Réforme des retraites: les fake news gouvernementales

Tandis que la mobilisation contre la mise en place d’un système de retraite par points ne cesse de grandir, le gouvernement n’hésite pas à se livrer à une campagne de désinformation afin de tenter d’imposer une « réforme » qui a pour objectif immédiat de réduire le niveau des pensions afin, dans un second temps, de promouvoir un système de retraite par capitalisation.

            Tandis que la mobilisation contre la mise en place d’un système de retraite par points ne cesse de grandir et que la grève interprofessionnelle du 5 décembre est justifiée pour une large majorité de Français (66%)[1], le gouvernement n’hésite pas à se livrer à une campagne de désinformation afin de tenter d’imposer une « réforme » qui a pour objectif immédiat de réduire le niveau des pensions[2] afin, dans un second temps, de promouvoir un système de retraite par capitalisation. Car, comme l’annonçait déjà en 2018 Jean-Paul Delevoye, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, « la réforme des retraites à laquelle nous travaillons n’est pas une simple réforme budgétaire ou technique, mais un projet politique et de société »[3].

            Et ce projet, c’est de remplacer un système solidaire et efficace – qui fait que la France a le taux de pauvreté des plus de 65 ans le plus bas de tous les pays de l’Union européenne (7,8% en 2017, contre 15,8% en Suède ou 17% en Allemagne) – par un système beaucoup plus individualiste qui, comme de coutume avec ce gouvernement, ne profitera qu’à une minorité aisée. Notons d’ailleurs que le système de retraite par points mis en place il y a près de vingt ans en Suède, qui sert de référence au projet actuel du gouvernement, a entraîné de nombreux effets néfastes – notamment un accroissement du taux de pauvreté des plus de 65 ans, qui est aujourd’hui le double de celui de la France – qui ont même été notés par les économistes de la Commission européenne : « les mécanismes d’ajustement garantissant la viabilité budgétaire ont transféré le fardeau financier des variations de la longévité sur les retraités. Alors que les personnes plus aisées pourront compenser une pension publique plus faible par des pensions professionnelles ou privées, les personnes moins bien nanties pourraient voir leur pension chuter en dessous d’un niveau adéquat »[4].

            Deux types d’arguments, aussi faux l’un que l’autre, sont utilisés par le gouvernement pour justifier cette réforme inique. Tout d’abord, le système actuel serait inégalitaire et illisible et la réforme représenterait un progrès pour tous. L’égalité supposerait donc de rassembler les 42 caisses de retraite existantes en une caisse universelle où chaque euro cotisé donnerait les mêmes droits. Dans un tel système, la référence aux 25 meilleures années pour les salariés du privé et aux six derniers mois pour les fonctionnaires disparaît. Seuls comptent les points accumulés tout au long de la vie active. Or, prendre en compte l’ensemble de la carrière et non simplement les meilleures années, comme dans le système actuel, conduit à pénaliser deux fois les personnes qui auront eu des « accidents de parcours » – chômage, temps partiel, emploi précaire, maladie, etc. – : une première fois lorsque survient cet « accident », une seconde fois lors du calcul de leur pension de retraite. Cette individualisation du système par points sape la solidarité et pénalisera fortement les personnes ayant eu des carrières « heurtées », et en particulier les femmes. Sous couvert d’égalité, ce système va organiser la paupérisation des populations déjà fragilisées.

            Le système par points est également supposé être plus lisible, comme tentait encore de nous en convaincre le Premier ministre dernièrement[5] puisque chacun pourra, à tout moment, connaître le nombre de points qu’il a accumulés et « connaître [ses] perspectives en matière de retraite ». Edouard Philippe se garde toutefois bien d’affirmer que chacun pourra connaître le montant de sa pension, ce qui est assez largement le cas dans le système actuel, dit à prestations définies, mais totalement faux dans le cas du système par points, dit à cotisations définies. Dans ce cas, le nombre de points acquis chaque mois est calculé à partir de la part cotisée du salaire mensuel brut (soit 25,31% de celui-ci) qui doit être divisée par la valeur d’acquisition du point (estimée pour le moment à 1 point = 10€). Au moment du départ à la retraite, le montant de la pension annuelle sera calculé de la manière suivante : retraite annuelle = somme des points acquis sur la carrière × valeur de restitution du point (estimée pour le moment à 1 point = 0,55€)[6]. La valeur d’acquisition du point et sa valeur de restitution étant fixées par le gouvernement, comment imaginer qu’elles ne serviront pas de variable d’ajustement (à la hausse pour la valeur du point d’acquisition, à la baisse pour la valeur du point de restitution) en cas de conjoncture défavorable, surtout si, comme c’est le cas actuellement, le gouvernement souhaite avoir un régime toujours équilibré ?

