Maurice Gloton : Les origines de la Ka’ba et du Pèlerinage

Erudit, grand spécialiste du lexique coranique et traducteur du Coran, Maurice Gloton, nous livre dans l’introduction de l’ouvrage « Les secrets du Pèlerinage en Islam » (Albouraq) de l’imam Al-Ghazali, un commentaire magistral et profond sur les origines symboliques de la Ka’ba et du grand Pèlerinage à la Mecque.

Le douzième mois, Dhû-l-Hijja, de l’an dix de l’Hégire, quelques mois avant sa mort, le Prophète – sur lui la Grâce et la Paix – fit, avec un très grand nombre de musulmans, cent quarante mille dit-on, le pèlerinage à la Mekke, nommé le Pèlerinage de l’Adieu, hijjat al-Wadâ.

L’un des derniers versets de la Révélation descendit sur le Prophète le jour d’Arafat, le neuf de Dhou-l-Hijja. Dieu dit : « Ce jour, J’ai parfait pour vous votre Religion, J’ai parachevé Mon bienfait à votre égard et J’ai agréé pour vous l’Islam comme Religion… » (Coran 5-3).

En dehors du fait que la Révélation coranique est scellée par ce verset, le choix de ce lieu même d’Arafat – de la Gnose selon la signification de ce terme – n’est pas indifférent. Situé en dehors et à la limite du Territoire sacré dont le centre est la Mekke, il constitue l’endroit essentiel du Pèlerinage, car selon un hadîth sûr: « Le Pèlerinage c’est Arafa » et celui qui a manqué d’y être présent n’est pas inscrit auprès de Dieu comme pèlerin ; il est tenu alors de refaire son pèlerinage l’année suivante.

Le choix de ce lieu même d’Arafat – de la Gnose selon la signification de ce terme – n’est pas indifférent. Situé en dehors et à la limite du Territoire sacré dont le centre est la Mekke, il constitue l’endroit essentiel du Pèlerinage

Si les nouvelles prophétiques concernant le Pèlerinage sont nombreuses – et Ghazâlî en cite un grand nombre tout le long de son traité sur le Pèlerinage – les versets coraniques, par contre, dont certains traitent incidemment de ce pilier de l’Islâm, sont en petit nombre. Nous donnerons l’ensemble de ces versets un peu plus loin.

Le temple de la Mekke

Une constatation s’impose, tant dans le Coran que dans les nouvelles prophétiques et les différentes traditions : le Prophète Abraham – sur lui la Paix de Dieu -, en inaugurant un nouveau cycle historique humain, reconstruisit, avec son fils, le Prophète Ismaël – sur lui la Paix de Dieu – le Temple de la Mekke, appelé alors Bakka.

Selon des récits remontant, pour la plupart, à des Compagnons du Prophète ou de la génération suivante, récits qui sont ce qu’on appelle des Israïliyyât – c’est-à-dire des récits transmis sans filiation faisant autorité, par des juifs convertis à l’Islam – Adam évolua avec Ève, son épouse, dans ce même territoire où se fit le Pèlerinage d’Abraham et de son fils Ismaël et où il se fait actuellement.

La plupart des informations qui nous sont ainsi parvenues à ce sujet sont trouvées dans les premiers commentai-res du Coran et dans certains récits concernant les Prophètes respectifs. Nos sources sont donc pour l’essentiel :

Le grand Commentaire coranique de at-Tabarî (Abû Ja’far Muhammad Ibn Jarir), intitulé : Jâmi` al-Bayân fi Tafsir al-Qur’ân. Du même auteur, Ta’rîkh ar-Rusul wa-l-Mulûk, « Histoire des Messagers et des Rois ». Al-Azraqi (Muhammad Ibn ‘Abd Allâh) : Akhbar Makka, « Histoire de la Mekke. » Tha’labî dont le nom exact est : Ishâq Ahmad Ibn Muḥammad Ibn Ibrâhîm an-Nîsâbûrî. Qişâş al-Anbiya’, « Récits sur les Prophètes. » et Ismâ’il Haqqi, Tafsir Rûh al-Bayân.

Selon deux nouvelles prophétiques transmises respectivement par Abû Sharîh al-Khuzâ’i et Ibn ‘Abbâs, le Messager de Dieu – sur lui la Grâce et la Paix – émit les propos suivants au moment de la prise de la Mekke :

« Certes Allâh a rendu sacrée la Mekke, le jour où Il créa les Cieux et la Terre. Aussi est-elle sacrée par le caractère sacré même de Dieu, jusqu’au Jour de la Résurrection. Il n’est alors licite pour aucune personne ajoutant foi en Dieu et dans le Jour Ultime d’y répandre le sang et d’y abattre des arbres… »

« Cette ville est une Enceinte sacrée qu’Allâh a sacralisée le Jour où Il créa les Cieux et la Terre, le Soleil et la Lune, et où Il établit les deux monts qui surplombent la Mekke nommés al-Akhshab, depuis Elle n’a jamais été désacralisée pour personne avant moi et ne le sera pour personne après moi... »

Adam et les origines du Pèlerinage

Abd Allâh Ibn Amru précise : « Alors qu’Allâh fit descendre Adam hors du Jardin paradisiaque, Il lui dit : « Avec toi, Je vais faire descendre un Temple (bayt) autour duquel on circulera comme on le fait autour de Mon Trône et près duquel on fera des actions de Grâce unifiante comme on le fait près de Mon Trône… ».

