Télétravail et Ramadan : double-peine ou combinaison parfaite ?

La crise sanitaire apporte son lot de nouvelles habitudes pour les salariés. Le télétravail en fait partie, devenu une norme au sein d’entreprises et à laquelle de nombreux foyers doivent se familiariser. Comment les Français musulmans s’adaptent-ils à cette pratique à l’heure du Ramadan ?

Si le télétravail ne concernait jusqu’au début de l’année 2020 qu’une minorité de salariés (moins de 5 %), la crise du Covid-19 a donné un brusque coup d’accélérateur à la pratique. Selon la Direction des études et des statistiques (DARES) qui dépend du ministère du Travail, près d’un quart des salariés sont désormais au moins un jour par semaine en télétravail. Ce chiffre inclut indubitablement des télétravailleurs musulmans, qui vont de nouveau vivre un mois du Ramadan particulier.

Une configuration que des salariés comme Amel, 34 ans, chargée de lutte contre le blanchiment au sein d’un grand groupe bancaire, vivent bien. La jeune femme, qui télétravaillait déjà une à deux fois par semaine avant la pandémie, désormais en temps plein à domicile, a accueilli cette transition avec joie. « Le télétravail pendant le Ramadan a été une véritable révolution pour moi. Je sais que beaucoup de personnes l’ont mal vécu mais moi, pas du tout. (…) A distance, j’ai beaucoup plus de liberté, télétravailler est comme un bol d’air ! »

Une bénédiction pour les uns

Télétravailler pendant le Ramadan est « clairement une bénédiction », confie cette célibataire qui vit seule, sans enfants, et peut donc « travailler sans être dérangée ». Elle en veut pour preuve sa première expérience : alors que le premier confinement est arrivé par surprise dans la vie des Français, et que le télétravail avait été instauré de manière unilatérale pour des salariés, Amel avait déjà réussi à mettre en place une organisation qui lui a permis de profiter de ce mois riche sur le plan spirituel, rythmé par des temps de prière, de méditation et de lecture du Coran. Une activité que la jeune femme ne pouvait naturellement pas se permettre lorsqu’elle se rendait au bureau.

Plus encore, Amel a profité du confinement pour changer son alimentation. « Du coup, j’avais moins de coups de barre. Je ressentais plutôt un regain d’énergie », même à jeun, confie la salariée, plus productive dans ces nouvelles conditions. Aussi, le télétravail lui donne l’occasion de ralentir : « Avoir du temps, c’est un cadeau de Dieu. Je me suis dit qu’il fallait que j’en profite. »

En télétravail, pas besoin de justifier son jeûne

En revanche, Rabia, responsable marketing dans le secteur de l’édition et de la presse, garde un souvenir mitigé de son premier Ramadan confiné en télétravail : « Je n’ai pas toujours bien vécu le fait de devoir rester chez moi. Mais j’ai structuré mon temps pour que cette période en vase clos soit la plus riche possible. » La trentenaire s’est donc débrouillée pour établir un programme lui permettant de structurer les temps de pause à sa guise, chose qu’elle compte réitérer cette année.

Le télétravail lui permet aussi d’éviter certains inconforts de la vie au bureau, en particulier pendant le Ramadan : « Je travaille dans un environnement non musulman et le fait de ne pas avoir à rendre de comptes à mes collègues sur ma pratique est quelque chose de très important pour moi. En télétravail, je n’ai pas spécialement à aborder ce sujet, c’est l’idéal. »

Une difficulté mal vécue pour d’autres

Pour Adam,* consultant en informatique, le Ramadan 2020 est arrivé à un moment où sa situation professionnelle évoluait. « J’ai eu de la chance dans ma malchance. La mise en place du télétravail a été compliquée mais, comme j’étais en fin de mission, j’ai été un peu moins sollicité », explique-t-il. Cette configuration lui a donné la possibilité de s’accorder plus de repos tout en étant conscient que « travailler permet de vivre sa journée de jeûne beaucoup plus facilement ». « Cette année, je vais appréhender le Ramadan différemment. Il y aura moins de temps d’écran et plus de lectures, pas forcément religieuses. Je dois avoir 130 livres sur plein de sujets différents dans ma bibliothèque, je vais tenter de les épuiser ! », déclare-t-il.

Oualid, lui aussi consultant en informatique, mari et père d’une petite fille, espère vivre un mois de jeûne différent cette année. En 2020, « j’avais pas mal d’ambitions sur le plan de l’apprentissage, d’autant plus que j’avais fait le pèlerinage l’année précédente. Du coup, j’ai été perturbé par le fait de ne pas pouvoir avoir accès à la mosquée et de ne pas retrouver les personnes avec qui je faisais pas mal d’activités en temps normal. Je l’ai très mal vécu », partage-t-il. « Tout se faisait à la maison, c’était nouveau et vous tâtez le terrain sans pouvoir tout maîtriser. »

Le jeune père de famille a, en outre, eu des difficultés à composer avec le télétravail, avec le sentiment de travailler « beaucoup plus » qu’à l’accoutumée, sans horaires bien définis. « Je n’ai pas l’impression qu’être en télétravail nous a rendus plus heureux, bien au contraire. Je n’ai jamais voulu apporter le travail à la maison, histoire de bien dissocier les deux. Là, tout est mélangé, il n’y a plus de limites », déplore-t-il. Mais le plus dur pour Oualid, habitué à se rendre à la mosquée et à divers événements au cours du mois béni, c’est de ne pas pouvoir profiter des moments de sociabilité et de convivialité propres au Ramadan. « Je suis très déçu parce que je fais partie de ceux qui ont besoin de socialiser », explique celui pour qui ne pas rencontrer le reste de la communauté est une « perte de repères totale ».

Concilier Ramadan et télétravail, « une question d’organisation »

Au contraire, pour Kahina,* psychologue, mère de deux enfants et mariée à un homme qui a choisi de télétravailler, cette pratique, doublée du confinement, est apparue comme une opportunité de mieux vivre cette période. « Pour nous, le télétravail est une chance pour bien vivre le Ramadan. Nous sommes plus en adéquation avec le rythme qui nous est imposé par ce mois. »

L’an passé, « le télétravail pour mon mari et le confinement pour moi ont laissé plus de place à une pratique religieuse plus rigoureuse et apaisée », explique-t-elle. Avec la fatigue des transports en moins, « nous avons même ressenti un regain d’énergie et de motivation pour profiter de moments en famille, faire des jeux ou des balades ». Par ailleurs, « nous avons le luxe d’avoir une pièce dédiée au bureau pour s’isoler et travailler ». Dans ces conditions, rester à la maison avec les enfants n’a pas été une source de difficulté.

Cette année, l’organisation sera quelque peu différente. Kahina ne sera pas confinée. Malgré cette configuration, elle ne finit pas sa journée de travail tardivement, lui laissant le temps de s’organiser avant la rupture du jeûne. Son mari, en revanche, fera du télétravail. « Par choix » cette fois, compte tenu de la bonne expérience vécue l’an passé. Pas de doutes pour Kahina : bien vivre le mois du Ramadan en télétravaillant, « c’est une question d’organisation, d’équipement et de conditions de vie », estimant que son cadre de vie a joué pour beaucoup dans son appréciation. « Nous sommes conscients de notre chance. »

*Les prénoms ont été modifiés.

Source
www.saphirnews.com

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