Tariq Ramadan va-t-il bénéficier d’un procès équitable en France?

Depuis le 2 février, Tariq Ramadan, l’un des intellectuels musulmans les plus influents d’Europe, est placé en détention provisoire et en isolement à la prison de Fleury-Mérogis, en France, suite aux accusations de viols de deux femmes qu’il nie totalement.

Les questions soulevées ici ne concernent en rien la culpabilité présumée ou l’innocence présumée de Ramadan. Ce sont des accusations sérieuses et Ramadan devra y faire face devant le tribunal. Ceux qui prétendent le contraire, de chaque côté de cette affaire suralimentée, ne peuvent le faire que par mauvaise foi, préjugés ou hypocrisie.
Cela dit, le traitement par le système judiciaire français des conditions préalables au procès a été entaché de controverses, d’allégations de déni de justice et de violation de la procédure régulière.
Le degré de déviation du système par rapport à la pratique normale a choqué même les détracteurs de Ramadan, comme l’avocat français Régis de Castelnau, qui a qualifié le déni de procédure régulière de «grave et constante».

Problèmes juridiques

Le premier problème résidait dans le refus d’accorder une caution et la décision de placer Ramadan en détention. La demande de remise en liberté sous caution de Ramadan n’a jamais été considérée. L’incarcération est généralement une mesure de dernier recours lorsque d’autres options telles que l’assignation à résidence, le bracelet électronique ou le signalement à un poste de police ne sont pas réalisables ou réalistes.
Les juges ont fait valoir que s’il était libre, Ramadan ferait pression sur ses accusatrices pour qu’elles abandonnent leurs accusations. Ceci est absurde. Il faudrait être un abruti fini pour tenter une telle chose, sachant comment une telle ligne de conduite pourrait être utilisée contre lui.
Le deuxième argument avancé était le risque de fuite. Ramadan est un citoyen suisse. Il n’y a aucune preuve que Ramadan pourrait s’enfuir dans un pays avec lequel l’UE n’a pas de traité d’extradition. Ramadan a pleinement coopéré avec les autorités judiciaires françaises et s’est rendu volontairement au tribunal.
Ramadan n’a pas seulement été gardé en détention, mais il a été maintenu à l’isolement. Sa femme et ses enfants se sont vu refuser le droit de lui rendre visite. Cela constitue une autre mesure pour laquelle les juges n’ont fourni aucune explication.
Lorsque la première plainte contre Ramadan a été déposée, c’était au parquet de la ville de Rouen. Logiquement, la ville de Rouen aurait dû avoir compétence naturelle sur l’affaire; toutefois, la compétence de la ville de Rouen a été levée pour être transférée au Parquet de Paris!
Cela a permis de transférer l’affaire de Ramadan au Procureur François Molins, spécialisé dans les affaires de terrorisme islamiste qui relève de la juridiction nationale française.
Molins est devenu une figure familière en France. Pendant trois ans il a été un visage très médiatique, apparaissant souvent dans des interventions longues et dramatiques, nous donnant des informations sur chacune des affaires terroristes qui ont ébranlé la vie publique française – l’affaire Charlie Hebdo, l’attentat de Nice et d’autres attaques moins meurtrières.
Pour les Français, Molins est devenu la personnalité de la lutte anti-terroriste. Mr anti-terrorisme islamiste en personne, ou le «procureur des djihadistes français» comme certains l’appellent affectueusement. Quiconque souhaitant associer l’affaire Ramadan au terrorisme islamiste n’aurait pas pu trouver meilleur personnage que celui de [Molins].

