Gérer les crises au sein du couple

La société européenne ne cesse d’évoluer profondément depuis les années 70 et ceci concerne tous les domaines de la vie. La famille, étant le noyau de la société, n’a pas été épargnée elle non plus par ces évolutions qui touchent sa forme (la monoparentalité, les couples homosexuels, …), et son fond (la durée courte des relations de couple, la culture du développement personnel, la suprématie du « moi » sur le « nous »,…).

La famille (traditionnelle) musulmane en Europe a très longtemps résisté (au choc des cultures), pour maintenir la même structure familiale héritée et maintenir les valeurs qui lui étaient propres telles que : le modèle patriarcal, la place de la femme, le non divorce, le tabou de la sexualité…. Aujourd’hui, celle-ci connaît aussi une évolution particulière et sans précédent. De plus en plus de familles rompent avec les traditions de leurs aïeux vers une nouvelle culture « musulmane/européenne » qui laisse cohabiter les préceptes de la religion/spiritualité musulmane et la culture européenne. De plus en plus de femmes de confession musulmane poursuivent des études universitaires, elles sont actives au niveau professionnel et associatif. Nous voyons également le recul du nombre de femmes au foyer proprement dit, l’égalité dans le partage des tâches ménagères entre l’homme et la femme,  la culture « zen » qui marque les décors des foyers, l’épanouissement sexuel qui prend place de plus en plus, l’intervention d’une tierce partie pour accompagner le changement et le conflit au sein de la famille (psy, médiateur, coach), la question de l’enfant (le centre du monde) prend également plus que jamais de plus en plus d’importance (les besoins de l’enfant, le stress de l’enfant, les activités de l’enfant, le Smartphone,  …).

Au milieu de ces transitions, les couples de confession musulmane essayent de trouver un compromis entre satisfaire les traditions (la loyauté) et s’adapter à leur contexte (la modernité). Cela a un impact sur la perception du couple, sur la définition des rôles au sein des couples…. Une perception qui devient souvent l’une des sources principales des conflits.

Comme tous les couples, les couples musulmans passent par des crises inconfortables, certains résistent  pour protéger l’image sociale (faire bonne figure) et satisfaire les standards culturels/sociaux (difficultés de parler du conflit, ne pas se séparer car le divorce est mal vu..), certains se séparent/divorcent tantôt à l’amiable mais encore trop souvent d’une manière agressive, et d’autres « osent » en parler et demander de l’aide (auprès d’un imam compétent et de plus en plus auprès de psychologues, thérapeutes, médiateurs) pour pouvoir décider ensemble si « l’on continue ou pas ! ».

La crise conjugale est un passage important pour se remettre en question et pour revoir « le contrat » du couple ainsi que pour questionner les dysfonctionnements…. Elles sont certes inconfortables et difficiles mais en même temps, elles sont très souvent le départ d’une nouvelle vie de couple différente ou d’une séparation consciente et responsable (nous avons tout essayé ensemble mais en vain…)

Si l’on voit les crises comme essentielles à la construction de nos couples, si l’on voit les crises comme étant une étape pour co-re-construire à deux peut-être alors que l’on pourrait la dédramatiser et l’accueillir pour en tirer le meilleur. On pourrait certainement au lieu de voir en elle une ennemie, faire d’elle une chance pour grandir et s’élever, pour changer et apprendre des choses sur soi, sur l’autre et sur le couple que nous composons.

Partant d’un constat fait au sein de mon travail de coach et médiateur familial, nous pouvons mettre en avant 6 points qui pourraient un peu résumer ce qui manque aux couples en crises afin de les dépasser.

Partant de ces 6 points, un travail sur les perceptions peut être fait afin de voir différemment les crises et les dépasser avec sérénité et paix.

L’auto-responsabilisation

Les couples en moment de crise adoptent une de ces trois réactions:

– L’apathie : (je démissionne, nous habitons ensemble mais on ne vit plus ensemble…)

– La fuite : (je m’encombre d’activités, je reste au travail le plus longtemps possible, j’évite les discussions avec mon partenaire …)

– La confrontation : (je m’exprime, je fais des reproches à mon partenaire, j’exprime mes attentes …)

L’idéal serait que l’on opte pour cette dernière (la confrontation) afin de faire face à notre crise. Sauf qu’en l’absence de bonne méthode (savoir écouter, se faire accompagner par un professionnel, …) les échanges peuvent être agressifs (et pas forcément violents).

Dans ce cas il est utile que chaque partenaire (re)connaisse sa part de responsabilité, au lieu de se braquer pour se défendre/se protéger ou de passer son temps à accuser l’autre “c’est ta faute!” et essayer de convaincre tout le monde de son innocence “je suis la victime”, et attendre des efforts uniquement de la part de l’autre “si tu changes, notre relation ira mieux!”

