Se construire en islam — Retrouver son essence et sa destination (2/4)

Après avoir exploré les limites du développement personnel tel qu’il est présenté par les approches modernes, il est essentiel de revenir à la question fondatrice de toute quête de sens : Qui suis-je ? Car c’est là, dans cette interrogation profonde, que commence la véritable construction de soi.

Celui qui voit avec lucidité perçoit, derrière le développement personnel humaniste et moderniste, un diable caché qui fait miroiter à l’homme des promesses de l’arbre de l’éternité et d’un royaume impérissable, alors qu’il ne lui promet que des mirages qu’il, assoiffé, prend pour de l’eau, {Mais lorsqu’il l’atteint, il ne trouve rien}.[1]

Le paradis promis par ces approches et ces théories, même si l’homme y trouve un certain bonheur, du plaisir ou de la puissance matérielle, il y souffre intérieurement de faim de sens, de nudité existentielle, de soif spirituelle, et de souffrance. Car l’idée moderniste de « développement humain » ne s’inscrit que dans une logique de « compétition matérielle idolâtre, de gaspillage effréné, et de soumission aux idoles que la modernité a divinisées, visant uniquement à flatter un ego dominant et avide de plaisirs ». L’homme darwinien, dans ce contexte, n’est qu’un singe debout, « errant sur terre, même s’il cherche désespérément à retrouver son humanité, son sens existentiel, à travers l’art, la science ou les fusées ». [2]

Le développement personnel divin, quant à lui, puise sa source dans le Coran et la guidance prophétique. Il pousse l’homme à se confronter sincèrement à lui-même en se posant ces questions essentielles : Qui suis-je ? Quelle est ma foi ? Quel est mon lien avec mon Seigneur ? Il l’aide à prendre en main son propre ego, à lutter contre ses passions, à l’éduquer et y implanter les vertus, à fortifier sa volonté afin de réaliser pleinement son humanité, et à orienter ses pas vers le bon chemin, dans l’espoir du bonheur éternel. Car « le vrai bonheur réside dans le fait que l’homme sacrifie son âme et son bien sur le chemin de Dieu. » [3]

La construction de soi et la question fondamentale : Qui suis-je ?

La première étape de la construction du soi consiste à se poser la question la plus essentielle, celle de l’identité : Qui suis-je ? Quelle est ma véritable nature ? Quelle est ma place dans l’univers ? D’où viens-je, et où vais-je ? Ensuite seulement vient la question de la personnalité, ce qui me distingue des autres, ce qui me donne le sentiment d’exister et d’être unique, avec ses caractéristiques propres, son tempérament et son éducation. Répondre à cette question fondamentale – et à celles qui en découlent – est ce qui détermine ma vision de moi-même et du monde, et détermine la forme de développement personnel que je poursuis.

Les philosophies humanistes modernistes, et les sciences humaines qui s’en inspirent, comme la psychologie ou la sociologie, font de l’homme la finalité de lui-même, voire le dieu de lui-même, ce qui finit par le détruire, malgré leurs prétentions à vouloir son bonheur. Car, à la base, elles reposent sur la croyance que l’homme n’a nul besoin de relation avec Dieu pour croître ou s’épanouir, et que toutes les potentialités de croissance résident en lui-même. C’est ce qu’a prétendu le philosophe allemand Ludwig Feuerbach, maître de cette philosophie matérialiste athée, lorsqu’il affirma que les forces attribuées autrefois à Dieu par un homme faible sont en réalité des potentiels latents en lui, qui peuvent s’épanouir s’il assume sa responsabilité, se libère et dépasse la religion, cette « enfance de l’humanité », selon un autre maître de l’athéisme moderne : le philosophe français Auguste Comte.

En répondant à la question « Qui suis-je ? », toutes les philosophies humanistes athées – qu’elles soient matérialistes, existentialistes, darwiniennes, agnostiques, naturalistes, économiques, marxistes, capitalistes ou freudiennes – donnent une réponse marquée par une rationalité arrogante, fière de ses réalisations scientifiques et techniques, fondée sur une philosophie grecque païenne, répétant en substance ce que disait autrefois Pharaon : {Ô notables ! Je ne connais pas d’autre dieu pour vous que moi.} [4]

Peu importe la diversité des expressions ou la multiplicité des styles, le message est le même : « Il n’y a pas de dieu, et la vie est matière », comme le disait Karl Marx.

