Une lumière qui se partage… et se construit (3/7)

Cet été, nous vous proposons une série de 7 chroniques, pour méditer ensemble l’une des sourates les plus concises et les plus denses du Livre de Dieu : sourate Al-‘Asr. Trois versets. Moins de vingt mots. Et pourtant, un monde entier y tient, comme dans une graine que le ciel aurait plantée dans le cœur humain.
Depuis des siècles, sages et savants l’ont méditée comme une synthèse du message coranique. L’imam Ash-Shâfi‘î disait : « Si les gens méditaient cette sourate, elle leur suffirait. »
Aujourd’hui, alors que le temps nous échappe, que l’individualisme fragilise la foi, que la vérité se dilue dans le bruit, cette sourate appelle à un retour à l’essentiel. Ensemble.
Cette chronique n’est ni une exégèse, ni une analyse académique. C’est une lecture vivante enracinée dans la tradition et tournée vers l’âme contemporaine. Car cette sourate trace une voie claire : croire en Dieu, œuvrer avec sens, se rappeler la vérité, et persévérer — ensemble.
Puisse cette méditation t’éveiller, t’éclairer, te relier.
Croire ensemble, grandir ensemble, se reconstruire en Dieu
« Sauf ceux qui portent la foi… » – ﴿إِلَّا الَّذِينَ آمَنُوا﴾ – Illā alladhīna āmanū
Dieu ne dit pas : « sauf celui qui porte la foi », ce qui permettrait de rester en apparente cohérence avec le singulier de « l’homme est en perdition ». Il choisit le pluriel : « ceux qui portent la foi » (āmanū). Pourquoi ce glissement ?
Parce que la foi véritable ne peut se vivre seule. Elle se vit en lien, en reliance, en résonance. Elle a besoin d’un climat, d’un sol fertile, d’une communauté vivante. Elle se cultive dans l’interaction, dans la fréquentation des cœurs éveillés, dans l’effort partagé.
Mais surtout, la foi ici est présentée comme un projet. Le verbe āmanū ne signifie pas simplement “croire”. Il signifie : porter la foi, s’en charger, la faire vivre.
C’est un projet existentiel : retrouver un cœur qui voit, qui entend, qui ressent, qui aspire à Dieu. Et cela ne s’accomplit pas en solitaire.
Le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « L’individu est de l’intensité de foi de son ami intime (عَلَى دِينِ خَلِيلِهِ). [1]. Que chacun de vous regarde donc qui il prend pour compagnon. » [2]
L’imam Mâlik disait :« La foi est une lumière que Dieu dépose dans le cœur. Elle augmente par l’obéissance et diminue par la désobéissance. »
Mais cette lumière, Dieu a voulu qu’elle circule, qu’elle se transmette de cœur en cœur, dans les assises de foi (majâlis al-īmān), dans les cercles de fraternité sincère, dans la présence d’hommes et de femmes qui rappellent Dieu rien que par leur attitude, leur silence, leur regard.
Dans notre époque, pourtant, l’islam est vécu au singulier.
On regarde des vidéos seul. On lit seul. On prie seul. On chemine seul.
Même les prêches sont adressés à une foule d’individus sans liens.
Et même lorsqu’un projet collectif est lancé, il est souvent structuré autour d’objectifs visibles : défendre un droit, occuper un local, organiser une action. Mais l’épanouissement intérieur de l’individu y est souvent ignoré ou marginalisé.
On ne lui demande pas s’il avance dans sa foi.
On ne lui demande pas où il en est avec l’apprentissage du Coran.
On ne veille pas sur son cœur.
On ne lui offre pas d’espace pour apprendre à aimer Dieu, pour purifier son intention, pour goûter à la paix dans l’évocation de Dieu (dhikr).
Ceux qui s’impliquent se retrouvent épuisés, utilisés, oubliés.
On leur parle d’assiduité, de présence, d’utilité… mais jamais de leur relation avec Dieu.
