Vous avez dit crise ?

Dangers nucléaires, dégradation de la biosphère, mondialisation dévastatrice, la famine en Afrique, conflits etno-politico-religieux, chômage et autant d’autres menaces sont abondamment utilisées pour décrire la réalité que nous vivons aujourd’hui. En croire les sujets traités dans les médias, nous sommes condamnés à ne pas avoir d’avenir. Tel le personnage de Shakespeare, constatant que les choses ont changé et qu’elles sont devenues folles, nous pouvons que conclure que notre époque est désaxée[i][1]. Cette formulation s’applique admirablement à notre époque et à ce que nous vivons depuis une dizaine d’années.

Il semble y avoir un certain consensus mondial sur la nécessité de relier que les mauvaises nouvelles, nous condamnant de ce fait à un cynisme et un pessimisme nous laissant impuissants face à la réalité. L’écrivain Ortega y Gasset, conclut sur les événements qui marquent son siècle  que « Nous ne savons pas ce qui se passe, et c’est précisément cela qui se passe… »[2] Le cynisme et le pessimisme ambiants ne nous permettent pas de mettre des mots sur ces phénomènes et d’y participer.  Car,  comme le met en lumière Mohammed Iqbal, Dieu a donné la faculté à l’Homme de nommer les choses, c’est-à-dire d’en former des concepts, et en former des concepts, c’est s’en saisir.[3]

Pour décrire cette réalité que nous vivons, le terme crise semble faire l’unanimité  dans le langage public et médiatique.  La crise est associée au jugement et à la prise de décision entre différentes tendances conflictuelles par son étymologie[4]. Dans le langage courant, ce terme désigne un état passager, exceptionnel et temporaire auquel il faut mettre fin de façon à revenir à la situation antérieure.  En termes économiques, cela équivaut à penser que nous renouerons un jour avec un progrès et une croissance ininterrompus. Or, croire en cela équivaut à apprécier le présent qu’en surface et oublier  que « le présent est aussi travaillé en profondeur par des sapes souterraines »[5]. La période que nous vivons n’est pas une crise, mais une métamorphose qu’il faut apprendre à comprendre et appréhender de façon à en réduire le péril. La métamorphose à la différence de la crise, implique que face à une difficulté ou un obstacle qui ne peuvent être absorbés, un système a deux choix : soit se régénérer, soit dégénérer. On est face à des mutations porteuses de menaces mais également à de formidables promesses, qui ne demandent qu’à se réaliser. Tout ce qui se passe actuellement ne nous conduit pas forcement à une catastrophe.

Il y a plusieurs mutations aujourd’hui que le terme crise n’est pas en mesure de mettre en évidence pour décrire la réalité du monde. Ibn ‘Haldûn abordait déjà en son temps cette nécessité d’aborder la réalité autrement qu’en surface :

« Lorsque les conditions de l’existence se trouvent ainsi entièrement bouleversées, on dirait que la création change jusqu’en ses fondements, que l’univers connaît une mutation radicale. C’est alors comme un monde nouveau que fait naître une création nouvelle. »[6]

En 2008, l’apogée du capitalisme financier déconnecté de l’économie réelle a généré une crise mondialisée, et à cela, se combine une succession de diverses crises enchevêtrées. Face à ces événements, plusieurs réformes interdépendantes les unes des autres se sont mises en places. Le paradoxe réside dans le fait que ni les médias, ni les sociologues ne mettent en avant ces réformes, sources probables du meilleur qui peut se produire. Or, il y a beaucoup de domaines où la métamorphose est entrée en activité[7].

La question reste de savoir comment allons-nous vivre ces métamorphoses et participer à ces mutations ? Nous verrons, dans les prochains articles, quelques exemples de métamorphoses porteuses d’espoir pour l’avenir.

 


[1] Hamlet l’un des personnages de Shakespeare conclut après avoir constaté que les choses ont changé et qu’elles sont devenues folles que son époque est désaxée (The time is out of joint ). Hamlet, Act I, scène 5.

[2] José Ortega y Gasset (1883-1955), La révolte des masses (1929).

[3] Mohammed Iqbal (1877-1938), Reconstruire la pensée religieuse de l’islam, éditions du Rocher.

[4] Le mot crise est issu du grec Κρίσις

[5] Edgar Morin, la voie, 2010, éditions Fayard.

[6] Ibn Khaldoun, La Muqaddima, extraits, Centre pédagogique Maghribin, Hachette-Alger, Paris, 1965, p.36.

[7] Edgar Morin distingue quatre domaines à travers lesquels un réel espoir d’un meilleur vivre ensemble se   manifeste : une régénération de la pensée politique, une réforme de la pensée et de l’éducation, une politique de la civilisation et une politique de l’humanité.

 

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