La Flottille pour la liberté a accompli sa mission
Le 9 juin à l’aube, les forces israéliennes ont intercepté le Madleen dans les eaux internationales, près de la côte de la bande de Gaza. Le bateau, qui transportait 12 militant·e·s de sept pays, de l’aide humanitaire et des vivres, naviguait depuis un peu plus d’une semaine.
Parmi les militant·e·s se trouvait Greta Thunberg, qui a été constamment diabolisée et moquée par les politiciens israéliens et bien d’autres pour son soutien à la lutte palestinienne.
Le chargement d’aide à bord était symbolique et n’aurait pas fait une grande différence s’il était parvenu aux Palestinien·ne·s affamé·e·s de Gaza. Les Nations unies estiment qu’au moins 500 camions d’aide sont nécessaires chaque jour pour répondre à leurs besoins vitaux. On s’attendait également à ce que les forces israéliennes empêchent l’embarcation d’atteindre les côtes de Gaza.
Néanmoins, le Madleen a accompli une mission importante : démontrer au monde entier, et aux gouvernements qui refusent de respecter leurs obligations juridiques internationales de mettre fin au génocide et de lever le blocus, que Gaza ne sera pas oubliée.
Le Madleen était affrété par la Freedom Flotilla Coalition (FFC), une organisation qui fait campagne en solidarité avec le peuple palestinien depuis les bases et sur le terrain. En mai, un autre de leurs bateaux – le Conscience – a été attaqué par des drones juste à l’extérieur des eaux territoriales maltaises. Les dégâts étaient si importants qu’il n’a pas pu poursuivre son voyage vers Gaza.
La coalition pour la Flottille de la liberté prend part aux efforts déployés depuis une décennie et demie par les militant·e·s pour briser le blocus de la bande de Gaza.
En 2010, une flottille de six navires en provenance de Turquie s’est dirigée vers la bande de Gaza avant d’être interceptée par les troupes israéliennes dans les eaux internationales. Le plus grand d’entre eux, le Mavi Marmara, a été pris d’assaut par des commandos israéliens qui ont ouvert le feu et tué neuf militants et journalistes, tous citoyens turcs. À ce jour, les victimes du Mavi Marmara n’ont toujours pas obtenu justice.
Au lendemain du raid sanglant contre la flottille, Noam Chomsky écrivait ceci : « Depuis des décennies, Israël détourne des bateaux dans les eaux internationales entre Chypre et le Liban, tue ou enlève des passagers, les emmenant parfois dans des prisons en Israël, y compris dans des prisons secrètes/chambres de torture, et les retenant parfois comme otages pendant de nombreuses années. Israël part du principe qu’il peut commettre ces crimes en toute impunité parce que les États-Unis les tolèrent et que l’Europe suit généralement l’exemple des États-Unis ».
En vertu du droit international, l’interception du Mavi Marmara et du Madleen est illégale.
Les forces israéliennes n’ont aucune autorité légale pour détenir des militants internationaux dans les eaux internationales. Comme l’a déclaré Huwaida Arraf, avocate américaine d’origine palestinienne et organisatrice de la coalition pour la Flottille de la liberté : « Ces volontaires ne relèvent pas de la juridiction israélienne et ne peuvent être incriminés pour avoir apporté de l’aide ou contesté un blocus illégal – leur détention est arbitraire, illégale et doit cesser sur-le-champ ».
Gaza est bordée par la mer Méditerranée, et pourtant elle est hermétiquement fermée à ses voisins méditerranéens depuis des décennies. Le blocus aérien, terrestre et maritime d’Israël a commencé en 2007, mais même avant cela, les forces navales israéliennes surveillaient et restreignaient l’accès au littoral de Gaza.
Les accords d’Oslo de 1993 n’ont pas accordé aux Palestiniens la pleine souveraineté sur leurs propres mers, leur concédant plutôt un accès à 20 milles nautiques (37 km) de la côte de Gaza pour la pêche, les loisirs et l’extraction de ressources naturelles telles que le gaz. Un accès qui ne représente que 10 % de la limite de 200 milles nautiques fixée pour les pays souverains par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Mais même ces 20 milles nautiques n’ont jamais été respectés par le régime israélien, qui a relégué les Palestiniens à des espaces de plus en plus réduits sur le littoral. Les Palestiniens ont ainsi été complètement coupés du monde extérieur, entraînant des conséquences désastreuses pour la tradition maritime et l’industrie de la pêche de Gaza.
Les pêcheurs ont été contraints de pêcher dans une zone restreinte, ce qui a inévitablement entraîné une surpêche. Depuis le début du génocide, les pêcheurs de Gaza ont été pris pour cible et tués, et leurs bateaux ont été bombardés et leur équipement détruit. Parmi eux, Madleen Kulab, la seule pêcheuse palestinienne de Gaza, qui a donné son nom au navire de la flottille de la liberté. Cette mère de quatre enfants a été déplacée à plusieurs reprises au cours du génocide et s’abrite désormais dans sa maison endommagée. Ses jours de pêche sont comptés.
En vertu du droit international, les membres des Nations unies ont l’obligation d’agir lorsqu’un crime grave tel qu’un génocide est commis. Ils ont le devoir d’imposer des sanctions, y compris un embargo sur les armes. Au lieu de cela, l’Union européenne, d’où provient la majorité des militant·e·s du Madleen, a non seulement renoncé à cette obligation, mais a également continué à fournir des armes à Israël, bien que l’opinion publique européenne s’oppose massivement au régime israélien et à la poursuite de son génocide.
Les militant·e·s du Madleen savaient qu’ils n’atteindraient pas leur destination, mais ont fait le choix de participer à cet acte de solidarité qui mettait leur vie en danger pour attirer l’attention du monde sur Gaza et sur l’inaction criminelle de leurs gouvernements.
Selon les mots de Greta Thunberg : « Nous faisons cela parce que, quelles que soient les chances que nous avons, nous devons continuer à essayer, parce que le moment où nous arrêtons d’essayer est celui où nous perdons notre humanité ».
Le Madleen a peut-être été arrêté en mer, mais son message a fait le tour du monde : le blocus n’est ni invisible, ni éternel. Chaque navire intercepté, chaque militant·e détenu·e, chaque acte de défi réaffirme que Gaza n’est pas oubliée – et que tant que la liberté ne sera pas rétablie et la justice obtenue, la mer restera une ligne de front dans la lutte pour la libération de la Palestine.
Yara Hawarie est Codirectrice d’Al-Shabaka, réseau politique palestinien