Le grand malaise du premier tour des législatives 2017

Immense et palpable malaise de tous, éditorialistes, commentateurs et représentants politiques, au soir de ce premier tour des législatives. Même les grands gagnants de La République en marche (LREM), en fait les seuls, auxquels on promet pourtant un tsunami macroniste lors du second tour, sont apparus embarrassés, perplexes, étrangement dépourvus de tout triomphalisme ou même de simple joie devant leur victoire pourtant historique. Que s’est-il donc passé qui puisse expliquer cette étrange humeur de la part des vainqueurs ?

On passera sur les grandes tendances commentés par tous, en premier lieu le spectaculaire « dégagisme » des figures et partis politiques établis, entamé avec les primaires, poursuivi avec la présidentielle, et qui cette semaine vire à l’hécatombe, au massacre de masse, sans aucune exception.
Socialistes, Insoumis, LR, FN et autres enregistrent tous une chute brutale, particulièrement mais logiquement cruelle pour le PS vu qu’il s’agit du parti au pouvoir depuis cinq ans, donc celui qui paie le plus les désillusions et ressentiments des Français.

Et il les paie cher, avec entre autres l’élimination de toutes les grandes figures du hollandisme et des poids lourds de la gauche de gouvernement, de Jean-Christophe Cambadélis à Élisabeth Guigou, d’Aurélie Filippetti à Benoît Hamon lui-même. Hollande étant déjà lui-même totalement oublié des Français.

Mais on remarque que même les partis des candidats dissidents, des « anti-système » qui bénéficiaient jusqu’à la présidentielle d’une posture, d’un positionnement et d’un statut avantageux d’outsiders (Mélenchon et Le Pen) se cassent, eux aussi, la figure, les Insoumis passant de 20 % à 11 % et le Front national de 22 % à 13 %, perdant ainsi des millions de voix entre la présidentielle et les législatives.

Tout se passe comme si le dégagisme, à savoir l’énorme rancœur, désintérêt (au mieux), dégoût et bien souvent haine envers le personnel politique touchait maintenant aussi les dégagistes et « anti-système » eux-mêmes.

Mais, surtout, ce malaise visiblement ressenti par tous, même par les gagnants, provient à l’évidence du catastrophique taux d’abstention, qui, à 51,2 %, pulvérise les records historiques de la Ve République et excède même les pires prévisions sondagières. Que faut-il donc y lire ?


Une abstention record qu’il importe de bien analyser

Certes, cette débâcle s’exprime partiellement par l’extrême personnalisation du système politique français ; par le primat gaullien donné au « pouvoir vertical », cette « prime » à la présidentielle, supposée être une « rencontre entre un homme et un peuple » et désormais une élection qui emporte avec elle les législatives qui la suivent de près ; par l’effet de démoralisation, sur l’opposition, de la propagande médiatique pro-Macron, qui, depuis des semaines, nous promet un raz-de-marée LREM ; par la « fatigue électorale » après déjà tant d’élections depuis les primaires.

Cette abstention constitue bien LE phénomène essentiel de ce premier tour. Elle suit d’ailleurs, en bien pire, celle déjà historique des ABN (abstention-blancs-nuls) du second tour de la présidentielle, qui s’élevait à 37 %.

Surtout, elle touche et concerne également LREM, car elle prouve en effet encore davantage que, contrairement à la macromania insensée des grands médias, qui depuis des mois tentent de nous convaincre qu’Emmanuel Macron est le Sauveur que veulent les Français, LREM suscite finalement bien peu d’enthousiasme en dehors de la petite minorité qui vote pour ce parti. On insiste sur petite minorité, et on en donnera la preuve ci-dessous.

D’où le malaise palpable de tous les représentants de LREM ce dimanche soir, qui ont bien compris le message.

Lorsque plus de la moitié des Français ne se dérangent même plus pour aller voter, il devient en effet nettement plus difficile de perpétuer le mythe de l’enthousiasme, de l’engouement-populaire-pour-le-candidat-et-parti-du-renouveau-qui-va-enfin-sauver-la-nation. Ce prétendu engouement, ce « désir de Macron » que « La France », nous rabâche-t-on inlassablement, est censée éprouver, on a encore pu le mesurer ce dimanche.

LREM a en effet recueilli 32 % des voix, alors que Macron lui-même n’en avait obtenu que 24 % au premier tour de la présidentielle, le surplus du second tour de la présidentielle provenant essentiellement du vote-barrage anti-Le Pen.

Déjà, nous devrions tous nous demander depuis quand 24 % et 32 % constituent des « raz-de-marée » ? Mais surtout, chose à ne pas oublier, il s’agit de 32 % des votes effectifs, hors abstention. Donc, de 32 % des 49 % des inscrits qui sont allés voter. A savoir que ce ne sont que 15 % des électeurs inscrits qui ont donc voté LREM.

Mais il y a pire.


Un système fondamentalement anti-démocratique

Du fait des institutions gaulliennes et de l’effet d’amplification massif donné aux grands partis, concomitant de l’éradication des plus petits partis, les projections montrent qu’avec seulement 32 % des votes et 15 % des inscrits, LREM pourrait en fait obtenir plus de 80 % des sièges ! Entre 400 et 440 sur les 577. On voit le décalage, le gouffre abyssal entre les votes et les sièges !

Inversement, même s’il obtient quand même 13 % des votes, ce qui le place devant les Insoumis et le Parti socialiste et est loin d’être négligeable, le Front national, lui, que 2 ou 5 sièges sur 577, à savoir à peine 1 % malgré leur score de 13 %, et même pas assez pour constituer un groupe.

Quant aux Insoumis et aux Socialistes-Ecolo-Divers Gauches, chacun autour de 10 %, ils n’obtiendraient, eux, qu’une petite vingtaine de sièges chacun. Le Parti communiste et autres petits partis, encore bien moins ou quasi rien.

À ce niveau, et quoi que l’on pense de ces partis car la question n’est pas là, on ne peut même plus parler de portion congrue, l’expression est trop faible. Il faut parler de marginalisation délibérée, voire d’exclusion pure et simple d’électorats et de familles politiques entières du jeu institutionnel.

Les millions d’électeurs de ces partis apprécieront de se voir éjectés aussi allègrement de la représentation nationale au profit d’un parti, qui, même élu avec une minorité de voix, raflerait la vaste majorité des sièges. On voit donc à quel point les institutions (pseudo)représentatives de la Ve République sont anti-démocratiques et véritablement à bout de souffle.

Ce déni de représentativité de tous les Français au profit de majorités larges et stables ne peut qu’alimenter encore davantage l’anti-parlementarisme, le rejet de la politique, des castes politiques et des institutions, en poussant les Français dans la rue ou dans des formes d’oppositions radicales, hors système, puisque, à l’évidence cette élection prouve encore que le système ignore leur existence et refuse de leur donner une voix, une existence parlementaire.

Il ne peut également que décrédibiliser encore davantage les majorités parlementaires. Du coup, paradoxalement, la future majorité LREM, malgré la vague Macron et sa victoire véritablement historique, risque bien de jouir d’encore moins de légitimité que les précédentes !

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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan University, où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.

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