            Cela nous amène au deuxième type d’arguments, tout aussi faux, qui concerne le supposé déficit du système de retraite actuel. S’appuyant sur le dernier rapport du conseil d’orientation des retraites (COR)[7], qui mentionne que le besoin de financement du système de retraite varierait en 2025, date de l’entrée en vigueur du système de retraite par points, entre 0,3% et 0,7% du PIB selon les scénarios et la convention retenue, soit entre 7,9 et 17,2 milliards d’euros constants (COR, p.50), le gouvernement en conclut que le système actuel n’est pas viable, d’où la nécessité d’en changer. Il feint toutefois d’ignorer que les réserves de l’ensemble des régimes de retraite actuels, qui sont précisément supposées servir à financer d’éventuels déséquilibres, s’élèvent à près de 130 milliards d’euros (COR, p.54), donc que le système actuel n’est en aucun cas déficitaire et largement soutenable à moyen terme.

            C’est donc à partir d’hypothèses fausses que le gouvernement souhaite faire des économies. Et, quand bien même le système actuel serait déficitaire, les membres du COR sont réservés quant à la stratégie gouvernementale : « le fait que le système de retraite présente un déficit à cet horizon [2025] n’implique pas nécessairement pour tous les membres du COR que celui-ci doive être résorbé par des mesures d’économies » (COR, p.61).

            La raison est que ce pseudo-déficit est construit de toutes pièces[8]. Il est le fruit d’exonérations de cotisations sociales, du gel du point d’indice des fonctionnaires depuis de nombreuses années et de la forte austérité salariale dans la fonction publique, ce qui réduit mécaniquement les cotisations.

            Le gouvernement prétend ne pas vouloir diminuer les pensions, ce qui est un « engagement vis-à-vis des Français »[9]. Pourtant, en se fixant comme objectif premier de bloquer les ressources consacrées aux retraites à leur proportion actuelle, soit 14 % de la richesse nationale (PIB) alors que le nombre de personnes de plus de 65 ans va augmenter de plus de 6 millions d’ici 30 ans, c’est bien l’appauvrissement relatif des retraités qui est organisé. Toutes les simulations montrent même que la mise en place du système de retraite par points conduira à des baisses de pensions de l’ordre de 20 à 40%.

            Afin de rétablir l’équilibre, le gouvernement dispose de trois leviers. Il peut augmenter le taux de cotisation, ce qu’il se refuse à faire au prétexte « qu’il y a déjà beaucoup de charges sociales sur les Français »[10]. Pourtant, le COR indique que résorber le pseudo-déficit mentionné plus haut implique d’élever les cotisations d’un point sur cinq ans, soit 0,2 point par an[11], ce qui est loin d’être insurmontable.

            Il peut aussi reculer l’âge légal de départ à la retraite (qui est fixé à 62 ans depuis 2010), ce qu’il refuse officiellement faire. Il préfère utiliser un troisième levier qui consiste à allonger la durée de cotisation, ce qu’il propose de faire en instaurant un âge pivot, mesure qui, dans les faits, aura pour conséquence de reculer l’âge de départ à la retraite de nombreuses personnes. Comme le précisent Sandrine Foulon et Jean-Christophe Catalon, « dans le système actuel, pour toucher une retraite à taux plein, il faut à la fois avoir atteint l’âge légal et cumulé un nombre de trimestres cotisés. Faute de remplir ces conditions, chacune ou chacun doit attendre 67 ans pour avoir une retraite à taux plein automatique. Mais demain, avec le nouveau système de retraites à points, la notion de trimestres cotisés disparaît au profit de points accumulés. C’est pourquoi dès le printemps dernier est apparue dans le débat l’idée d’un âge pivot à 64 ans, défendu par Jean-Paul Delevoye (…). Peu importe la durée de cotisation, pour toucher l’intégralité de sa pension, il faut patienter jusqu’à cet âge-là. Ceux qui partent avant 64 ans subissent une pénalité (la décote), mais ceux qui décident d’ouvrir leurs droits plus tard ont droit à un bonus (la surcote). Et contrairement à l’âge légal de départ en retraite que chacun a en tête, l’âge pivot, également appelé « âge d’équilibre », n’est pas fixe. Car afin que le système à points s’équilibre automatiquement, ce pivot doit être mouvant. Dans son rapport, Jean-Paul Delevoye propose que cet âge pivot évolue en fonction de l’espérance de vie. L’âge d’équilibre de la génération née dans les années 1990 pourrait ainsi être de 67 ans. Si l’espérance de vie croît d’un an, l’âge pivot augmentera de quatre mois. L’horizon de la pension complète ne cessera de reculer »[12].