Deux poids, deux mesures

L’exceptionnalisme avec lequel Ramadan a été traité, en soi une violation de l’obligation constitutionnelle de la France de garantir l’égalité devant la loi, est encore plus clair lorsqu’on le compare à des accusations similaires contre d’autres personnalités et comment ces affaires ont été traitées.
Parmi les dizaines de cas similaires de viol, dont beaucoup avec des accusations formelles, qui ont émergé en France (et ailleurs) dans le sillage du mouvement MeToo, Ramadan est le seul qui a été emprisonné de cette façon.
Il y a eu une vague d’accusations d’agression sexuelle avec des accusations formelles de viol notamment contre les dirigeants du principal syndicat étudiant de France.
Mais les exemples flagrants du traitement différencié par l’Etat français ont été les affaires des deux principaux ministres du gouvernement d’Emmanuel Macron, accusés de viol (chacun par deux femmes, comme Ramadan).
Il s’agit du ministre du Budget Gerald Darmanin, “le nouveau Sarkozy”, et le ministre de l’Environnement Nicolas Hulot, un ancien militant écologiste, journaliste et figure de télévision immensément populaire, en France une véritable icône culturelle depuis les années 1980.
Outre une focalisation médiatique embarrassante, pour laquelle ils se sont plaints longuement dans des entretiens profondément empathiques et compatissants pendant lesquels ils pouvaient aussi se défendre, contrairement à Ramadan, ils n’ont eu à subir qu’un bref interrogatoire de police puisque obligatoire dans de tels cas.
Dès que les accusations de viol ont fait surface et que la procédure judiciaire normale a commencé, tout le gouvernement de Macron, y compris le Premier ministre, Edouard Philippe, et le président lui-même ont apporté leur soutien à Darmanin, puis Hulot.
L’une des accusatrices de Hulot était mineure au moment du crime allégué, bien que Hulot nie les accusations. Il a également été accusé par Pascale Mitterrand, la petite-fille du défunt président français François Mitterrand.
Le moment clé de cette manifestation unanime et touchante de soutien fut lorsque Darmanin entra à l’Assemblée nationale française le lendemain de la première enquête préliminaire ouverte contre lui.
Avant la publication des résultats de l’enquête, les députés de la majorité du camp Macron lui ont fait une ovation debout. Darmanin a avoué avoir eu des relations sexuelles avec la «call-girl» qui l’accuse maintenant de viol, en échange d’une faveur dans une affaire judiciaire.

Procès équitable?

Comme on le voit, en France, tout est relatif, flexible et ajustable selon les accusés. Le même ‘deux poids, deux mesures’ peut être observé dans le traitement médiatique de l’affaire Ramadan comparé à celles de Darmanin et Hulot.
Tandis que Ramadan n’a eu qu’un occasionnel rappel, et du bout des lèvres, de la présomption d’innocence, alors que dès l’éclatement de l’affaire Darmanin, les médias ont soudainement adopté un mode différent, beaucoup plus “embarrassé”, et un nouveau thème, celui de “l’éthique des médias” qui doit être réaffirmée pour éviter “l’excès” dans la couverture médiatique “hors contrôle” de l’affaire Hulot.
Les médias français sont d’une autocritique touchante sur le «lynchage» de Hulot, décrivant la couverture médiatique qui lui a été réservée comme un «dérapage», et réaffirmant avec force, cette fois, la présomption d’innocence de Hulot.
Maintenant ils font même campagne contre la «tyrannie de la transparence», tandis que les couvertures et les titres sensationnalistes des journaux [français] se demandent, partout, et avec une opposition apparente au mouvement #MeToo (célébré il y a peu): «Devrions-nous tout exposer» dans nos «tribunaux médiatiques»? Tellement noble. Assez curieusement, Ramadan n’a jamais été évoqué dans ces débats et reste absent de la crise de conscience des médias français. Et les mêmes médias nationaux qui hier mettaient en scène les accusatrices de Ramadan de la manière la plus empathique et compatissante (et bien sûr non critique), utilisent maintenant la diffamation contre les femmes qui ont porté plainte contre les deux ministres.
Rien de tout cela ne concerne les faits de l’affaire Ramadan. Il est soit coupable soit innocent. Mais tout cela suggère certainement qu’il est peu probable qu’il bénéficie d’un procès équitable, tel a été l’abus de pouvoir dans cette affaire.
Via
Alain Gabon
Source
http://www.middleeasteye.net/columns/tariq-ramadan-

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