Le conseil de la vérité : Lien du cœur et rappel du Vrai (5/7)
Cet été, nous vous proposons une série de 7 chroniques, pour méditer ensemble l’une des sourates les plus concises et les plus denses du Livre de Dieu : sourate Al-‘Asr. Trois versets. Moins de vingt mots. Et pourtant, un monde entier y tient, comme dans une graine que le ciel aurait plantée dans le cœur humain.
Depuis des siècles, sages et savants l’ont méditée comme une synthèse du message coranique. L’imam Ash-Shâfi‘î disait : « Si les gens méditaient cette sourate, elle leur suffirait. »
Aujourd’hui, alors que le temps nous échappe, que l’individualisme fragilise la foi, que la vérité se dilue dans le bruit, cette sourate appelle à un retour à l’essentiel. Ensemble.
Cette chronique n’est ni une exégèse, ni une analyse académique. C’est une lecture vivante enracinée dans la tradition et tournée vers l’âme contemporaine. Car cette sourate trace une voie claire : croire en Dieu, œuvrer avec sens, se rappeler la vérité, et persévérer — ensemble. Puisse cette méditation t’éveiller, t’éclairer, te relier.
Se conseiller mutuellement Dieu, avec douceur, courage et persévérance
Le mot tawâṣaw implique un échange mutuel, durable et récurrent. Ce n’est pas un simple conseil ponctuel : c’est une chaîne d’or entre les cœurs croyants, tendue tout au long du chemin. Elle lie les âmes et les ramène sans cesse vers le cap, lorsque l’oubli, l’éparpillement ou l’épreuve font trembler la marche.
Et le mot al-ḥaqq, ici, déborde largement la vérité factuelle ou morale. Il est un des attributs de Dieu, Son rappel, Sa voie, Sa lumière, Sa direction suprême. Ibn Qayyim disait : « Le Haqq, c’est Dieu, Sa révélation, Son évocation, Son service. »
C’est donc Dieu qu’on se rappelle, Dieu qu’on recommande, Dieu qu’on ravive en autrui — non seulement des consignes ou des normes.
Pourquoi se conseiller la vérité continuellement ?
On pourrait se demander : pourquoi cette injonction à se conseiller la vérité, au moyen d’un verbe qui exprime la continuité, presque l’obsession ? La réponse est simple, mais tranchante : parce que croire une fois ne suffit pas.
Combien s’engagent dans un projet avec de nobles intentions, mais, faute de rappels, glissent peu à peu ? Ils ne renouvellent plus ni leur foi, ni leur ambition, ni leur sincérité. Ils avancent, mais les mains liées, les yeux fermés. Ils sont pris dans l’engrenage de l’œuvre, exposés aux ruses de l’ego, des passions, de Satan. Et parfois, la déviation est si subtile qu’elle prend les traits du succès. On appelle cela l’istidrâj (la déviation progressive : Dieu laisse progresser… vers la chute : « Laisse-Moi avec ceux qui traitent ce discours de mensonge. Nous les ferons dévier progressivement sans qu’ils ne s’en rendent compte. » [1]
L’histoire en est remplie : de grands porteurs de projets qui finirent par dominer des peuples dans la tyrannie, alors qu’ils avaient commencé avec plein de bonnes intentions.
Rappeler le Vrai, c’est rappeler Dieu
C’est pourquoi se conseiller la vérité, c’est avant tout rappeler Dieu. Rappeler Le Vrai. Se rappeler qu’on ne chemine pas vers un idéal personnel, mais vers le Seigneur de l’univers. Que même quand l’engagement est noble, la dérive est toujours possible, si l’on oublie la source.
Il est d’ailleurs remarquable que l’action et l’implication au sein de projets vertueux soient-ils sont encadrées par la foi (ceux qui portent la foi) et l’encouragement mutuel à la vérité (qui s’encourage et mutuellement à la vérité).
C’est pourquoi Dieu a voulu que l’homme chemine au milieu de témoins, de guides, de frères et de sœurs en Dieu. Comme l’a dit le Prophète, paix et salut sur lui : « L’individu est de l’intensité de foi de son ami intime… Regardez donc qui vous prenez pour ami. » [2]
Si ce principe vaut individuellement, à plus forte raison pour le groupe auquel on confie son avenir spirituel. Il ne s’agit pas de suivre un influenceur charismatique, ni un groupe habile en communication, mais un groupe de croyants qui rappelle Dieu, qui unit les cœurs dans le service de Sa cause, et qui organise des espaces où la vérité peut circuler avec douceur et profondeur.
