Journal d’une pèlerine : auprès du Bien-Aimé

Les jours du pèlerinage prirent fin, laissant place au repos et au plaisir de savourer le temps à contempler la Kaaba. Et même si le séjour à la Mecque se prolongeait une semaine, le temps était compté. Chaque matin, il fallait réserver sa place en face de la Kaaba pour pouvoir y passer les quelques heures avant la prière de l’aube. J’étais sereine, apaisée et angoissée à l’idée de quitter ce lieu dans les jours qui viennent. J’étais enfin dans l’état que je cherchais depuis longtemps. Voici la vraie vie intérieure que je souhaitais. Un état de quiétude absolue. Je le vivais chaque instant. Je ne rêvais plus de visiter tel ou tel pays, j’avais trouvé le lieu rêvé : le lieu où les visites sont plus sensées et profondes. Le lieu où l’on se découvre après une longue quête de soi. Par des supplications et des prières, j’étais moi, celle que je recherchais auprès de l’amour du divin.

Les quelques jours à la Mecque s’épuisaient et arriva le jour du départ vers Médine. Je me levai tôt ce jour-là. Je devais faire mon tawaf d’adieu. Quelle tristesse de devoir quitter ce lieu qui animait désormais mes journées. Malgré la foule habituelle, je ne voulais pas que le tawaf s’achève. Mais les sept tours se terminèrent rapidement sonnant l’heure du départ. Je sortis de l’esplanade et m’arrêtai. Des gens, comme moi, sortaient à reculons, ne voulant pas tourner le dos à cet endroit… D’autres pleuraient les larmes de leur corps et lançaient des baisers. D’autres demandaient à Dieu de pouvoir revivre ce moment encore et encore. Quant à moi, je n’arrivai plus à la quitter des yeux alors qu’elle se dérobait petit à petit de mon regard. « Aurai-je la faveur de revenir ? »

Je retournai à l’hôtel, abattue. Mais une chose me consolait : le voyage n’était pas encore fini et j’étais impatiente de goûter à la proximité du Prophète (paix et salut sur lui).

Notre bus démarra. Entre fébrilité et chagrin de quitter la Kaaba, j’apaisais mon cœur dans les invocations. « Paix et salut sur toi, Ô Mohammad ! Je suis en route vers toi. Je vais avoir la chance de revivre ton émigration. Je comprends ce que tu as ressenti en quittant ces lieux… ».

Le voyage sur les pas du Prophète (paix et salut sur lui) commença dans une euphorie et une joie indescriptibles. Tout le monde était impatient et heureux. Pendant plusieurs centaines de kilomètres, nous traversions un panorama montagneux, rocailleux. Des lieux déserts, hostiles. « Comment as-tu pu sortir dans la nuit et traverser ces montagnes ? Comment as-tu marché de longues journées dans ce grand espace désert et dangereux ? ». Je réalisai à quel point notre Bien-Aimé avait supporté tant de difficultés pour nous faire parvenir le message.

Un paysage se dessinait, ardu et rocailleux. Une route longue s’annonçait. Il l’avait commencée en sortant de nuit avec son compagnon de toujours. La périphérie mecquoise était sinueuse. « Combien de jours ou de semaines avait-il passé sur cette route de l’Hégire ? Combien de nuits passées entre ces montagnes ? Qui étais-je pour être sur ses pas ? » Il avait rempli sa mission et se retrouvait sur la route de l’exode, sorti de sa ville natale, chère à son cœur… Je n’étais qu’une spectatrice de cet incroyable exode, plein de leçons.

Le voyage se déroula dans une ambiance bon enfant : chants à l’éloge du Prophète (paix et salut sur lui), concours de connaissance de sa vie et lecture de vers de poésie.

Médine nous avait accueillis avec la pluie. Nos larmes coulèrent alors de joie. La pluie nous avait accompagnés tout au long de notre voyage dans ce pays. « Peut-être était-ce le signe de la satisfaction divine ? Etait-ce le signe de l’autorisation d’aller saluer le Bien-Aimé ? Etait-ce la réponse aux invocations d’un(e) croyant(e) parmi nous qui implorait Dieu avec un cœur sain ? »

Le paysage laissait place petit à petit à de vastes plaines et les premières palmeraies médinoises apparurent dans une clarté immaculée. Le cœur palpitait et le souffle s’accéléra : « Paix et salut sur toi, Ô prophète Mohammad, Ô toi la miséricorde sur Terre ! ».

Les voix s’élevèrent : des chants retentissaient à l’honneur de notre Mohammad, bien-aimé. On y était enfin ! Quand il arriva, les Ansars l’accueillaient après tant d’attente. Il était arrivé guidé par le Très-Haut et avait illuminé cette ville. La ville sortit alors de ses tumultes vers la lumière éternelle et fut surnommée « Al Madinah Al Mounawwara », « La ville illuminée ». Le Prophète avait imprégné cet endroit et l’imprègne encore. Il était là !

Aussitôt arrivés, et malgré la fatigue, je vêtis mes plus beaux vêtements et pris la direction de la mosquée. Enfin ! Je respirais l’air de Tayba, le parfum prophétique y flottait. Une douce mélodie de clémence et de sérénité. « Qu’est-ce qu’il était beau ! » Si après 14 siècles, il embaumait l’air, alors comment était-ce de son vivant ?

