Le paradigme du Prophète Noé (paix sur lui)

Un récit inscrit dans la mémoire collective

S’il est un récit qui a parcouru le monde de part en part s’inscrivant d’une marque indélébile dans la mémoire collective, c’est bien celui du Prophète Noé (Nouh) : il est considéré comme le deuxième patriarche de l’humanité car après le déluge, de ses trois fils Saam, Haam (Cham) et Yaaphit descendront toutes les civilisations.

« Et Nous fîmes de sa descendance les seuls survivants ». (1)

Son récit sera conté par les Prophètes envoyés à chacune de ces civilisations. Ainsi se retrouve-t-on aujourd’hui avec des mythologies sumérienne, grecque, scandinave, chinoise ou même indienne sans oublier les traditions juives et chrétiennes reprenant ce fameux récit diluvien avec toutefois les regrettables modifications apportées par la main de l’homme. Par exemple dans la mythologie mésopotamienne, nous trouvons dans la première épopée découverte sur des tablettes à savoir l’épopée de Gilgamesh, le châtiment du déluge avec la fabrication de l’arche par Outa-Napishtim, un homme que les dieux ont voulu épargner, lui et sa famille. Il a même été prouvé que les gens de cette région située entre l’Euphrate et le Tigre se repéraient dans le temps grâce aux locutions lam abudi (avant le déluge) et arki abudi (après le déluge).

Toujours est-il que ce récit partagé est la preuve manifeste que le message a effectivement été présenté à chacun des peuples ayant existé sur cette terre. Les différents épisodes qui le composent sont présents dans de nombreuses sourates du Coran telles que Nouh, Al Ankabout, Houd, Younes, Al Aaraf… La sourate Nouh est la seule sourate du Coran à retracer exclusivement la vie d’un Prophète.

Le premier messager

Le Prophète Noé (paix sur lui) est également considéré comme le premier messager, la période qui le sépare de notre Père Adam est exprimée en arabe par 10 Qourouns : Qouroun peut vouloir dire « siècles » comme il peut aussi bien vouloir dire, dans certains cas, « générations ». Dans le premier cas, le calcul est très simple, 10 siècles équivalent à mille ans mais dans le second cas, cela s’avère plus délicat car une génération peut représenter 100 comme 1000 ans. D’ailleurs l’âge de Noé (paix sur lui) nous donne un bel exemple du grand âge que pouvaient atteindre les hommes dans le passé. 

« Et en effet, Nous avons envoyé Noé vers son peuple. Il demeura parmi eux mille ans moins cinquante années. Puis le déluge les emporta alors qu’ils étaient injustes. (2)

D’après ibn Abbas, Noé (paix sur lui) a reçu sa mission à l’âge de 480 ans et a vécu encore 350 ans après le déluge. Eu égard à ces éléments, son âge aurait donc été de 1780 ans.

Il faut savoir que les 10 qourouns durant, les hommes étaient soumis à Dieu et Lui vouaient un culte exclusif. Le point de départ de la mécréance nous fait prendre toute la mesure de la sournoiserie du malin, ce dernier maniant l’art d’habiller le mal par le vêtement du bien. Ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ? Les bonnes intentions étaient ce qui animaient les hommes à cette époque lorsqu’ils ont décidé de faire de Wadd, Suwâ, Yaghhû, Ya’ûq et Nasr’ figures pieuses respectées de tous des représentations imagées, un temps pris pour exemples, un temps vénéré pour finir par être adorées. Aujourd’hui encore, nous trouvons le même fourvoiement sauf qu’il ne dit pas son nom. Sous couvert de réalisation spirituelle, objectif noble, nous laissons l’insidieux pénétrer notre champ salutaire. Certaines pratiques relèvent-elles de simples outils facilitateurs ou d’un véritable enrégimentement captieux à la perdition ? Le suivi aveugle est un chemin vers l’égarement. Il relève donc de la responsabilité de chacun de méditer ces récits rapportés et d’agir en conséquence. Dieu est Pardonneur et Miséricordieux.