Et dans ces liens fraternels, le bon conseil devient possible. Parce qu’on se fréquente, on se connaît, on s’aime. On sait comment parler à l’autre, on ressent quand il s’éloigne, on perçoit ce qui l’épuise. Le climat relationnel est préparé, l’ego est prêt à entendre. Parfois, c’est un mot glissé à l’oreille. Parfois, c’est une parole lancée dans une assise, qui touche indirectement mais profondément. Parfois, c’est un silence plein de sens. Et parfois, c’est une intervention ferme, mais aimante, pour te sortir de la paresse, de la colère ou de la dispersion.
Des hommes et des femmes qui rappellent Dieu
Le Prophète, paix et salut sur lui, a rapporté de la part de son Seigneur — dans un hadith qudsî — qu’Il a dit : « Quiconque s’en prend à l’un de Mes intimes, Je lui déclare la guerre. Mon serviteur ne se rapproche de Moi par rien qui M’est plus agréable que ce que Je lui ai rendu obligatoire. Et Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi par les œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Et lorsque Je l’aime, Je suis l’ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit, la main par laquelle il saisit, et le pied par lequel il marche. Et s’il Me demande, Je lui donnerai. Et s’il cherche refuge auprès de Moi, Je lui accorderai Ma protection. » [3]
Lorsque ces êtres d’élite sont présents dans un groupe de croyants, leur simple regard, leur silence, leur douceur, rappellent Dieu. Ils sont des balises, des phares, dans la nuit de l’action et de la dispersion. Leur présence est une énergie vivante contre la fatigue, l’orgueil ou l’égarement. Ils sont les hors pair (al-mufarridûn) évoqués dans le hadith.
Se rappeler la vérité au cœur de la mêlée
Car l’action — même au service de Dieu — peut devenir une diversion si elle n’est pas sans cesse réorientée. La cause peut éclipser le Créateur des causes. Le plein engagement peut éclipser l’amour. L’opinion peut étouffer la sagesse. Et dans les critiques, les désinformations, les épreuves extérieures, seul celui dont le cœur repose sur Dieu et s’entoure de rappels pourra tenir droit.
Le Prophète, paix sur lui, aurait pu s’appuyer sur des miracles ou des invocations pour triompher. Mais il a choisi les causes, la patience, le dialogue, le pardon. Il a refusé que l’ange des montagnes écrase ses ennemis, espérant qu’un jour leurs descendants croiraient. Il a organisé la compagnie des croyants, pour que dans le tumulte de la mission, le lien avec Dieu ne soit jamais perdu.
Une dynamique collective d’élévation
Dans un groupe de croyants bien structuré, ces espaces de vérité et de bon conseil sont aménagés :
• Des assises régulières, à taille humaine, pour se réancrer et vivre l’amour en Dieu.
• Des rencontres plus larges, pour côtoyer ceux qui ont cheminé bien avant nous.
• Des moments d’intimité spirituelle, pour raviver la source.
• Des hommes et femmes de Dieu, qui, par leur simple fréquentation, élèvent l’âme.
Se conseiller la vérité, ce n’est pas se juger. C’est se sauver mutuellement. C’est se prêter attention, se remettre en direction, s’arracher ensemble à la dispersion. C’est aimer Dieu à travers l’autre, et aider l’autre à aimer Dieu.
Et surtout : c’est viser le sommet, le paradis de Firdaous, la compagnie de Dieu. Car ce qui anime le croyant, ce n’est pas de simplement éviter l’enfer, ni d’avoir une place quelconque au paradis. C’est d’être auprès de Dieu, avec ceux qu’il aime, dans la lumière éternelle.
Le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, a dit : « Lorsque vous demandez à Dieu [le Paradis], demandez-Lui le Firdaous, car c’est le centre et le plus haut niveau du Paradis. Au-dessus de lui se trouve le Trône du Tout Miséricordieux, et de lui jaillissent les rivières du Paradis. » [4]
A suivre …
Lire aussi : Les Lumières de sourate al Asr
[1] Sourate Al-Qalam, 68:44 [2] Rapporté par Abū Dâwūd [3] Rapporté par al-Bukhârî [4] Rapporté par al-Bukhârî