Syrie : Pourquoi regardons-nous ailleurs ?

Cela fait presque deux mois qu’une tribune d’intellectuels est parue dans « Le Monde » pour alerter l’opinion française sur ce qui se passe dans la région d’Idlib dans le nord-est de la Syrie.

Cette tribune dénonçait à la fois l’hypocrisie européenne, les bombardements de civils et les déplacements de population qui s’y accomplissent dans le silence médiatique et politique. 

Le chiffre de 900 000 déplacés, répété depuis pour ce qui apparaît comme la plus grande catastrophe humanitaire depuis le début de la guerre en Syrie, n’a pas suffi à hisser durablement ces événements à la une de nos journaux et de l’agenda politique international.

Pourquoi, malgré les faits rapportés par les organismes humanitaires et les journalistes, les témoignages recueillis sur la Syrie intéressent-t-ils si peu ?


Les éclats de rire d’une enfant sous les bombes 

Que dit la vidéo de la jeune enfant syrienne Saloua, à qui son père a appris à rire du bruit des bombes, du degré d’horrification et de déshumanisation qu’atteint la guerre en Syrie ? 

Les dessins de l’ex-prisonnier syrien Najah Albukai traduisent “l’horreur des geôles syriennes, les techniques de torture, le quotidien dans les prisons, les gens qui portaient les cadavres“. Face à cela, “il y a une sorte d’humanité qui ressort, les gens sont choqués mais à la fin, ils se sentent impuissants” reconnait le dessinateur. 


Quand l’être humain n’est plus 

La journaliste indépendante Garance Le Caisne regrette avec amertume que l’“on s’intéresse aux chiffres quand ils deviennent des symboles. Lorsque l’on a atteint les 900 000 déplacés, alors là, on va faire des papiers parce qu’on est presque à un million“.

C’est comme si les syriens étaient devenus des numéros, des choses. Ils sont invisibles, on ne les voit plus. Il y a certes ce trop-plein d’images, mais aussi la volonté du régime d’annihiler l’être humain. Garance Le Caisne 

Garance Le Caisne confie que “c’est trop dur d’essayer de comprendre ou d’intégrer ces massacres et ces crimes. On n’est pas capable de faire face à cela“. A ce titre, l’ancien ambassadeur de la France en Syrie, Michel Duclos parle de “nouvelle normalité” pour évoquer les massacres et les bombardements. Il note que “si les gens détournent le regard, c’est à cause du sentiment d’impuissance. Comme on ne peut pas faire grand chose, on préfère de ne pas s’appesantir“.

A Idlib, on a atteint la limite extrême de l’inhumanité de la part d’un régime, qui est un régime de terreur, et qui a sciemment ciblé des villes où il n’y avait plus de djihadistes, mais des structures médicales, et cela dans le but uniquement de démoraliser la population. Michel Duclos

Le “reniement” de la classe politique 

Il y a une forme de reniement de la part de notre classe politique, dans ce refus de voir que cela va directement à la fois contre nos intérêts et contre ce à quoi nous sommes censés croire. Michel Duclos 

Joël Hubrecht note que “face au trop-plein de crime, de souffrances, de destruction -et cela, depuis des années-, il n’y a pas un trop-plein de mobilisation, il y a même un déficit de réaction de la part des démocraties“. 

D’après Michel Duclos, “la classe politique n’a pas les bonnes lunettes, les bonnes grilles de lecture“. A ce titre, Joel Hubrecht note que “la menace, le traumatisme djihadiste et le terrorisme, […] nous font voir les victimes syriennes comme des victimes collatérales d’une lutte mondiale contre le terrorisme, alors que les syriens sont les victimes d’un terrorisme d’Etat“. 

Je n’ai plus aucune confiance dans nos hommes politiques. Ils ont laissé mourir deux français dans les geôles de Bachar el-Assad sans lever le petit doigt. C’est quelque chose qui ne sera jamais pardonné. Garance Le Caisne 

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