« Et tout ce que Nous te racontons des récits des messagers, c’est pour en raffermir ton cœur. Et de ceux-ci t’est venue la vérité ainsi qu’une exhortation et un rappel aux croyants ». (3)

Le Prophète Noé a appelé son peuple pendant 950 ans en gardant la même ligne de conduite basée sur la douceur du verbe et la détermination dans la mission. Il fait d’ailleurs partie de ceux qu’on nomme les cinq messagers de la détermination à savoir Mohammed, Ibrahim, Noé, Moise et Jésus (paix sur eux). Il a essuyé moqueries et dénigrements de la part des notables de son peuple, seuls les plus vulnérables socialement se rallièrent à sa cause. Malgré 950 années d’appel continu à Dieu, Noé (paix sur lui) n’a éprouvé aucune frustration ou colère sinon de la tristesse corollaire de sa sincérité. Il énumérait les largesses dont Dieu couvrait l’humanité, les créations grandioses qui rendaient le monde harmonieux mais parfois il était amené, également, à rappeler la dureté de Dieu dans le châtiment. Chaque tentative de raisonnement de son peuple se soldait par une fuite de ce dernier. Il était pourtant un homme d’une grande éloquence. Il leur a retracé de manière claire et limpide tout l’engrenage fomenté par ibliss pour les détourner de Dieu. Mais voilà, il se heurtait à l’incroyance d’un peuple dont l’entendement biaisé par les pratiques incultes ne laissait guère place à un dialogue serein.

« Seigneur !  J’ai appelé mon peuple nuit et jour, mais mon appel n’a fait qu’accroître leur répulsion.  Et chaque fois que je les ai invités (à croire) afin que Tu puisses leur pardonner, ils ont mis leurs doigts dans leurs oreilles, se sont enveloppés dans leurs vêtements, se sont entêtés (dans leur refus de croire) et se sont montrés orgueilleux à l’extrême. » (4)

Parmi les hostiles infidèles qui constituaient la majorité de son peuple, il y avait sa femme et l’un de ses fils de leurs noms Wa’ilah et Yam. Son épouse a même été cité en parabole par Dieu dans le Coran aux côtés de l’épouse du Prophète Loth pour son comportement infâme envers son mari. Aussi a-t-elle colporté toutes sortes de rumeurs faisant de son mari un possédé, un menteur et a embrigadé son fils au passage. Noé (paix sur lui) n’a jamais désespéré, 950 ans n’est pas le temps qu’il a tenu mais le temps que Dieu a accordé à ce peuple pour abandonner la perversion. Son peuple ne cessait de s’enfler d’orgueil et “Ils dirent : ” Ô Noé, tu as disputé avec nous et multiplié les discussions. Apporte-nous donc ce dont tu nous menaces, si tu es du nombre des véridiques”.”(5)

« Et il fut révélé à Nouh : « De ton peuple, il n’y aura pas plus de croyants que ceux qui ont déjà cru. Ne t’afflige pas pour ce qu’ils font ». » (6)

« Et Noé dit : « Seigneur !  Ne laisse sur terre aucune âme qui vive parmi les mécréants.  Si Tu les laisses [en vie], ils égareront Tes serviteurs et n’engendreront que des ingrats dépravés. » (7)

Noé (paix sur lui) avait comme principal souci de satisfaire Dieu et s’inquiétait du devenir des hommes avec de tels ascendants. Cet épisode de sa vie nous enseigne que dans l’appel à Dieu la bonne parole et la patience doivent être nos compagnons de route les plus fidèles mais aussi que le résultat appartient à Dieu. Pour revenir à notre contemporanéité, nous assistons à une déconstruction générale, laquelle n’épargne pas notre communauté. Une remise en question boulimique en flirt avec le nihilisme. Les manifestations de ce phénomène sont nombreuses allant du rejet de principes dogmatiques, des hadiths à l’intégration de croyances et rites païens qu’on se réattribue par un jeu de contorsion. Pourquoi serions-nous choqués de tels glissements ? Dieu ne nous a-t-Il pas fait parvenir nombre de récits contant les mêmes bouleversements ? Pensions-nous vivre une trêve avec celui qui a juré notre perdition ? En vérité, la vraie question est : sommes-nous prêts, à l’exemple de Nouh (paix sur lui), à nous sangler comme pour se préparer à l’effort ?