L’homme, selon ces visions, est un être perdu dans un univers absurde, jeté dans un désert de non-sens, comme le prétendent les existentialistes. Pour Darwin, c’est un singe qui s’est redressé après une évolution, lui faisant perdre toute sa singularité et le ramenant à la simple lignée animale. Les agnostiques le considèrent comme une énigme insoluble, condamné à une souffrance métaphysique. Les économistes le voient comme une ressource à exploiter. Pour les marxistes, c’est un outil de production, esclave de la machine ou destiné au goulag. Pour les capitalistes, il est un consommateur, un marché, ou peut-être un produit. Et pour Freud, il n’est rien d’autre qu’un chaudron de pulsions. Nietzsche, lui, crie avec arrogance : « Dieu est mort ! », et prône que l’homme est né pour la puissance, et que nulle place ne doit être réservée aux faibles.  » [5]

Face à la question « Qui suis-je ? », ces philosophies modernes n’ont apporté à l’homme qu’égarement et confusion. Elles lui ont fait perdre le sens de son existence, en le coupant de son Créateur, l’ont fragmenté en multiples identités contradictoires. Il n’est plus un être unifié, mais une série de « moi » dispersés : je pense, je travaille, je possède, je parle, je suis beau, je profite… Je, je, donc j’existe. Je suis présent pour moi et avec moi, submergé par mes désirs, mes plaisirs, mes biens, mon statut, mon autorité… Je vis avec un faux moi, tournant autour de la matière, tiraillé par des passions contradictoires, aux multiples visages. Esclave appartenant à plusieurs maîtres en conflit. Dieu dit : {Dieu propose en parabole un esclave appartenant à des associés qui se querellent, et un autre exclusivement soumis à un seul maître. Les deux sont-ils égaux en exemple ? Louange à Dieu ! Mais la plupart ne savent pas.} [6]

Je suis éclaté, brisé, même si ma personnalité semble forte, puissante et charismatique. Si je suis perdu quant à ma véritable essence, absent à mon vrai moi, alors ma personnalité n’est qu’un masque, un rôle que je joue sur la scène de la vie, une tragédie déguisée en comédie, avant que la mort ne sonne l’heure du baisser de rideau.[7]

{Vois-tu celui qui prend sa passion pour sa propre divinité ? Et Dieu l’égare sciemment et scelle son ouïe et son cœur et étend un voile sur sa vue. Qui donc peut le guider après Dieu ? Ne vous rappelez-vous donc pas ? Ils dirent : « Ce n’est que notre vie d’ici-bas : nous mourons et nous vivons, et seul le temps nous fait périr. » Ils n’en ont aucune science ; ils ne font que conjecturer.} [8]

Une vision voilée, un cœur et une ouïe scellés ; un œil qui ne voit pas, derrière la création, un Créateur, et une oreille sourde au rappel de la guidance. Dieu dit : {Ils ont oublié Dieu, alors Il leur a fait oublier leur propre personne.} [9]

Si la construction de soi, selon les philosophies humanistes modernes, repose sur la surdité au rappel divin et l’aveuglement face aux signes de Dieu, la construction de soi en islam commence par le réveil de la fitra (la disposition naturelle ; l’innéité) pour entendre l’appel de son Seigneur, y répondre et l’accepter.

Dieu dit : {Notre Seigneur ! Nous avons entendu un appel nous appelant à la foi : « Croyez en votre Seigneur », et nous avons cru. Notre Seigneur, pardonne-nous nos péchés, efface nos mauvaises actions, et fais-nous mourir en compagnie des vertueux.} [10]

C’est là que commence le voyage : par un appel qui éveille chez l’homme une résonance intérieure, afin qu’il entende avec l’oreille de son cœur l’appel de son Seigneur. Ensuite vient l’éveil du cœur, le repentir sincère pour les péchés passés et les négligences précédentes. C’est ainsi que l’homme fait ses premiers pas vers son vrai moi, et retrouve sa santé originelle et sa fitra que le milieu familial et l’environnement culturel avaient altérée. « La fitra est un mot coranique qui désigne le socle psychologique de l’être humain. Cette fitra, ce moi profond, cette nature originelle enfouie au fond de chacun de nous, est le lieu de la foi et de la confiance en Dieu. » [11]

A suivre …

[1] La Lumière, verset 39

[2] A. Yassine. L’islam, demain ! p. 372

[3] [1] A. Yassine. L’équité : Les islamistes et la gouvernance, p.473

[4] Les Récits, verset 38

[5] A. Yassine. L’épreuve de l’esprit musulman, p. 82-83

[6] Les Groupes, verset 29

[7] A. Yassine. Dialogue avec un ami berbère, p89

[8] L’Agenouillée, verset 23 et 24

[9] La Résurrection, verset 19

[10] La Famille Imran, verset 193

[11] A. Yassine. Islamiser la modernité, p.154

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