L’auto-responsabilisation, c’est se poser les bonnes questions qui permettront de co-construire des solutions ensemble :

De quoi suis-je responsable? (Quels sont mes manquements, mes erreurs…)

Qu’est-ce que je peux changer? (Apprendre des leçons/expériences du passé)

De quoi avons-nous besoin pour que notre couple aille mieux? (Accompagnement, thérapie, aide….)

Exprimer des attentes claires

Derrière chaque mécontentement, il y a un besoin insatisfait ou bafoué.

Un mécontentement exprimé plutôt par des émotions que par les mots

La tristesse : (je me sens abandonné(e), je me sens impuissant(e), …)

La colère (je ne me sens pas respecté(e), je ne me sens pas considéré(e),…)

La peur (l’insécurité, l’avenir, …).

Entendre le langage des émotions demande une écoute active/thérapeutique puissante et une présence. Ces deux qualités sont les plus difficiles à mobiliser lors d’un conflit. C’est pour cela qu’il est utile de mettre des mots sur ce qu’on ressent, sur ce que l’on vit pour formuler des attentes claires et concrètes,  pour permettre à l’autre d’entendre et comprendre pour  co-construire ensemble une solution sans que personne ne soit perdant ou lésé.

Il y a des partenaires qui se plaignent de tout, tout le temps et chez tout le monde, mais ils sont incapables de dire et formuler ce qu’ils veulent concrètement. Malheureusement le partenaire ne peut pas le deviner, mais encore pire lorsque ces demandes sont mal exprimées le partenaire peut les interpréter différemment.

La communication active

Le mot-clef durant la crise est : la communication.

Communiquer activement, sortir du mutisme et de la surdité pour éviter les non-dits, les interprétations et surtout pour comprendre et extérioriser les pensées et les émotions au lieu de les étouffer (sinon ils risquent de se transformer en bombes à retardement incontrôlables).

La communication est une compétence obligatoire à développer au sein du couple, à travers des formations spécialisées ou par l’accompagnement d’un professionnel.

Le recul

Après plusieurs années de vie de couple, il y a certainement des choses vécues qui furent agréables en compagnie de l’autre. Notre partenaire a sans doute beaucoup de qualités positives. Mais la douleur du conflit nous empêche de voir ce côté positif; et prendre du recul pour évaluer à juste titre l’expérience de son couple est essentiel. Il faut durant les crises essayer de se rappeler les qualités de l’autre et tous les bons moments passés avec lui (elle). C’est souvent durant les crises que l’on a tendance à ne garder que le mauvais et ne voir que les défauts de l’autre, en apprenant à inverser cette tendance nous pourrons certainement arriver à amortir l’intensité de la crise et interagir avec justice et justesse.

La persévérance

Le changement est difficile, les crises sont inconfortables. Les “valeurs-compétences” comme la patience et la persévérance sont plus que jamais indispensables  pour surmonter une telle épreuve.

Ce n’est pas parce qu’on a essayé quelques fois sans succès qu’il faut s’abstenir de retenter de résoudre les problèmes et surmonter les blocages. Il est parfois utile de laisser le temps au temps, et de continuer quand-même à essayer les mêmes solutions ou d’autres…

La solidarité

La solidarité est un “devoir” (moral/éthique). Le partenaire a plus besoin de l’autre quand le couple va mal, à l’image de l’équipage d’un navire qui se serre les coudes pour affronter les tempêtes et les passages difficiles.

Et souvent lors de crises, nous aurons tendances à tourner le dos à l’autre, au lieu d’être encore plus proche de lui même si nous souffrons. Le mariage c’est être là pour l’autre dans les bons comme dans les mauvais moments.

En conclusion, nous pouvons dire que les crises sont des passages obligés dans la vie de tout couple. La façon dont nous voyons la crise, dont nous l’apprivoisons, dont nous la dépassons permettra de grandir, d’apprendre, de s’élever, de co-re-construire “ensemble”… La crise n’est pas l’ennemie du couple, elle est une leçon et une chance si nous décidons de nous battre et de faire d’elle une opportunité pour consolider nos liens.

Tout cela demandera évidemment de la patience et de la persévérance mais lorsque la crise se termine, on se dira sûrement que tout cela valait la peine de se battre, car choisir de construire au lieu de fuir apporte sans aucun doute beaucoup au couple!

2 commentaires

  1. Très bon article qui synthétise ce que vivent beaucoup de couples dans notre contexte. Le texte a une approche positive et constructive et il va directement à l’essentiel avec les 6 points proposés.

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