Carrés musulmans : faute de places, la double peine des familles illustrée jusqu’en Seine-Saint-Denis

La saturation de nombreux carrés musulmans en France met les familles des défunts dans une situation stressante, à l’exemple du parcours du combattant vécu cette année 2023 par une famille de Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. Alors que ses sollicitations aux élus sont restées sans réponse, elle a fini par accepter une solution insatisfaisante après une longue et déchirante attente. Récit.

« Chers élus, Pour la première fois de ma vie en 45 ans, je m’adresse directement à des élus pour vous faire part de mon désarroi et vous alerter sur une situation que je trouve alarmante sur vos territoires. » C’est la lettre d’un fils – nous l’appellerons Alexandre – qui vient de perdre son père, à l’adresse des maires de Bagnolet et de Montreuil, Tony Di Martino et Patrice Bessac, ainsi qu’au député de la circonscription Alexis Corbière. Son père vient de décéder et ce nouveau converti souhaitait être enterré dans le carré musulman de Bagnolet, sa commune d’habitation. Ou à défaut, dans l’un des carrés aménagés sur le territoire d’Est Ensemble, un établissement public territorial situé à l’Est de Paris, en Seine-Saint-Denis.

Le père d’Alexandre résidait à Bagnolet depuis 46 ans. « Il est décédé à l’hôpital intercommunal André Grégoire à Montreuil-sous-Bois, ville où il avait ses habitudes et où ses trois enfants ont été scolarisés. La douleur de perdre son père est terrible et on n’y est jamais préparé mais je ne m’attendais surtout pas aux difficultés que nous allions rencontrer dans les jours qui suivaient », écrit ce fils, qui n’est pas musulman lui-même, dans une lettre que Saphirnews a pu consulter.

Les services de la mairie de Bagnolet lui indique rapidement qu’il n’y a plus de place dans le seul carré musulman que possède la commune. Ils le renvoient sur Montreuil puisque son père est décédé sur ce territoire. Mais à la mairie de Montreuil, on souligne qu’il n’était pas résident de la ville. Or les places sont réservées aux Montreuillois… La situation est kafkaïenne.

La place des musulmans en question

Pendant une dizaine de jours, la famille ne reçoit ni conseil, ni proposition satisfaisante. Les maires de Bagnolet et de Montreuil n’ont pas répondu à la lettre d’Alexandre. Le député non plus. Alertée, Fatiha Keloua Hachi, élue dans la circonscription voisine, se heurte elle aussi à l’indifférence des élus concernés. « Les élus ne savent pas se dépatouiller avec les demandes de carré musulman, estime-t-elle. Cette affaire soulève pourtant la question de la place des musulmans dans ce département, alors qu’un nombre croissant d’entre eux veut se faire enterrer en France. » C’est finalement l’entreprise de pompes funèbres qui trouvera, dix jours plus tard, une solution : une place au cimetière de Valenton, dans le Val-de-Marne, à plus d’une heure en transports en commun.

« Je comprends qu’il n’y ait pas un “droit au carré musulman” : mon père nous a éduqués dans le respect de la laïcité, je comprends qu’il y ait un problème de place dans les cimetières. Je ne comprends pas qu’alors qu’on nous parle d’intercommunalité et d’agglomération, il n’y ait aucune coordination entre vos communes et que ce soit aux familles de faire la navette, poursuit Alexandre dans sa lettre. Je ne comprends pas que la règle froide soit appliquée sans aucune humanité, empathie ou prise en compte de la situation d’ensemble de la personne décédée. Surtout, je suis profondément triste pour mon père qui était attaché à ses villes, qui a voté pour certains d’entre vous et qui a tant de mal à voir sa dernière volonté respectée ».

L’indispensable coordination entre les maires

Comme un nombre croissant de familles d’origine immigrée, la famille d’Alexandre n’a pas gardé de liens forts avec ses racines africaines. « Envoyer le corps en Afrique n’est pas une option pour nous. Nous sommes dans des communes et un département où les musulmans sont nombreux. On nous demande de respecter les lois républicaines, alors on aimerait bien pouvoir se faire enterrer ici », explique à Saphirnews ce citoyen français, qui ne s’est toujours pas remis des dix jours passés à attendre une solution pour pouvoir enterrer son père.

Comme ailleurs en France, la situation devra être traitée sérieusement alors que le foncier est toujours plus rare et cher. « Il faudrait en discuter avec les autres maires pour trouver des solutions pérennes. C’est indispensable car la population commence à nous en vouloir », estime un élu bagnoletais qui préfère ne pas être cité. Pour le moment, chaque maire d’Est Ensemble se débrouille comme il peut.

L’épidémie de la Covid-19 avait mis en évidence le manque révoltant de carrés musulmans en France. La crise sanitaire passée, et bien qu’il existe un peu plus de carrés musulmans qu’avant 2020, le problème est très loin d’avoir été résolu, y compris en Seine-Saint-Denis qui compte portant une forte présence musulmane.

Le 13 avril dernier, le conseil municipal de Bagnolet a voté la création de dix nouvelles places dans le carré musulman du cimetière. « Un pis-aller qui permettra au maire de faire plaisir à quelques privilégiés avant les prochaines élections municipales. Mais ça n’est pas une solution de long terme », estime un observateur local. Contactés par Saphirnews, les maires de Bagnolet comme de Montreuil n’ont pas répondu à nos sollicitations. La balle est, encore et toujours, dans le camp des maires, encouragés à aménager des espaces confessionnels dans les cimetières.

Première parution de l’article sur le site SAPHIRNEWS

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