Le déluge

Après l’invocation de Noé (paix sur lui), Dieu Le Très-Haut lui a révélé de construire une arche.

« Et construis l’Arche sous Nos yeux et d’après Notre Révélation. Et ne M’interpelle plus au sujet des injustes, car ils vont être noyés ». (8)

Cet ordre aurait été étonnant pour tous sauf pour le Prophète Noé. Bien qu’il vécût dans les steppes d’une région désertique éloignée de tout rivage et dont le bois se faisait une denrée rare, il n’a pas posé de question et s’est mis à la construction de l’arche en suivant minutieusement les instructions de son Seigneur. Sa confiance inébranlable en Dieu lui a permis de réaliser l’extraordinaire. Pour les notables de son peuple, voilà qu’il passait d’orateur à charpentier et quelle belle occasion de continuer la dérision.

L’arche construite, Dieu Le Très Haut demanda à Noé (paix sur lui) de rester alerte au signe qui signifiera le moment d’investir l’arche. Ce signe se matérialisera par un four d’où sort un feu et dans lequel une eau bouillonnera. A son apparition, sans attendre un instant, Noé (paix sur lui) appelle le groupe de fidèles qui comptait notamment trois de ses fils et leurs épouses à monter dans l’arche. Un mâle et une femelle de chaque espèce animale montèrent également conformément aux directives de Dieu. Tout cela se passait sous les yeux effarés des infidèles qui se demandaient pourquoi ils montaient sur une arche en plein désert.

« Puis, lorsque Notre commandement vint et que le four se mit à bouillonner [d’eau], Nous dîmes : “Charge [dans l’arche] un couple de chaque espèce ainsi que ta famille, sauf ceux contre qui le décret est déjà prononcé. » (9)

« Nous ouvrîmes alors les portes du ciel à une eau torrentielle. » (10)

Le ciel s’est ouvert laissant échapper une pluie diluvienne et de la terre ont jailli des sources. Dans cette montée effrénée du niveau de l’eau, Noé (paix sur lui) eut le temps d’apercevoir son quatrième fils qui se dirigeait au sommet d’une montagne. Entre deux vagues, il l’appelait et l’enjoignait à le rejoindre mais son fils persista à l’ignorer et bientôt l’eau recouvrit tous les monts.

« Et Noé invoqua son Seigneur et dit : « Ô mon Seigneur, certes mon fils est de ma famille et Ta promesse est vérité. Tu es le plus juste des juges ». » (11)

Il dit : “Ô Noé, il n’est pas de ta famille car il a commis un acte infâme. Ne me demande pas ce dont tu n’as aucune connaissance. Je t’exhorte afin que tu ne sois pas du nombre des ignorants”. (12)

Alors Noé dit : “Seigneur, je cherche Ta protection contre toute demande de ce dont je n’ai aucune connaissance. Et si Tu ne me pardonnes pas et ne me fais pas miséricorde, je serai au nombre des perdants”. (13)

Voilà que l’arche, chargée de tous ses habitants, voguait sur la mer et Seul Dieu sait combien de temps : « Et il fut dit : « Ô terre, absorbe ton eau ! Et toi, ciel, cesse [de pleuvoir] !» L’eau baissa, l’ordre fut exécuté et l’arche s’installa sur le Jûdi, et il fut dit : « Que disparaissent les gens pervers » ! » (14)

Le mont El Jûdi est situé à la frontière entre la Turquie et l’Irak. Il a fait l’objet de très nombreuses expéditions sur les traces de l’arche.

« Et Nous la laissâmes, comme un signe [d’avertissement]. Y a-t-il quelqu’un pour réfléchir ? » (15)

Le repeuplement de la terre

Des survivants, seuls les trois fils du Prophète Noé ont eu une descendance.

