La ‘Omra (le petit pèlerinage) : Au-delà des rites, le réveil du cœur

La ‘Omra (le pèlerinage) une adoration qui ne se vit qu’à La Mecque, est souvent présentée comme une succession de rites précis : entrer en état de sacralisation (ihram), accomplir le tawaf autour de la Ka‘ba, parcourir les allers-retours entre Safâ et Marwa, couper ses cheveux. Pourtant, si nous en restons à l’aspect extérieur, nous risquons de ne retenir de ce voyage que l’image d’un enclos de règles et d’interdits, sans jamais pénétrer dans le jardin intérieur que Dieu a voulu nous offrir.

Car les conditions et interdits entourant l’ihram ne sont pas une fin en soi. Ils sont comme une clôture destinée à protéger ce qui pousse à l’intérieur : les fleurs de la foi, les fruits de la patience, la verdure du cœur qui reprend vie après les sécheresses de l’oubli et des passions.

Le danger de s’arrêter aux « barbelés »

Le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « Le licite est clair et l’illicite est clair, et entre les deux se trouvent des choses équivoques que beaucoup de gens ne connaissent pas. Celui qui s’éloigne des choses équivoques préserve sa religion et son honneur. À l’image du berger qui fait paître autour d’un enclos : il est sur le point d’y faire entrer son troupeau. Or, chaque roi a un enclos, et l’enclos de Dieu ce sont Ses interdits. » [1]

Cet enclos existe bel et bien, et il faut le respecter. Mais l’enclos n’est pas le but. Le but est ce qu’il protège : la proximité avec Dieu, le cœur vivant, la saveur de la foi.

Redonner vie au cœur

Dieu nous a créés avec un cœur capable de voir, d’entendre et de goûter à des réalités spirituelles que les yeux et les oreilles physiques ne perçoivent pas. Dans le Coran, Il dit : « Ce ne sont pas les yeux qui s’aveuglent, mais ce sont les cœurs qui sont dans les poitrines qui s’aveuglent. » [2]

Et le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « Il y a dans le corps un morceau de chair : s’il est sain, tout le corps est sain ; et s’il est corrompu, tout le corps est corrompu. N’est-ce pas le cœur ? » [3]

La ‘Omra est donc une invitation à demander à Dieu que notre cœur recouvre sa vue, son ouïe et son goût spirituels. Car le Prophète, paix et salut sur lui, a dit aussi : « Celui qui goûte à la foi, c’est celui qui est satisfait de Dieu comme Seigneur, de l’islam comme religion, et de Muhammad comme Messager. » [4]

La foi a un goût, et la ‘Omra est l’occasion de le redécouvrir

L’expérience de Ja‘far as-Sâdiq, puisse Dieu lui accorder Sa miséricorde : voir au-delà des créatures

Un récit ancien rapporte qu’un homme insista auprès de Ja‘far as-Sâdiq, descendant du Prophète, paix et salut sur lui, et homme de science et de vertu, pour « voir Dieu ». Il lui dit que les partisans du prophète Moussa (paix sur lui) lui firent la même demande qui ne fut pas acceptée. L’homme répondit : « Je suis de la communauté de Mohammed (paix sur lui) », comme pour dire je ne souffre pas des mêmes limites que celle de Moussa (paix sur lui).

Ja‘far, voyant son entêtement, ordonna à ses disciples de l’attacher et de le jeter dans une rivière voisine. L’homme, surpris, lutta pour rester à la surface. En suffoquant, il criait : « Ja‘far, aide-moi ! Sauvez-moi ! » Ses yeux ne voyaient alors que Ja’far et ses disciples, et il ne pensait qu’à eux pour le délivrer.

