Quand la ruse remplace la morale : lecture spirituelle de Tom et Jerry

« Il a réussi, celui qui s’est purifié. Il a rappelé le nom de son Seigneur et a prié. Mais vous préférez la vie d’ici-bas, alors que l’au-delà est meilleur et plus durable. » [1](Coran, Sourate Al-A‘la, 14-17)

Un dessin animé, mais pas si innocent

À première vue, Tom et Jerry n’est qu’un divertissement : un chat maladroit qui court après une petite souris rusée. Les enfants rient, mais derrière cette légèreté se cache un message implicite : dans ce monde, ce n’est pas le juste qui gagne, mais le plus malin.

« L’être humain naturel ne voit aucun mal à être fier de lui-même et des réalisations de son esprit. (…) Sa fierté et le but ultime de son existence résident dans l’expression de sa force et de sa supériorité. » [2]

Ainsi, ce récit n’est pas neutre. Il s’inscrit dans une généalogie philosophique lourde : celle du darwinisme social et du surhomme nietzschéen. Une vision du monde où l’éthique est reléguée, où la morale est « invention des faibles », et où la réussite s’arrache par la force, la tromperie ou l’efficacité. Abdelwahab El Messiri [3] y voit l’un des plus grands glissements de la modernité : « L’homme y est réduit à sa dimension fonctionnelle, biologique ou économique. ».

Une victoire amputée de sens

Dans Tom et Jerry, gagner ne signifie pas rétablir la justice. La victoire récompense seulement la ruse, même destructrice. L’enfant comprend alors qu’il suffit d’être malin, rapide et audacieux pour réussir — pas d’avoir raison.

Or, le Prophète Mohammed (paix et salut sur lui) disait : « Le fort n’est pas celui qui terrasse l’adversaire, mais celui qui se maîtrise lorsqu’il est en colère. » [4]

La vraie force, selon l’islam, n’est pas la domination mais la maîtrise de soi.

Quand Nietzsche et Darwin suppriment la morale

Nietzsche voyait la morale comme une invention des faibles : Dans Par-delà le bien et le mal, il écrit que « les faibles inventent la morale pour neutraliser les forts ». Il exalte la « volonté de puissance » comme essence de l’humain.

Darwin, quant à lui, dans La filiation de l’homme,appliquait la sélection naturelle au monde social : seuls les « mieux adaptés » survivent. Ces deux visions glorifient un monde sans transcendance, où seule l’efficacité compte.

Le Professeur Abdessalam Yassine, en réaction à cette vision, affirme : « La Loi de Dieu guide l’homme dans son cheminement vers sa finalité et la société vers la réalisation de ses buts. Finalité de l’homme et buts de la société sont des vérités révélées. L’homme, livré à son moi psycho-égoïste, ne peut imaginer d’autre finalité que le “bonheur” animal avec toutes les satisfactions de dominance et de jouissance. » [5]

Le Coran : une autre définition de la réussite

Le Coran renverse cette lecture brutale du monde. Il ne célèbre pas celui qui gagne, mais celui qui se purifie. Il ne glorifie pas le rusé, mais le véridique, le patient, le loyal. La réussite y est intérieure, spirituelle, fondée sur une tension constante entre l’ego et la transcendance.

« Certes, l’homme est en perdition. Sauf ceux qui croient, accomplissent les bonnes œuvres, s’enjoignent mutuellement la vérité et s’enjoignent mutuellement la patience. » [6]

Il y a une distinction capitale entre la « vision organique » et la « vision morale » de l’homme : l’être humain n’est pas un simple prolongement de la nature. Il est porteur de sens, il résiste, il choisit.

L’éducation de l’enfant : un enjeu spirituel

Quand un enfant rit de l’échec de Tom, il apprend inconsciemment qu’il suffit d’être plus rusé que plus fort. Mais le dessin animé ne dit rien sur le bien et le mal. Ce silence éduque à une logique post-morale : le vainqueur a toujours raison.

Or, l’éducation islamique repose sur la fitra (disposition naturelle au bien). Le Prophète (paix et salut sur lui) nous appelle à éduquer les enfants dans la douceur, la justesse et la véracité :« Le croyant ne ment pas. » [7]

Pas parce que cela ne marche pas, mais parce que c’est mal. Point.

Réhabiliter la morale comme critère du succès

L’homme n’est pas une souris rusée, mais un être porteur d’un souffle divin. Il n’est pas un simple stratège du vivant, mais un être en quête de vérité. Réduire sa réussite à l’efficacité, c’est lui retirer son âme.

Le message de Tom et Jerry n’est pas isolé : il reflète une culture qui valorise la stratégie plutôt que la spiritualité. L’islam, au contraire, rappelle que l’homme est né pour la vérité et la transcendance.

Le vrai combat n’est donc pas entre Tom et Jerry. Il est entre deux anthropologies : celle de la ruse et celle de la responsabilité devant Dieu

Un appel au retour au Coran

L’éducation islamique n’est pas une simple transmission de savoirs, mais une résistance à l’oubli de Dieu. Elle est le rappel constant que la réussite est dans la purification, non dans la ruse.

Comme le proclame avec force Abdessalam Yassine : « La vie de l’homme moderne est dispersée et misérable. Sa misère est palpable et quantifiable, même si parfois elle demeure camouflée et inconsciente. La plus grande des misères des hommes victimes de la modernité, c’est de rester désinformés. Le Coran, parole divine, est la vérité mise à la disposition de qui veut et surtout de qui peut et ose, en ces temps spirituellement désertiques, ouvrir le Saint Livre et tenter une lecture. L’islam est l’antidote de l’ignorance. Cela te sera certainement difficile de le faire, homme mon frère, femme ma sœur, quelle que soit ton obédience idéologique, ta religion ou ton appartenance politique, car tu es dispersé entre mille préoccupations, distrait toujours, attristé souvent, disponible très rarement. Je maintiens pourtant ma suggestion d’ouvrir le Coran : elle rencontrera peut-être un moment privilégié où refait surface cette inquiétude qui nous habite tous et que nous refoulons pour nous livrer à l’insouciance. Elle te poussera peut-être à prêter l’oreille et à écouter le Message. Lis-en une page, une seule page ! Peut-être y trouveras-tu une réponse à la question qu’une voix intime te pose régulièrement ?! » [8]

Première parution de l’article sur le site yassine.net

[1] Coran, Sourate Al-A‘la, 14-17

[2] Abdessalam Yassine, Choura et Démocratie, p.243

[3] Intellectuel égyptien reconnu, qui a marqué la pensée islamique contemporaine et la critique de la modernité occidentale

[4] Rapporté par Boukhari

[5] La révolution à l’heure de l’Islam, p.156

[6] Coran : Sourate Al-‘Asr, 1-3

[7] Rapporté par Ahmad

[8] Islamiser la modernité, p.33

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