            Dès lors, qui peut croire un seul instant, comme l’affirme Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, que « cette réforme [des retraites], c’est une des réponses à la crise des gilets jaunes, c’est surtout une des réponses aux injustices importantes qui existent dans notre pays »[13] ? En érigeant le mensonge permanent comme outil de communication, ce gouvernement tente de masquer son réel objectif : affaiblir le système par répartition afin que les personnes qui le pourront se tournent vers un système par capitalisation qui favorisera l’enrichissement de banques et de compagnies d’assurance amies d’Emmanuel Macron.

[1] http://www.odoxa.fr/sondage/mobilisation-5-decembre-massivement-soutenue-lopinion/.

[2] Voir Henri Sterdyniak, « Rapport Delevoye, organiser et garantir la baisse des retraites », note des Economistes atterrés, juillet 2019, http://atterres.org/sites/default/files/Note%20EA%20Rapport%20Delevoye.pdf.

[3] https://www.reforme-retraite.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/lancement-d-un-dispositif-de-participation-citoyenne.

[4] Cité d’après Michel Husson, « Les « beautés » du modèle suédois de retraites », https://alencontre.org/europe/suede/les-beautes-du-modele-suedois-de-retraites.html.

[5] https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-21-novembre-2019.

[6] Prenons l’exemple d’une personne dont le salaire mensuel brut est égal à 3000€. Chaque mois, il obtient (3000 × 0,2531) / 10 = 75,93 points. Si l’on suppose que cette personne prend sa retraite à 64 ans après avoir travaillé 42 ans pour ce même salaire mensuel, sans aucune période de chômage, elle aura accumulée 75,93 × 12 × 42 = 38268,72 points. Sa retraite annuelle sera donc égale à 38268,72 × 0,55 = 21047,80€, soit 1753,98 € mensuels.

[7] Conseil d’orientation des retraites, « Perspectives des retraites en France à l’horizon 2030 », novembre 2019, https://www.cor-retraites.fr/sites/default/files/2019-11/Rapport_novembre_2019.pdf.

[8] Voir Henri Sterdyniak, « Rapport du COR : un déficit construit de toutes pièces », Alternatives économiques, 20 novembre 2019, https://www.alternatives-economiques.fr/rapport-cor-un-deficit-construit-de-toutes-pieces/00090987 ;.

[9] Jean-Michel blanquer, RTL, 2 décembre 2019, https://www.rtl.fr/actu/politique/retraites-pas-de-baisse-des-pensions-ni-d-augmentation-des-cotisations-assure-blanquer-sur-rtl-7799600715c.

[10] Jean-Michel Blanquer, RTL, 2 décembre 2019.

[11] Michaël Zemmour, « Retraites : vers une « réforme avant la réforme » », Alternatives économiques, 19 novembre 2019, https://www.alternatives-economiques.fr/retraites-vers-une-reforme-reforme/00090984.

[12] Sandrine Foulon et Jean-Christophe Catalon, « Tout comprendre à la novlangue des retraites », Alternatives économiques, 28 novembre 2019, https://www.alternatives-economiques.fr//comprendre-a-novlangue-retraites/00091151?utm_source=emailing&utm_medium=email&utm_campaign=NL_Quotidienne%2F28112019.

[13] Sibeth Ndiaye, France info, 27 novembre 2019, https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/video-reforme-des-retraites-c-est-une-des-reponses-a-la-crise-des-gilets-jaunes-estime-sibeth-ndiaye_3720761.html.

Via
https://blogs.mediapart.fr/

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