Voyage au cœur du Coran : Le terme RA-BA-BA

Cette racine dont l’occurrence est de 863 apparitions dans le Coran (dérivés compris), est Ra Ba Ba qui donnera avec la chadda[1] : Rabboun.

Rabboun[2] : Maître, seigneur, éducateur, celui qui enseigne avec autorité et compétence, enseignant, possesseur, propriétaire.

Rabbâniyyoûna[3] : Qui appartient au seigneur, au maître, docteur, rabbin, qui est lié à l’enseignement, de la nature des maîtres éducateurs.

Si cette racine apparaît 863 fois dans le Coran, il est intéressant de constater, comme l’a fait Jacques Berque dans son essai de traduction du Coran, en note de la dernière sourate[4]« Est-ce un hasard que dans cette sourate, l’une des premières descendues à la Mecque, mais placée tout à la fin du muçhaf (recueil), le terme « hommes » revienne cinq fois ? On l’admettra difficilement. Qui sait si le « dieu des hommes » n’est pas placé ainsi, par rapport au « Seigneur des univers », de l’Ouverture, selon une symétrie d’attributs significative ? Le Coran, si cela est vrai, commencerait par le cosmologique, pour finir par l’anthropologique : appel direct à l’initiative des hommes. »

Avant de revenir à cette citation, que j’ai cependant tenu à mettre en introduction de la présentation de ce terme coranique, je vous propose un voyage aux origines de la pensée dominante contemporaine. En effet, comprendre comment elle a émergé et comment elle a progressivement plongé le monde entier dans l’obscurité[5], nous permettra de prendre conscience de la nécessité de revenir à la Révélation pour trouver une issue à cette obscurité dans laquelle l’humanité se retrouve. Cela s’est fait progressivement. De manière très schématique, le monde moderne a cherché ses origines dans l’Antiquité grecque, puis il s’est reconnu dans la philosophie d’Aristote, notamment, philosophie spéculative qui tenta, à l’aide de la raison, de répondre aux grandes questions existentielles de l’Homme. Et enfin, la raison fut érigée comme unique outil[6] digne pour l’Homme afin d’accéder à la vérité. Se priver de la Révélation, se priver du cœur, se priver de l’intuition, voilà autant d’erreurs graves qui nous amena au monde matérialiste dans lequel nous nous trouvons. « Il est assez significatif que le mot même de « matérialisme » ne date que du XVIIIe siècle ; il fut inventé par le philosophe Berkeley, qui s’en servit pour désigner toute théorie qui admet l’existence réelle de la matière ; il est à peine besoin de dire que ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici, où cette existence n’est nullement en cause. Un peu plus tard, le même mot prit un sens plus restreint, celui qu’il a gardé depuis lors : il caractérisa une conception suivant laquelle il n’existe rien d’autre que la matière et ce qui en procède ; […] Toute la science « profane » qui s’est développée au cours des derniers siècles n’est que l’étude du monde sensible, elle y est enfermée exclusivement, et ses méthodes ne sont applicables qu’à ce seul domaine ; or ces méthodes sont proclamées « scientifiques » à l’exclusion de toute autre, ce qui revient à nier toute science qui ne se rapporte pas aux choses matérielles. »[7]

Il me paraissait judicieux de partager avec vous un peu de l’histoire du monde moderne dans lequel nous vivons, afin de prendre conscience, tout d’abord, que nous sommes tous touchés par la pensée dominante pénétrante[8] et envahissante, puis pour que nous accordions une plus grande attention à la Révélation divine[9] car chacun de Ses mots représente un oiseau qui prend son envol et montre à notre cœur le chemin à suivre. Toutefois, et pour faire le lien avec la racine de notre article, voici une conclusion de Voltaire qui a joué son rôle dans l’histoire du monde moderne et a contribué à la coupure progressive de l’homme et de son Créateur. « S’Il [Dieu] n’y [le cours des choses en ce bas monde] intervient pas, s’Il n’en est que la pichenette initiale, on marche sur le même chemin que Voltaire : Dieu existe, Il a créé le monde, mais Il s’en est désintéressé et tout se passe comme s’Il n’existait plus. »[10]

C’est chirurgical ! Cette petite intervention dans l’univers ontologique[11] de l’homme, aux conséquences dramatiques, a contribué à évacuer définitivement Dieu du monde moderne, tendant ainsi la perche au « positivisme[12] ».