D’après Samoura Ibn Joundoub, le Prophète, paix et salut sur lui, a dit : « Saam est le père des

Arabes, Yaafith est le père des Romains et Haam est le père des Abyssins (éthiopiens). (16)

Les injustices qui ont été perpétrées à travers l’histoire, les rapports de force, les guerres destructrices, les frontières illégitimes ont créé de nombreux peuples orphelins de l’histoire. L’écriture de romans nationaux a contribué aussi à créer de l’ethnocentrisme et par voie de conséquence du mépris entre les peuples. Aujourd’hui, tous les peuples rêvent d’un passé glorieux et fantasment sur des théories d’âge d’or plus farfelues les unes que les autres. Certains vont même jusqu’à prétendre qu’ils sont la civilisation de laquelle découlent toutes les autres. Or comme vu plus haut, toutes les civilisations ont débuté concomitamment après le déluge et leur père est un. Dieu nous a créés d’une même source, pourtant force est de constater que persiste un chauvinisme tenace parmi les causes de l’affaiblissement de l’unité de la oumma.

« Les gens ne formaient (à l’origine) qu’une seule communauté. Puis ils divergèrent. » (17)

« Et obéissez à Dieu et à Son messager ; et ne vous disputez pas, sinon vous fléchirez et perdrez votre force. Et soyez endurants, car Dieu est avec les endurants ».  (18)

L’histoire du Prophète Noé nous apprend que le lien le plus fort qui puisse unir n’est ni la patrie, ni la couleur de peau, ni les liens du sang mais bien la foi en Dieu. La prise de conscience de cela jouera le rôle de véritable catalyseur de renouveau.

Le testament du Prophète Nouh

D’après un hadith du Prophète, paix et salut sur lui, rapporté par Abdallah ibn ‘Amr, sur son lit de mort, Noé (paix sur lui) prononça les paroles suivantes :

« Ô mon fils ! Je vais te dicter ce testament. Je t’ordonne deux choses et t’en interdis deux autres. Je t’ordonne de témoigner qu’il n’y a de divinité digne d’adoration que Dieu, car si on mettait les sept cieux et les sept terres sur le plateau d’une balance et l’attestation qu’il n’y a de divinité digne d’adoration que Dieu sur l’autre, la balance pencherait du côté du plateau de cette dernière. Et si les sept cieux et les sept terres étaient un anneau solide, l’attestation qu’il n’y a de divinité digne d’adoration que Dieu l’aurait brisé. Gloire et louange à Dieu, c’est par elle que se lient les choses et par elle que les créatures reçoivent leur subsistance. Et je t’interdis le polythéisme (chirk) et l’orgueil. »

Après avoir été questionné par ses compagnons, au Prophète Mohammed (paix et salut sur lui) de préciser l’orgueil en ces termes : « C’est de rejeter la vérité et de mépriser les gens ! ».

Le testament a un pouvoir révélateur de notre attachement le plus profond. Notre père Noé nous a transmis un paradigme reposant sur quatre principes de valeurs dont le plus sublime est La Ilaha illa Allah, il n’y a pas d’autre divinité à part Dieu. Il a porté la majeure partie de sa vie ce message pour ensuite le léguer à sa descendance. Ce qui était le leitmotiv de sa vie doit être également celui des nôtres.

« Et qui profère plus belles paroles que celui qui appelle à Dieu, fait bonne œuvre et dit : « Je suis du nombre des Musulmans ? » » (19)

  1. Coran : [37 ; 77]
  2. Coran : [29 ; 14]
  3. Coran : [11 ; 120]
  4. Coran : [71 ; 5-7]
  5. Coran : [11 , 32]
  6. Coran : [11 , 36 ]
  7. Coran : [71 , 27]
  8. Coran : [11 , 37 ]
  9. Coran : [11 , 40]
  10. Coran : [54 , 11]
  11. Coran : [11 , 45]
  12. Coran : [11 , 46]
  13. Coran : [11 , 47]
  14. Coran : [11 , 44]
  15. Coran : [54 , 15]
  16. Hadith rapporté par Tirmidhi
  17. Coran : (10 , 19)
  18. Coran : [8, 46]
  19. Coran : Sourate Fussilat, Verset 33.  

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