La spiritualité comme désir de ce qui est (3/3)

Transcendance et désir

Nous pensons donc, que le sentiment diffus, presque ignoré chez certains,  manifeste chez d’autres, qu’un moment de notre existence individuelle a existé  au cours duquel notre soif de vérité et d’amour était pleinement satisfaite, n’est ni le fruit d’une illusion psychologique ni la trace d’un état physiologique quelconque mais bien le souvenir d’une proximité avec cela même qui est le Réel par excellence.

La nostalgie du divin n’est pas la sublimation d’un vécu intra-utérin ou de quelque autre vécu de nature physiologique ou psychologique mais bien la nostalgie d’une proximité avec Cela même qui est. Il y a une blessure en tout être qui n’a pas pour origine la séparation avec la mère, ou tout autre « coupure » accidentelle. Cette blessure est l’un des aspects de cette dynamique du désir qui fait que les êtres humains ont toujours recherché, et rechercheront toujours, cet objet qui a été connu et dont il est certain qu’il procure la satisfaction intégrale de l’être.

Cela nous amène à dire que Ce qui est, et qui est l’objet de la spiritualité, ne peut être qu’inaccessible, non-connaissable, et en même temps avoir été accessible, connu, et qu’enfin Ce qui est est la source de toute joie, de toute paix, de toute satisfaction.

Si cette dernière caractéristique est compréhensible, les deux premières peuvent sembler contradictoires. S’il rentre dans la nature de Ce qui est d’être non-connaissable, on voit mal comment Ce qui est aurait pu être connu, et pourrait être à nouveau connu. Selon la première affirmation Ce qui est ne peut être que transcendant. Tout objet, immanent, connaissable, ne fut-ce que potentiellement, pouvant être circonscrit par la connaissance mettrait un terme au désir. Selon la deuxième affirmation, Ce qui est pourrait être connu, ou avoir été connu, pouvant donc revêtir, en quelque sorte, des aspects « immanents ».

La première affirmation ne pose pas, en elle-même, d’énormes difficultés. Elle nous permet, bien plus, d’affiner notre définition de la spiritualité. Celle-ci pourrait être définie comme la réponse pratique (méthode) au désir (de la connaissance) de Ce qui est, sachant que Ce qui est ne peut être que transcendant (et inconnaissable), sous peine de rendre possible un terme au désir (de connaissance).

Quant à la deuxième affirmation, elle n’est possible qu’à deux conditions. La première est qu’il y ait une distinction entre Ce qui est, la Réalité ultime, et la satisfaction que procure Sa proximité. La deuxième est que ce qui est connaissable de Ce qui est n’est pas Son essence mais un (ou plusieurs) de Ses aspects. L’aspect le plus fondamental, et donc le plus ultime, en termes de connaissance[1] est le caractère à la fois un et unique de Ce qui est[2].

L’objet perdu originel, source de la satisfaction primordiale, et qui est à l’origine de la dynamique désirante de l’homme, est donc inconnaissable dans Son essence mais connaissable par Ses aspects et le principal de Ses aspects est son caractère Un et Unique (en d’autres termes la Réalité, tout comme la Vérité, est nécessairement Une et Unique). C’est d’ailleurs la connaissance – qui est proximité – de Ses aspects qui est à l’origine de la satisfaction. Au-delà des aspects, au niveau de l’Essence, il n’existe plus rien que l’Essence et il n’est plus possible de parler de connaissance ni de satisfaction. L’une et l’autre impliquant un sujet et un objet, donc une dualité qui, à ce stade, n’a jamais été.

Ce qui est, et qui est l’objet même de la spiritualité, son but ultime, possède donc (au moins) trois caractéristiques : Ce qui est est, tout d’abord, transcendant, inconnaissable dans son essence, Ce qui est est, néanmoins, connaissable dans Ses aspects, et enfin, Ce qui est est la source, par Ses aspects, d’une plénitude primordiale qui fonde la dynamique désirante de l’homme.

Nous pensons donc qu’on ne peut parler pleinement de spiritualité si ce qui est visé à travers la recherche du Vrai, de la Réalité ultime n’est pas à la fois inconnaissable dans Son essence, connaissable par Ses aspects et source de tout bonheur, de tout bien. Sans ces caractéristiques, le désir, en tant que dynamique centrale et proprement humaine, ne pourrait tout simplement pas exister.

 


[1] Ici il faut préciser qu’il s’agit d’un mode de connaissance intégral et non seulement mental ou discursif.

[2] On retrouve cette idée dans la spiritualité musulmane. Dieu dit dans le Coran : « Je n’ai créé les Djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent » or, comme nous l’avons rappelé dans l’article précédent, selon l’exégèse de l’oncle du Prophète (s.a.w.s.), « adorer », dans ce verset, signifie « connaître ». Il est donc possible de connaître un aspect du divin, désigné ici par le pronom de la première personne. La première personne désigne en règle générale à la fois l’unité et l’unicité de la personne.

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