A la recherche du Réel perdu (1/2)

« Lorsque les conditions de l’existence se trouvent ainsi entièrement bouleversées, on dirait que la création change jusqu’en ses fondements, que l’univers connaît une mutation radicale. C’est alors comme un monde nouveau que fait naître une création nouvelle. »[1]

Cette belle explication donnée par Ibn Khaldoun aux métamorphoses qui s’opéraient en son temps, ne peut que faire écho à la « crise » que nous vivons. Nous avons abordé dans trois précédents articles une réflexion sur les métamorphoses que nous subissons depuis bien des années. Ces métamorphoses ont souvent étaient résumées depuis une quarante d’années au mot « crise » Or, nous réfutons ce terme car il biaise une réalité bien plus complexe et nous maintient dans une posture destructrice[2]. Pour cela, nous avons identifié des métamorphoses économiques prometteuses, signe « d’une mutation radicale ».[3]

La myopie intellectuelle

Nous avons conclu précédemment que le système éducatif, tel qu’il est conçu actuellement, ne prépare en rien à faire face à la vie.[4] Or, ce dernier ne fait qu’écho à notre façon de connaitre et concevoir le monde. Depuis la renaissance en Europe, il y a un mouvement de compartimentation du savoir qui s’est mis en place. Cette approche de la connaissance est née avec la Modernité occidentale qui formule la nécessité de séparation entre le sujet qui pense, l’objet pensé et la cause qui assure la permanence du sujet pensant, à savoir, Dieu.

Cette logique a été induite par une nécessité de simplification de schéma de connaissance. Ainsi, est né le paradigme de simplification, qui en dissociant le sujet (l’Individu), l’objet (le Monde) et l’être (Dieu) a permis à la pensée de concevoir la philosophie, la science et la théologie comme des entités distinctes gouvernées par leur propre logique. Pire, elle a même établi une hiérarchisation dans les domaines de la connaissance en attribuant à la Science un pouvoir de référence et de monopole de la vérité. Et qu’on ose se le dire, dans la République, la science avait pris la place de la religion. On l’a alors fétichiser pour mieux l’adorer. On s’est mis ainsi à adorer non plus Dieu, mais « l’Etre suprême », ou n’importe quoi, à n’importe quel prix.

Ce paradigme de simplification de la réalité, a permis de faire émerger des connaissances utiles, la révolution industrielle et enfin de donner à l’homme l’impression d’être « maître et possesseur de la nature ». Nous ne savons pas au nom de quoi, mais nous voilà capables de multiplier par dix millions notre taux de radioactivité et de bidouiller des gènes. Nous sommes passés du suicide individuel au suicide collectif pour mieux comprendre notre suicide planétaire. La science devait apporter paix et confort. Elle n’a fait que nous faire régresser pour nous faire devenir plus barbare.

Nous voici une fois de plus de retour au XVI siècle, à écouter notre ami Rabelais, prescrivant pour la bonne éducation de Gargantua : « … selon les dire du Sage Salomon, Sapience n’entre point en âme malveillante, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme, il te conviens de servir, aimer et craindre Dieu, et en lui remettre toutes tes pensées et tout ton espoir ; et par une foi charitable, lui être fidèle, en sorte que jamais tu ne t’en écartes par péché.[5]

Dure réalité que de voir la science incapable d’avoir une dimension humaine, qui ne fait ni politique, ni métaphysique ou morale. Les comités d’éthique ou les chartes ne suffisent pas à combler en nous le vide effrayant que nous devons affronter. Notre façon d’appréhender le monde nous ruine. L’homme est réduit à une conscience rationnelle calculant ses avantages. Nous voici face à deux nouveaux défis, maitriser non seulement le monde, mais nous mêmes.

Un individu est à la fois un ensemble d’organes et aussi une âme, une capacité à penser sa vie. Cette âme a des désirs auxquels une connaissance objective ne peut répondre. Chacun est confronté dans sa vie à des phénomènes inexpliqués par la science : l’amour, la poésie, la foi, le rêve… Que faire de ces savoirs subjectifs, affectifs, que la science ne reconnaît pas puisque seul compte à ses yeux ce qui se mesure, se chiffre, se définit véritablement ?

Peut-on choisir, doit-on choisir, entre d’un côté l’absolue certitude scientifique qui plie toute chose sous des lois nécessaires, et d’un autre coté une conscience singulière pour laquelle tout est subjectif ?

Nous voici encore condamner à choisir entre d’un côté, ce qui fait notre unité, notre intégrité et notre existence même et de l’autre, une connaissance et une maitrise de l’ordre des choses.

A suivre …

 


[1] Ibn Khaldoun, La Muqaddima, extraits, Centre pédagogique Maghribin, Hachette-Alger, Paris, 1965, p.36.

[2] http://www.psm-enligne.org/index.php/societe/societe/2529-vous-avez-dit-crise

[3] http://www.psm-enligne.org/index.php/societe/societe/2551-des-metamorphoses-economiques

[4] http://www.psm-enligne.org/index.php/societe/societe/2585-quelle-education-pour-apprendre-a-lire-le-reel

[5] Pantagruel (1592), Rabelais, éd. Gallimard, 1964, Chap. VIII, « Comment Pantagruel, estrant à Paris, receult letres de son père Gargantua, et la copie d’icelles ». p.137 ;

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