« Ceux qui ont détruit Gaza ne peuvent devenir les garants de la paix »

« L’avenir des habitants de Gaza, et de la Palestine, ne peut être assuré par des voleurs devenus protecteurs ». Dans un article publié dans The Guardian, la journaliste, Nesrine Malik, déplore que les complices du génocide à Gaza s’érigent aujourd’hui en « sauveur », garants de la paix, tout en occultant la responsabilité des génocidaires.

Alors que l’ensemble des détenus israéliens à Gaza ainsi que plusieurs milliers de prisonniers palestiniens viennent d’être libérés dans le cadre de la première phase du plan Trump, les dirigeants occidentaux sont réunis au sommet de Charm el-Cheikh, en Égypte, pour « mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza, intensifier les efforts pour instaurer la paix et la stabilité au Moyen-Orient et inaugurer une nouvelle ère de sécurité et de stabilité régionales ». 

Les mêmes qui ont permis et commandité le génocide à Gaza.  

« Son protecteur est son voleur »

Si le cessez-le-feu est maintenu, la réunion de Charm el-Cheikh est un présage de l’avenir. Un avenir sans prise de conscience, sans traitement des causes profondes. Seulement une ruée vers les impératifs d’une résolution urgente du conflit. Pendant ce temps, l’occupation illégale se poursuit et un nouveau chapitre des violations israéliennes se referme furtivement, sans que ni Israël ni ses commanditaires n’aient à rendre de comptes. 

Il existe une expression arabe, hameeha harameeha – qui signifie « son protecteur est son voleur » – qui me vient à l’esprit alors que ceux qui ont aidé Israël se rassemblent pour trouver un moyen d’instaurer la paix à Gaza. Dans les semaines et les mois à venir, Gaza sera encore plus dévastée que ce qu’on a pu voir jusqu’à présent. L’ampleur colossale de ce qu’il faut reconstruire se révèle déjà.  

Les gens rentrent chez eux à Gaza-ville et découvrent un terrain vague, aplati à perte de vue par les bombes puis les bulldozers. Une maison retrouvée n’est qu’un terrain où planter une autre tente en attendant l’aide. Mais cette fois, avec moins de risque d’être bombardé pendant son sommeil. Les habitants de Gaza ont été libérés de la peur de la mort, mais qu’en est-il de leur vie actuelle ?

Qu’en est-il des milliers d’orphelins et des enfants blessés ou mutilés sans famille survivante ? Ce ne sont pas seulement les infrastructures de vastes zones de Gaza qui ont été détruites, c’est aussi le tissu social. Des lignées familiales sur deux, trois, voire quatre générations ont été anéanties. Qu’en est-il des milliers de parents qui ont enterré leurs enfants ? Comment peut-on seulement envisager de gérer un tel traumatisme de masse alors qu’il n’y a même pas un toit pour se rassembler ?

Un crime sans criminels et un génocide sans génocidaires ?

J’ai interrogé un homme de Gaza au sujet de son frère, qui avait perdu tous ses enfants et sa femme lors d’une seule attaque. Où est-il maintenant ? « Il se contente de tourner en rond, tournant autour des décombres » du site où ils ont péri. « Perdu ». Le bilan des morts va certainement s’alourdir, à mesure que des corps, auparavant introuvables, sont retirés des décombres. Au moins 10 % de la population de Gaza a été tuée ou blessée, et il s’agit d’une estimation prudente. 

Il est important que ces faits ne soient pas simplement additionnés et balayés d’un revers de main comme le prix de la guerre. L’agression doit cesser, mais les conditions de sa cessation et de la construction de la paix et de la reconstruction sont cruciales. Les crimes commis ne pourront être réparés, ni même empêchés de se reproduire, si les conditions qui ont permis à leurs auteurs de commettre des crimes persistent. 

Il est difficile d’insister sur ce point lorsqu’on est confronté à un génocide. L’ampleur des morts et des violences, la destruction des conditions de vie, font de la cessation de cette destruction la priorité absolue, la seule priorité. Mais cela implique la disculpation, et pire encore. Donald Trump se félicite déjà de son action en faveur de la paix, après avoir permis ce qui se passe depuis des mois.  

Jared Kushner, son gendre, a salué la conduite d’Israël : « Au lieu de reproduire la barbarie de l’ennemi, vous avez choisi d’être exceptionnels ». Le ministre britannique a déclaré qu’il rendrait un « hommage particulier » au président américain à Charm el-Cheikh. Nous avons donc désormais un crime sans criminels, un génocide sans génocidaires, une population misérable qui doit être nourrie et abreuvée pendant que le monde réfléchit à son sort.  

Les Gazaouis lésés dans leurs droits

Toute une histoire d’impunité et de domination israélienne à travers la Palestine, faite de nettoyage ethnique répété, de régime militaire, d’expansion des colonies – et maintenant de rejet explicite de l’autodétermination palestinienne – est à nouveau effacée. Cette fois, cette exonération, cette présentation de ce qui s’est passé comme tragique et enfin terminé, est encore plus urgente, car la responsabilité des pays qui ont soutenu Israël et réduit au silence ses détracteurs est plus évidente que jamais. 

Bien sûr, vous vous précipiteriez à Charm el-Cheikh si vous représentiez un gouvernement qui a fourni des armes, restreint les manifestations et refusé d’approuver les déclarations de génocide ou d’appliquer les décisions de la CPI lorsqu’elle a émis un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahou. La paix à Gaza représente une occasion d’oublier ; d’effacer de la conscience collective une époque où certains pays occidentaux ont violemment violé les normes et les institutions internationales, voire leur propre politique intérieure, pour imposer la destruction. 

Mais nombreux sont ceux, partout dans le monde, qui ont été témoins du massacre et de tout ce qui a contribué à le maintenir pendant deux années entières, qui ne l’oublieront pas si facilement. L’avenir sûr des habitants de Gaza, et de la Palestine en général, ne peut être assuré par des voleurs devenus protecteurs. Sans l’autonomie du peuple palestinien et son autodétermination, il ne peut y avoir de foi ni de confiance en Israël ni en ses alliés pour instaurer cette « paix durable » constamment invoquée.  

Les leçons de ces deux dernières années ne peuvent être oubliée

Les massacres ont heureusement cessé pour l’instant à Gaza, mais il faut désormais refuser toute normalisation de la suite. Les Palestiniens continueront d’être tués, leurs maisons volées, leurs prisonniers torturés et détenus sans procédure régulière. Les leçons de ces deux dernières années ne peuvent être oubliées, malgré toute l’énergie déployée pour y parvenir.  

La cause palestinienne ne peut être renvoyée aux marges d’une politique « complexe » et marginale, un cadre qui a permis deux années de dévastation. Les auteurs de cette dévastation se sont depuis longtemps disqualifiés de tout mandat sur les populations qu’ils ont aidées à tuer et à anéantir. Ce que révéleront maintenant le bilan des morts et des dégâts à Gaza devrait rendre cette réalité indéniable.  

Nesrine Malik 

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