Mais ici, dans cette sourate, Dieu rétablit le bon ordre.
Il dit : le salut, c’est le pluriel de la foi.
Un pluriel qui ne flatte pas les egos, mais qui les cadre.
Un groupe dont le cœur du projet est l’élévation des cœurs vers Dieu.
Un groupe qui ne met pas l’action au centre, mais une action fruit de la foi, et une foi nourrie par l’action.
Et c’est la cohérence parfaite avec l’exemple prophétique.
En pleine marche pour faire face à un ennemi hostile, il s’arrête avec ses compagnons et leur dit : « Les hors pair ont pris les devants. » Ils demandèrent : « Qui sont les hors pair, ô Messager de Dieu ? » Il répondit : « Ceux et celles qui évoquent Dieu abondamment. » [3]
Ce hadith est central : il replace l’évocation de Dieu au sommet du mérite, au cœur du mouvement, au centre de la fraternité.
Ceux qui prennent les devants sont ceux qui qui portent Dieu dans leur cœur, et le rappellent aux autres tout en étant dans l’action.
Et ce type de compagnie, c’est ce que nous devons rechercher.
Pas moins que ça.
Acquérir la foi, selon la sourate Al-‘Asr, est donc un engagement. Un chemin. Un effort.
Un projet de reconstruction du cœur, en lien avec d’autres cœurs.
Car on n’apprend pas la générosité sans voir un généreux.
On ne goûte pas la douceur (rifq) sans fréquenter les personnes imprégnées de douceur.
On ne saisit pas la grandeur de l’humilité tant qu’on ne voit pas un homme effacé devant Dieu.
Le groupe devient alors un miroir vivant :
• Où l’on se voit,
• Où l’on s’élève,
• Où l’on se réforme,
• Où l’on se découvre capable d’aimer en Dieu, d’agir pour Lui, de pleurer pour Lui.
Et cela nous ramène au sens profond de la profession de foi : Lā ilāha — je me détache des fausses divinités, Illā Allāh — et je me dirige vers Dieu, avec ceux qui ont fait le même choix.
Dans la sourate Al-Balad, Dieu dit : “Mais il n’a pas franchi l’obstacle…” [4]
Le croyant est appelé à gravir la pente, à se lancer dans une ascension intérieure.
Et cette ascension commence par le choix du groupe.
Par la recherche d’un groupe qui respire la foi, d’une sohba (lien spirituel) qui réveille l’âme, d’un chemin où l’on apprend à aimer, à agir, à patienter ensemble.
A suivre …
[1] « L’individu est de l’intensité de foi de son ami intime (عَلَى دِينِ خَلِيلِهِ). Que chacun de vous regarde donc qui il prend pour compagnon. » )Note sur la traduction : Le terme « dīn » dans ce ḥadith est souvent traduit par religion. Mais cette traduction est incomplète, car dans le ḥadith de Jibrîl, le Prophète ﷺ nous enseigne que le dīn se décline en trois niveaux ascendants : al-Islām (la pratique visible) ; al-Īmān (la foi intérieure) ; al-Iḥsān (l’excellence spirituelle).
Ainsi, dire que « l’individu est sur la religion de son ami » ne rend pas compte de cette gradation spirituelle. La traduction « l’individu est de l’intensité de foi de son ami intime » reflète mieux ce que signifie ici le mot dīn : Le degré de profondeur dans le rapport à Dieu, qui varie d’un simple respect des règles (islām), à une foi vivante (īmān), jusqu’à une présence consciente (iḥsān).
Donc, traduire, c’est déjà interpréter : ici, on choisit de mettre en lumière le niveau de foi, cœur vivant de la transformation spirituelle, et reflet direct de la fréquentation.
[2] Rapporté par Abû Dâwûd [3] Rapporté par Muslim [4] Sourate Al-Balad, 90:11Lire aussi :