Après cette courte présentation de notre environnement philosophique nous pouvons plonger sereinement dans les lumières de la Révélation. Dieu S’est choisi, parmi les nombreuses caractérisations, le mot Rabb, Seigneur, Éducateur, Possesseur… pour marquer Son lien avec l’homme. Comme le fait judicieusement remarquer Jacques Berque, le Coran introduit d’abord le lien du Créateur avec l’ensemble de la création. Il est Le Maître des univers ! Il l’a créé par Amour et Il le gère par la Sagesse[13]. Cette Sagesse n’est pas toujours accessible à la raison. Toutefois, après avoir jeté un regard, limité et furtif soit-il, sur Ses univers, l’homme, minuscule, perdu dans cette création ne peut qu’éprouver un grand vertige, un sentiment d’insignifiance. C’est ce qui a fait dire à Voltaire, qui s’est délibérément mutilé de son cœur comme source de compréhension du monde, que Dieu n’a que faire de l’homme, qu’Il s’en est désintéressé, qu’Il a laissé des lois régir ce monde et qu’Il a d’autres préoccupations. Une manière de s’affranchir de ses responsabilités morales vis-à-vis de ses congénères et de mieux préparer la domination du monde par une minorité. Pourtant, si l’Amour et l’intérêt divin pour l’insignifiante créature que nous sommes se manifestent à travers tout le Coran, Révélation offerte aux hommes dans un langage accessible, ils sont mis en exergue de manière extraordinaire dans le rapprochement de la première et de la dernière sourate. Dieu Se présente d’abord comme Le Maître des univers, Leur éducateur, puis Il fait un focus sur l’Homme en Se présentant comme Le Maître de l’Homme. Quelle chance d’avoir entre les mains Sa Lettre[14] adressée à nous. Un lien direct qui nous permet d’échapper aux réflexions les plus absurdes qui ont perdu des générations et des générations. Une fois cette compréhension acquise c’est le grand cheminement du cœur qui peut commencer, avec ses propres règles, sa propre allure, sa propre profondeur. Un homme pieux invoquait Dieu en ces termes lors du pèlerinage : « Tu as d’innombrables créatures qui T’adorent et qui Te sollicitent, mais moi, je n’ai qu’un Seul Seigneur, et s’Il ne m’accorde pas Son amour, Son attention et Sa miséricorde alors je suis perdu. »[15]

Ce mot est aussi utilisé pour le maître de la maison, le responsable de famille. Inutile de dire que le rapprochement est riche en enseignements. Il porte un regard compatissant, plein d’amour mais parfois il doit mettre des limites, un cadre pour le bien de l’ensemble des personnes vivant dans la maison. Les parents se soucient de leurs enfants, ils s’en préoccupent, ils interviennent chaque jour, chaque heure, chaque minute pour réorienter leurs enfants, les corriger dans leur manière de parler, les encourager à faire face aux difficultés de la vie. Chaque jour Dieu intervient pour chacun d’entre nous pour celui qui ouvre les yeux de son cœur. Nous sommes contrariés quand une chose ne se passe pas comme on l’avait prévu, à l’image de l’enfant contrarié de ne pas avoir toute liberté pour jouer, par exemple. Pourtant nous avons besoin de ces contrariétés pour grandir sereinement, en bonne santé, le cœur ouvert. Ce qui était contrariété hier deviendra reconnaissance chez l’enfant pour ses parents mais aussi chez l’Homme envers son Créateur. C’est ce qui a fait dire au maître éducateur Abdelkader El Jilani (que Dieu lui accorde Sa miséricorde) que notre acceptation du destin soit notre monture pour arriver à Dieu. Cette relation intime avec Dieu il l’a décrite ainsi : « L’amant vit dans le resserrement et la contraction, et l’aimé dans la dilatation et l’épanouissement. La privation est le lot de l’amant et les présents sont le lot de l’aimé. […] Il faut dire que la compagnie par le serviteur de Dieu -qu’Il soit Exalté et Magnifié- et l’amour de Dieu pour le serviteur, ne sont pas comme l’amour d’une créature pour une autre. »[16]

