Réactualiser les valeurs de la république : Vers une nouvelle loi de séparation ?

Bref comme il est, ce texte se veut un clin d’œil. Il tente d’attirer l’attention sur l’évacuation des orientations sociétales majeures de la sphère citoyenne traditionnelle, vers de nouvelles sphères non publiques, qui gagnent en pouvoir. Le sort de l’humanité serait-il désormais une affaire privée ?

Il y a à peine 110 ans, le 9 décembre 1905, s’opéra l’acte final de la séparation des Églises et de l’État. Il élucidera les contentieux entre ces deux pouvoirs concurrentiels qui se disputaient le sort de la société.

Depuis ce temps datant de plus d’un siècle, les rapports de force ont bien changés. Aujourd’hui, les religions ne disputent plus le pouvoir, si ce n’est à travers les capitaux qu’ils représentent à des degrés différents selon les pays d’Europe. Cela dit, il ne faut tout de même pas fermer l’œil complètement, car la tentation du pouvoir est inhérente à l’être humain. En revanche, notre lucidité et vigilance devraient observer les nouveaux pouvoirs, non conventionnels tentés autant de s’emparer du pouvoir du peuple.

Être républicain aujourd’hui ne se célèbre pas en ressassant des slogans passéistes se réjouissant à l’idée de « bouffer du clergé ». Car, se battre contre les religieux aujourd’hui pour affirmer quelque attachement à la république c’est réactualiser les combats de Don Quichotte de la Manche contre des moulins inoffensifs qu’il prenait pour des géants envoyés par de méchants magiciens. Le religieux est un épouvantail qu’on agite en guise de leurre pour détourner l’attention et justifier une manœuvre de main mise sur les libertés et de prise de control sur les acquis du peuple.

Aujourd’hui les dignes héritiers des valeurs de la révolution française ont mieux à faire que de s’extasier face à une caricature qui se moque de Dieu en guise d’allégeance aux idéaux républicains. L’heure est requiert une veille à l’affût des nouveaux missionnaires qui se seraient développés à l’ombre de l’exploit déjà centenaire couronné de la dite loi 1905.

Si séparation il devrait y avoir en 2015, ce serait entre État et capitaux privés influents qui rivalisent avec les budgets de l’État. familièrement dit, entre l’Etat et le « business ».

Au sein des entreprises, une subordination employeur-employé, a pris légalement place justifiée par une optique lucrative. Au niveau des actionnaires, celui qui a investi le plus d’argent fait autorité même s’il est minoritaire. Or, dans l’espace publique, les voix sont attribuées aux personnes non à leurs ressources financières, et les citoyens y sont égaux.

Ces deux logiques sont concurrentielles.

– L’une, chemine vers une version privatisée du monde où les caisses pleines justifient les pleins pouvoirs, et où les choses ne valent que par leur valeur marchande. C’est un projet capable de reprendre l’Etat, le monde et le naturel pour le compte de marques déposées que le peuple sera sommé de « consommer » sous peine de privation ou de violation de droits commerciaux. Nous avons déjà une information privée à travers les chaines privées plus nombreuses aujourd’hui que les chaines publiques. Les prémisses de forces de l’ordre privées s’annoncent sous l’intitulé officiel de « coproduction de la sécurité ». Pourquoi pas une « coproduction de la justice » ? D’ailleurs, nous plaignons souvent ces magistrats qui à la télé croulent sous les piles de dossiers à traiter.

– L’autre, est la planche du salut de la société telle qu’on l’a connue. Selon elle les gens naissent égaux et libres, ils ne sont la ressource d’aucune firme.

Malheureusement, on assiste aujourd’hui à une privatisation progressive qui domine chaque fois davantage l’espace public. Cela devient possible sous la pression de la dette conjuguée au temps de la complicité d’hommes politiques dont la carrière dépend beaucoup des mass-médias. Proposer des emplois aux citoyens semble de plus en plus un alibi pour subordonner l’État et le convertir au credo du tout profit[1].

« Privatisation » et « privation » semblent converger au-delà d’une certaine limite. Elles évoluent en duel à surveiller pour en maitriser les justes proportions.

La logique de privatisation du monde, n’est pas nouvelle dans l’histoire. Le modèle féodal en est une manifestation dans l’Europe du Xème siècle. Il privilégie une partie infime de la population qui s’approprie la terre et l’Homme. L’un des symptômes les plus répugnants de la mise en œuvre des logiques de privatisation hors échelle est la formation et la légalisation de l’esclavage. Celui-ci cristallisa de façon cruelle dans l’histoire des deux Amériques et dans le monde antique la situation où les logiques de chosification et de marchandisation violent la sacralité de l’humain.

J’entends ici attirer l’attention sur les vrais enjeux futurs, et réactualiser les constats censés animer les personnes éprises de libertés et de valeurs républicaines. La concurrence des pouvoirs est à l’œuvre. Reste à savoir qui en sortira vainqueur et verbalisera l’aboutissement d’une nouvelle séparation qui confirmera, une nouvelle fois, ou redistribuera les rôles de décideurs.

 


[1] Le NPM (New Public Management), se présente comme « une nouvelle forme de gestion publique basée entre autres sur une culture du résultat et l’emprunt de pratiques et d’outils issus du privé ». Voir : Chappoz Yves, Pupion Pierre-Charles, « Le New Public Management », Gestion et management public 2/ 2012 (Volume 1/n°2), p. 1-3. URL : www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2012-2-page-1.htm.

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