Mais au fur et à mesure que l’eau l’épuisait et qu’il comprit que Ja‘far ne répondrait pas à son appel, il cessa de les appeler. À ce moment précis, Ja‘far, homme de Dieu, discerna le changement intérieur qui venait de se produire. Il dit alors à ses disciples : « Repêchez-le maintenant. »

Lorsqu’on le ramena sur la berge, Ja‘far l’interrogea : « Qu’as-tu vu ? ». L’homme répondit : « Au début, je ne voyais que toi et les tiens pour me sauver. Vous étiez ma seule attente. Mais quand j’ai compris que vous ne feriez rien, je ne vous ai plus vus. Alors, dans mon désespoir, j’ai vu Dieu, mon Créateur. »

Ja‘far lui dit alors : « Une fenêtre s’est ouverte dans ton cœur. Veille à ce qu’elle ne se referme jamais. »

Ce récit illustre ce que signifie détourner son cœur des créatures pour ne dépendre que du Créateur. Tant que nous comptons sur les hommes, nos regards restent voilés. Mais lorsque toute attente humaine tombe, le cœur s’ouvre à la vision intérieure de Dieu.

La ‘Omra est de ces instants privilégiés où l’homme, noyé dans la foule et dans sa propre petitesse, peut ressentir cette vérité : personne ne peut répondre à mon appel sinon Dieu. C’est dans cette sincérité nue que s’ouvre la fenêtre du cœur.

L’exemple du Prophète, paix et salut sur lui, à At-Ta’if

Lorsque le Prophète se rendit à At-Ta’if au début de sa mission, il fut rejeté et humilié. Les notables excitèrent les enfants et les marginaux pour lui jeter des pierres. Épuisé, ensanglanté, il se réfugia dans un verger. Là, il éleva une prière qui résonne encore comme l’une des plus belles invocations : « Seigneur, je me plains à Toi de ma faiblesse, de mon manque de ressources et de l’humiliation que l’on m’inflige. Ô Toi le plus Miséricordieux des miséricordieux, Tu es le Seigneur des opprimés et Tu es mon Seigneur. À qui me confies-Tu ? À un étranger qui me repousse ? Ou à un ennemi à qui Tu as donné pouvoir sur moi ?

Si Tu n’es pas en colère contre moi, alors peu m’importe. Mais Ta protection est pour moi plus vaste encore. Je cherche refuge dans la lumière de Ton Visage qui dissipe les ténèbres et qui répare toutes les affaires de ce monde et de la vie dernière, afin que ne descende pas sur moi Ton courroux, ou que ne s’abatte pas sur moi Ton mécontentement. À Toi la satisfaction jusqu’à ce que Tu sois pleinement satisfait. Et il n’y a de force et de puissance qu’en Toi. » [5]

Il n’a pas maudit ceux qui l’avaient blessé, car sa relation intime avec Dieu le comblait entièrement. Voilà ce que la ‘Omra doit nous inspirer : un lien qui transcende toutes les épreuves.

La ‘Omra comme exercice spirituel

La ‘Omra est à la vie spirituelle ce que l’entraînement est au corps. Celui qui commence le sport ne ressent pas immédiatement du bien-être. Au contraire, les premières séances s’accompagnent de douleurs, de souffrance, parfois même de découragement. Mais à force de répétition, le corps s’assouplit, s’habitue, se renforce, et finit par goûter aux bienfaits de l’exercice.

Il en est de même pour le cœur et pour l’ego face à l’adoration. Celui qui n’est pas habitué à prier longuement, à invoquer, à veiller la nuit, ne goûte pas tout de suite aux fruits des adorations (sachant que ce n’est pas la finalité des adorations qui sont la pour plaire à Dieu au point d’en oublier nos propres attentes !). Il peut même ressentir un grand vide : sa prière lui semble absente, ses invocations lui paraissent vides de sens.

Mais c’est précisément cela l’exercice spirituel : répéter encore et encore, prière après prière, nuit après nuit, jusqu’à ce que le cœur s’assouplisse et s’ouvre.

L’essentiel est de ne pas perdre espoir. Se sentir vide n’est pas un signe d’échec, c’est un signe qu’on est en plein exercice. Il faut alors transformer cette absence en une plainte adressée à Dieu. Dire : « Seigneur, me voici devant Toi. Les autres pleurent et moi je ne ressens rien. Les autres semblent loin devant moi et je traîne à l’arrière. Ô Seigneur, je T’implore, ouvre-moi la porte de Ton intimité. »

Ces plaintes sont elles-mêmes une forme de dialogue avec Dieu. Car Dieu aime que Son serviteur se tourne vers Lui dans ses moments de force comme dans ses moments de faiblesse, dans ses élans comme dans ses vides.