Tayba, un surnom donné à Médine par le Prophète : « Quelle ville accueillante et que s’y installer est plaisant ! »

On retrouvait l’odeur de musc laissée à la Mecque. Il avait parfumé toute la route jusqu’ici… Je ne pouvais plus attendre pour aller le saluer. La dernière prière achevée, je me renseignais pour connaitre la porte par laquelle il fallait entrer pour pouvoir saluer le Prophète. On m’orienta vers la porte 25, réservée aux femmes. Là, je trouvai une file interminable : des femmes qui se bousculaient dans un brouhaha indigne des convives du meilleur des hôtes.

« Ô vous qui avez cru ! N’élevez pas vos voix au-dessus de la voix du Prophète, et ne haussez pas le ton en lui parlant, comme vous le haussez les uns avec les autres, sinon vos œuvres deviendraient vaines sans que vous ne vous en rendiez compte.  Ceux qui, auprès du Messager d’Allah, baissent leurs voix sont ceux dont Allah a éprouvé les cœurs pour la piété. Ils auront un pardon et une énorme récompense. Ceux qui t’appellent à haute voix de derrière les appartements, la plupart d’entre eux ne raisonnent pas. »[1]

Je finis par entrer par la fameuse porte et là, des « gardiennes » vêtues entièrement de noir et desquelles apparaissait uniquement une paire d’yeux mais dont la voix était stridente, nous orientaient vers trois grands espaces. L’espace se remplissait petit à petit jusqu’à ne plus laisser un seul centimètre libre. Nous étions littéralement les unes sur les autres. Mes larmes coulèrent de déception et de honte. Dans quel état j’allais le rencontrer au milieu de ce bruit assourdissant et de ces acrobaties insoupçonnées. Des femmes commençaient à manquer d’air et certaines perdaient connaissance. Plus des femmes entraient, plus l’espace se rétrécissait et les premières se retrouvaient complètement collées contre les paravents mis pour séparer les groupes. Une attente interminable commençait dans ces conditions. Je ne pus finalement pas le rencontrer ni le saluer. Je sortis de la mosquée trainant des pieds et déçue de l’ambiance dans celle-ci.

Entrer chez le Prophète (paix et salut sur lui) se méritait et devait se soumettre à un certain niveau de respect et de considération. Tous avaient cette ferveur mais chacun l’exprimait différemment. Il fallait patienter et prier sur lui. Attendre. Attendre sa permission de me recevoir. Comme le faisaient ses compagnons et tous ceux qui voulaient le rencontrer.

Le lendemain, l’attente fut une réelle station de purification et d’introspection. Qui étais-je pour le saluer ? Pour le rencontrer ? Où en étais-je de sa Tradition, de son comportement parfait et de sa vie ? Etais-je réellement sur ses pas ? L’aimais-je sincèrement plus que tout ? Méritais-je d’entrer dans son jardin, une partie du paradis sur Terre ? Méritais-je qu’il réponde à mon salut ?

Le souffle se précipita. Les paravents se mettaient à tomber les uns après les autres laissant une foule déchainée se déferler dans tous les coins de la mosquée en direction de Rawdha Charifa. Je gardais mon calme et ralentissais le pas afin d’arriver près de lui calmement et ne pas déranger sa quiétude. Il était juste en face de moi. Je m’assis et l’imaginai devant moi. Je fermai les yeux : Jibril vint à lui vêtu de blanc immaculé, posa ses genoux contre les siens, mit ses mains sur ses cuisses en signe de respect… Les compagnons autour de lui, apprenaient et s’initiaient à leur religion et leur mode de vie auprès de Dieu… « J’aurais tellement aimé te voir et m’abreuver de tes enseignements… ».

Le jardin du paradis s’ouvrit enfin à nous.

« Je suis assise dans ton jardin, tout près de toi. Ô, toi le présent de Dieu à toute l’humanité. Mon amour, ô prophète de la miséricorde. Mon cœur chantonne tes louanges dans ce petit paradis que Dieu nous a offert par ta présence. Mes larmes m’ont couverte et mes soupirs m’empêchent de respirer. ô, toi la rose que tout amoureux prend dans ses bras et fond en larmes, épris de félicité. Mes journées fleurissent dans Tayba, ta ville. Je me repose dans ton verger et mon coeur chantonne tes louanges. Toi, le guide et le présent de Dieu le Généreux. Pourvu que je jouisse de ta compagnie tous les jours. Quand je te visite, mes maux s’éteignent. Dieu, Toi le Bienveillant, je Te demande la compagnie du Bien-Aimé le jour de la Résurrection et qu’il intercède en ma faveur pour que le soleil de ma nouvelle naissance puisse rayonner. »

Nous sortîmes après un long moment passé à ses côtés, dans son verger, le cœur flottant de bonheur et de jouissance. Les journées suivantes, nous trouvâmes un endroit qui donnait directement sur la coupole verte sous laquelle il reposait. Nous y venions tous les soirs, pour emplir nos poumons de son odeur. Quelle quiétude auprès de lui !

Le voyage touchait à sa fin.  Le départ fut un déchirement. Une vingtaine de jours passèrent à une vitesse fulgurante. Mais le corps avait fait sa cure, le cœur revêtit un nouvel habit et les yeux se lavèrent avec la plus pure des eaux. Puisse Dieu accepter de tous et réserver cette expédition à tout musulman en quête de soi et de Dieu.


[1] Sourate Al-Hujurat (Les Appartements), v.2, 3 et 4.

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