Les identités meurtrières : ici et là-bas, hier et aujourd’hui

C’est le titre d’un essai d’Amin Maalouf paru en 1998. Dix-sept ans plus tard, il n’en reste pas moins toujours d’actualité, une actualité effrayante.

Cette semaine, à des milliers de kilomètres d’ici, les cris et les larmes résonnent à travers nos écrans et ce sont nos cœurs qui frémissent et pleurent en direction de la Palestine, de la Syrie, « pour ceux qui sont renvoyés, pour les enfants sans maison, pour ceux qui se sont défendus et tombant en Martyrs dans les fumées ». [1] Pour ces enfants, quelquefois écoliers qui armés de leurs billes, jetées à la face de leur oppresseur, se font tuer par des balles…réelles. De l’autre côté, des colons, protégés par des soldats. Ils ne représentent pas seulement une minorité agissante. Ils constituent à travers leurs relais politiques une force majeure. Leur mot d’ordre : développer les constructions des colonies « pour changer la donne et étendre la souveraineté d’Israël à toute la Judée-Samarie »[2] qui est un droit national et historique selon le président Reuven Rivlin issu du parti (dit) de gauche Likoud. C’est dire qu’il ne s’agit pas ici d’un conflit politique entre la gauche qui serait partisane d’un processus de paix et la droite et/ou l’extrême-droite, soutiens de la politique de la colonisation. Ces catégories ne sont que des paravents. Au fond, nous sommes en face d’un conflit où l’idéologie mortifère du sionisme, ce nationalisme importé, détruit dans ses fondements tout processus de paix. Amin Maalouf ne dit-il pas : « N’est-ce pas la vertu première du nationalisme que de trouver pour chaque problème un coupable plutôt qu’une solution ? »

Quand l’identité meurtrière ne conduit pas au sang, elle peut être le fondement d’un racisme à peine voilé. Au Canada, la campagne des élections générales du 19 octobre se déroule dans une atmosphère pesante autour de la question de l’immigration. La presse avait révélé d’ailleurs la manière par laquelle le Canada accorde l’asile sur la base de critères professionnels, linguistiques, familiaux et le plus grave religieux. A travers la politique du 1er ministre conservateur (loi anti-terroriste, déchéance de nationalité des Canadiens binationaux…), Stephen Harper, on assiste de plus en plus à une politisation de l’immigration. Cette politique n’est pas le signe d’un courage au profit de la sécurité, mais véritablement le produit d’une peur, la peur de perdre son identité nationale.

Derrière l’imaginaire de la peur de l’immigration, de l’étranger, même si elle doit être prise en compte, il y a la réalité des faits. C’est en France que nous en avons un exemple flagrant. L’Insee a publié le mardi 13 octobre, un rapport sur les flux migratoires en France entre 2006 et 2013. Non, nous n’assistons pas à un « grand remplacement ». Le rapport confirme que le solde migratoire est assez faible (33 000 personnes en 2013 contre 120 000 personnes en 2006). La progression de la population n’est pas due aux flux d’immigrés, mais par le fait qu’il y a eu plus de naissances que de décès. Lorsque d’aucuns parmi les politiques et les journalistes poussent des cris d’orfraie sur l’identité en danger, la France en danger, sur la dangerosité de l’immigration et de l’autre tel qu’il est,  les identités meurtrières apparaissent. On ne s’en rend pas compte. Edgar Morin affirmait dans un entretien à propos de cette période de méfiance mutuelle : « Donc, on a bien des signes d’un malaise profond, qui se fixe sur l’autre. C’est inquiétant. J’ai vécu une période de somnambulisme entre 1930 et 1940, on allait à la guerre sans se rendre compte de rien. J’ai un peu le sentiment de vivre une nouvelle époque de somnambulisme. »

 


[1] Chanson désormais connue: Al Qods interprétée par la chanteuse libanaise Fayrouz

[2] explique Avi Roeh, président du conseil de Yesha (organisation regroupant les représentants des colons).

Un commentaire

  1. Non, le Likoud n’est pas et ne se revendique pas de gauche. C’est un parti nationaliste et sioniste de “droite”. Mais le parti “de gauche” travailliste n’a rien à lui envier pour l’expansion des colonies et la politique de répression contre les Palestiniens !

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