Ainsi, la ‘Omra est une occasion de multiplier ces exercices, de persévérer malgré l’absence de goût immédiat, jusqu’à ce que Dieu, par Sa grâce, ouvre le cœur et lui donne de goûter à la saveur de la foi.

La prière à La Mecque : au-delà des chiffres

Le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « Une prière dans ma mosquée vaut mieux que mille prières ailleurs, sauf dans la Mosquée sacrée (à la Mecque). Et une prière dans la Mosquée sacrée vaut cent mille prières ailleurs. » [6]

Ce hadith est souvent lu d’une manière comptable : cent mille prières = cent mille fois plus de hassanât (d’œuvres pieuses). Cette lecture est vraie pour celui qui ne voit dans l’adoration qu’une accumulation de mérites. Mais celui qui regarde la prière comme un exercice spirituel, une rencontre intime avec Dieu, y voit autre chose.

Il y discerne une opportunité de raccourci dans le cheminement vers Dieu. Comme si une seule prière faite dans ce lieu équivalait à des centaines de milliers de pas franchis dans l’assouplissement de l’ego, dans le raffermissement du lien avec Dieu, dans l’élévation de l’âme.

Le Prophète, paix et salut sur lui, a parlé des degrés du Paradis : il en existe cent, et le plus haut est le Firdaws, sous le Trône du Tout Miséricordieux et où se situent toutes les sources des fleuves paradisiaques qui descendent dans les autres niveaux. Chaque degré correspond à une proximité accrue avec Dieu. Ainsi, prier à La Mecque, c’est réduire d’un coup la distance qui sépare notre cœur de cette proximité, comme si l’on gravissait plusieurs degrés d’un seul pas.

Celui qui se rend à la Mosquée sacrée ne s’y rend pas sans effort : fatigue du voyage, éloignement de ses habitudes, parfois maladie, tristesse ou nostalgie. Mais lorsqu’il persévère malgré ces obstacles et se tient debout devant son Seigneur en ce lieu unique, cette prière a pour Dieu une valeur incomparable.

On pourrait l’imaginer ainsi : un enfant qui rend service à ses parents reçoit toujours une récompense, mais lorsque son geste touche particulièrement le cœur de son père ou de sa mère, la récompense se fait plus grande et plus tendre. De même, la prière accomplie à La Mecque, dans ces conditions exceptionnelles, provoque une satisfaction plus intense de Dieu, et c’est de là que vient sa multiplication.

Ainsi, ne perdons pas de vue l’essentiel : derrière les chiffres, derrière la promesse de cent mille, se trouve Celui à qui nous adressons cette prière. Le but n’est pas l’accumulation mécanique de hassanât, mais l’ouverture du cœur à une intimité profonde avec le Créateur.

La ‘Omra, occasion de pardon et d’allègement

Le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « D’une ‘Omra à une autre, c’est une expiation de ce qui est commis entre les deux. » [7]

La ‘Omra est donc une opportunité de pardon. Elle permet d’alléger son cœur du fardeau des péchés, mais aussi de leurs conséquences dans la vie quotidienne. Car les péchés ne sont pas de simples traces invisibles : ils pèsent sur nos existences, ils obscurcissent nos cœurs et compliquent nos relations.

Combien de tristesses, de blocages intérieurs, de difficultés familiales, de tensions avec nos enfants ou même de troubles psychologiques trouvent leur racine dans des péchés passés ! Pour le croyant, Dieu fait en sorte que chaque faute soit purgée tôt ou tard, ici-bas ou dans la vie dernière, afin qu’il arrive à Lui purifié.

La ‘Omra est ainsi un moment privilégié pour soulager son âme et son existence. Celle où celui qui accomplit ce voyage sincèrement se trouve délesté d’un poids qui l’empêchait peut-être d’avancer. Il cesse de faire du surplace, de se battre contre les épreuves engendrées par ses fautes, et retrouve la légèreté nécessaire pour marcher vers Dieu pas après pas.

