord pour que l’ont se marie avec des animaux ou quoi ? c’est vraiment dingue plus le monde avance plus on va droit au mur !!!!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page