La finalité de tout notre propos est résumée dans ces paroles fraîches, profondes et pleines d’espoir de ce savant et grand maître éducateur. Puisse Dieu nous accorder Son Amour.

[1] Condensation de deux consonnes identiques, on la retrouve dans toutes les initiales solaires, quand le mot est déterminé.

[2]GLOTON Maurice (que Dieu lui accorde Sa Miséricorde), Une approche du Coran par la grammaire et le lexique, édition Al Bouraq, sept 2002, Beyrouth Liban. P 396

[3]Id, P 396

[4]BERQUE Jacques, Le Coran, Essai de traduction, Albin Michel, Oct 2002, Sourate 114, les Hommes, p707

[5]« Leur semblance est celle de qui allume un feu : vienne la flamme à éclairer autour de lui, Dieu emporte leur lumière et les abandonne dans les ténèbres, à ne plus rien voir » Sourate II, verset 17 (traduction Jacques Berque)

[6]Nous faisons référence ici au rationalisme, voir la crise du monde moderne, GUENON René (que Dieu lui accorde Sa miséricorde)

[7]GUENON René, La crise du monde moderne, Edition folio essais, avril 1994, réédition juin 2017, P 144 et 145

[8]Expression utilisée par le Professeur RAHMANI Ahmed

[9]Le Coran, paroles de Dieu, est une source supra rationnelle, inaccessible par la raison seule et orgueilleuse.

[10]HALEVY Marc, Les mensonges des Lumières : Pour sortir enfin de la modernité, Les éditions du Cerf, Avril 2018, D’Holbac et le matérialisme, chapitre : athéisme

[11]C’est le niveau supérieur de l’intellect, la conscience originelle, où se logent les réponses de l’homme à ses questions existentielles : l’origine de l’homme, son devenir, l’existence de Dieu, son lien avec son Créateur. Je fais bien la différence avec les connaissances du cœur.

[12]COMTE Auguste, Le père du positivisme

[13]Amour et Sagesse sont deux notions mises en exergue par le professeur Abdessalam Yassine, (Puisse Dieu lui accorder Sa miséricorde) notamment dans le livre la Révolution à l’heure de l’Islam. Pour en savoir plus : P90

[14]Le Coran

[15]Mon souci d’illustrer mes propos par des citations précises, authentiques et référencées à travers mes articles sera trahi dans cette invocation. Il s’agit d’une parole que j’ai entendu durant mon enfance spirituelle, je ne connais pas l’auteur, je ne suis même pas sûr de rapporter fidèlement ses propos, mais ce qui est important c’est le sentiment qui m’est resté et que je vous restitue mélangé à ma propre spiritualité. Dieu aime l’invocation vraie, directe, sincère de Sa créature. Il aime le voir pleurer et Lui demander… Puisse Dieu nous compter parmi Ses rapprochés.

[16]EL-JILANI Abd El Kader, Enseignements Soufis, L’illumination céleste et les effluves de la miséricorde divine (Al Fath Al Rabbani Wal Faydh Al Rahmani), traduit de l’arabe par Muhammad AL-FATIH, édition Al Bouraq, 1996, Liban, P360 et 361

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