C’est pourquoi il est important, en plus du but ultime qui est la proximité avec Dieu, de multiplier les intentions en partant pour la ‘Omra : obtenir Son pardon, repartir à zéro, alléger son cœur et sa vie des conséquences des péchés.

Mais au-delà de tout cela, le sommet de l’intention reste de chercher Dieu Lui-même : Le rencontrer par le cœur dans ce monde, et vivre auprès de Lui dans la vie dernière.

Conclusion : préparer son cœur pour partir… et pour revenir

Ce premier pas vers la ‘Omra est une préparation intérieure. Bien avant de préparer un sac ou un passeport, il s’agit de préparer son cœur. Et préparer son cœur, c’est d’abord se poser la question : Avec quel besoin vais-je à la ‘Omra ?

Si mon besoin est faible, je ne recevrai que peu. Mais plus ce besoin est grand, plus il se rapproche du besoin des Prophètes eux-mêmes : ce besoin vital de Dieu, ce désir ardent de Sa proximité. Plus mon cœur est creusé par ce besoin, plus il ressemble à un vaste panier capable de recueillir les bienfaits qui descendent sans cesse sur les Lieux saints. Celui qui part avec un grand besoin reviendra riche, son panier rempli de grâces, tandis que celui qui part distrait risque de revenir presque les mains vides.

La deuxième préparation essentielle est de se souvenir que la ‘Omra n’est pas une parenthèse isolée de quelques jours. Beaucoup de pèlerins vivent une expérience intense, coupés de leurs habitudes et baignés dans l’atmosphère sacrée de La Mecque. Mais une fois rentrés, ils sombrent dans une sorte de nostalgie douloureuse, comme s’ils avaient laissé là-bas toute leur foi et toute leur lumière. Ils reviennent avec la fatigue, parfois même avec la dépression, parce qu’ils avaient circonscrit leur relation à Dieu et à Son Prophète, paix et salut sur lui, uniquement à ces lieux bénis.

Or, le croyant sincère ne fait pas ses adieux à la Ka‘ba ou au Prophète, paix et salut sur lui, le dernier jour de son séjour. Il renforce son lien durant son voyage, et il revient avec ce lien vivant, permanent, continu. Ses prières, ses invocations, sa proximité avec Dieu ne restent pas enfermées dans la Mecque, elles l’accompagnent jusque chez lui, dans sa maison, dans sa famille, dans son quotidien.

Voilà pourquoi la préparation ne se limite pas à l’avant-voyage. Elle prépare aussi le pendant et surtout l’après. Celui qui part avec l’intention d’établir un lien durable avec Dieu, d’enraciner une intimité profonde qui ne dépend ni d’un lieu ni d’un moment, celui-là revient transformé et enrichi.

La ‘Omra devient alors une source continue : elle n’est pas seulement un souvenir, mais un point de départ

[1]Hadith authentique, Bukhari et Muslim

[2]Sourate al-Hajj, 22:46

[3] Bukhari et Muslim

[4] Muslim

[5] اللَّهُمَّ إني أشكو إليك ضَعْفَ قُوَّتي، وقِلَّةَ حيلتي، وهَواني على الناس، يا أرحم الراحمين، أنت ربُّ المستضعَفين، وأنت ربِّي، إلى مَن تكلني؟ إلى بعيدٍ يتجهَّمُني؟ أم إلى عدوٍّ ملَّكْتَهُ أمري؟ إن لم يكن بك غضبٌ عليَّ فلا أبالي، ولكن عافيتك هي أوسعُ لي. أعوذ بنور وجهك الذي أشرقت له الظلمات، وصلُحَ عليه أمرُ الدنيا والآخرة، من أن ينزل بي غضبُك، أو يحلَّ عليَّ سخطُك. لك العُتبى حتى ترضى، ولا حول ولا قوة إلا بك.

[6] Ahmad, authentifié par al-Albani

[7] Bukhari et Muslim

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Omra : Renouveler son pacte avec Dieu et son allégeance au Prophète

Ma première Omra : Un voyage béni, dans un lieu béni pendant une période bénie

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