Ibn ‘Abbas précise que « le Temple fut déposé sur quatre assises d’eau, deux mille ans avant la création de ce monde. La Terre fut alors étendue sous le Temple. » Atâ Ibn Abî Rabâḥ relate que « à la Mekke se trouve une pierre sur laquelle est inscrit : « Certes, Je suis Allâh, Maître de Bakka que J’ai édifiée le Jour où J’ai façonné le Soleil et la Lune et autour de laquelle J’ai fait processionner sept Anges.»

Qatâda ajoute que « l’endroit où Adam descendit fut l’Inde…», donc à l’orient de la Mekke. C’est dans l’Enceinte de la Mekke qu’Adam rencontra Eve qui s’était fixée à Jedda, à l’occident, après leur chute du Paradis. Jedda située près de la Mekke signifie l’Aïeule. L’un et l’autre étaient tenus de passer la nuit à Safa pour Adam et à Marwa pour Eve, jusqu’à l’époque où l’archange Gabriel leur révéla les prescriptions du Pèlerinage.

A Minâ dont le sens est « vœu, souhait » – Adam formula le vœu de retrouver Eve qu’il rencontra et « connu » à Arafat dont le nom évoque la connaissance ou la Gnose. A Muzdalifa, (L’endroit de la proximité), ils se rapprochèrent et à Jam, (l’union), ils s’unirent.

Ce sont les mêmes lieux sacrés – qui suggèrent un symbolisme primordial et permanent susceptible de transpositions historiques, cosmiques et métaphysiques que franchirent à leur tour Abraham et Hagar accompagnés de leur fils et prophète Ismâ’îl. Les récits prophétiques et traditionnels sont nombreux qui relatent la reconstruction du Temple de la Ka’ba, les tournées autour de lui et la Septuple course entre Safâ et Marwâ.

Ces récits sont, pour la plupart, corroborés par les versets de Coran, traduits ci- dessous, qui mentionnent le rôle d’Abraham et d’Ismaël dans l’édification du Temple, leur fonction cyclique et leurs interventions providentielles dans la réactualisation et l’adaptation des principaux rites du Pèlerinage universel en ces Territoires.

Le symbolisme des noms lié au Pèlerinage

Nous avons pu constater que les noms de lieux où le Pèlerinage s’effectue, les noms des personnages mythiques ou historiques qui y évoluent, présentent des significations symboliques multiples. Les mots hajj, hijj, ‘Umra, Ka’ba sont eux-mêmes susceptibles de sens divers.

Les noms de lieux où le Pèlerinage s’effectue, les noms des personnages mythiques ou historiques qui y évoluent, présentent des significations symboliques multiples.

Nous verrons que dans le Coran le mot hajj est mentionné neuf fois et le mot hijj une fois. Les commentateurs ne font pas toujours une différence entre ces deux vocables qui proviennent de la racine H.J.J. signifiant : se diriger vers, se proposer, l’emporter dans l’argumentation sur quelqu’un. Les deux mots qui en dérivent hajj et hijj signifient tous deux : quête, le fait de se proposer quelque chose.

Le mot hajj est un nom verbal (maşdar) qui implique l’ensemble des actes accomplis pendant le Pèlerinage ou la mise en œuvre de la Quête, vers le Temple selon le déroulement des rites. Le mot hijj est un nom (ism) et se réfère dans le Coran à la Quête du Temple lui-même (Cf. Coran 3-97) et non pas vers lui. Tabarî, dans son grand Commentaire du Coran, ne fait pas de différence entre ces deux vocables.

Le terme `Umra, traduit habituellement par « Petit Pèlerinage ou Visite, Visitation, vient d’une racine `.M.R. signifiant: visiter, construire, rendre florissant, être fréquenté, conserver en vie, (se) cultiver. La ‘Umra est la visite vivifiante, la fréquentation, la longévité.

Ka’ba vient de la racine K. B. signifiant avoir les seins formés, remplir, donner la forme d’un carré ou d’un cube. ces deux sens principaux sont ici à retenir. Certaines traditions rapportent que le Temple de la Ka’ba avait primordialement la forme d’une tente arrondie. Elle prit par la suite l’aspect d’un triangle isocèle arrondi à l’extrémité de ses deux côtés égaux.

Sa forme actuelle est un parallélépipède légèrement irrégulier prolongé par un demi cercle, la partie qui le sépare du Temple étant nommé hijr (empêchement, interdiction, protection).

Source
https://www.mizane.info/

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