Al-’Afuw

Au nom de Dieu le Très Rayonnant d’Amour, le Tout Rayonnant d’Amour.

Notre hôte est sur le point de s’en aller et nos cœurs se serrent à la seule pensée qu’il nous quitte. L’idée du départ, de la séparation est douloureuse. Elle nous rappelle peut-être, sans doute, la séparation originelle, celle d’avec notre Créateur, dont la douleur est ineffable, le souvenir impérissable et la cicatrice enfouie à jamais en nous, jusqu’à notre retour à Lui.

Les paroles sages et apaisantes du Véridique Abou Bakr (que Dieu l’agrée), plus proche ami et compagnon de notre Prophète -puisse Dieu l’envelopper de Sa grâce et de Sa paix-, lorsque vint l’heure de la séparation et que celui-ci rejoignit son Seigneur, résonnent alors en moi : « Et maintenant, que ceux d’entre vous qui adoraient Mohamed sachent que Mohamed est mort, et que ceux qui adorent Dieu sachent que Dieu est vivant et qu’il ne mourra jamais » [1].

Et bien, à ceux qui adoraient le Ramadan, car ils y ressentaient intensément cette Proximité divine, je dis : réjouissons-nous, car si le départ du Ramadan est imminent, il s’en va en nous laissant en compagnie d’Al-’Afuw, le seul qui ne nous quitte jamais, qui veille sur nous et nous enveloppe de Sa protection à chaque seconde, le seul digne d’être adoré.

Notre visiteur reste toutefois encore un peu en notre compagnie et nous avons encore une nuit impaire à vivre et à veiller : une possibilité qu’il s’agisse de la nuit de la destinée, cette nuit célébrée par l’ensemble de la création, dont les anges par nuées et l’Archange Gabriel -que la paix divine soit sur lui-. Lorsque notre mère bien-aimée ‘Aïcha, que Dieu l’agrée, demanda « Ô Messager de Dieu, si je savais quelle nuit est la nuit de la Destinée-laylat al-Qadr-, que devrais-je dire ? Dis : Allahumma innaka ‘afuwwun tuhibbu al-‘afwa fa-‘fu ‘annî : Ô Seigneur, Tu es Celui qui efface les fautes, Tu aimes les effacer, efface donc mes fautes »[2].

Notre mère bienveillante demande à son époux élu et béni quelles paroles réciter, quelle disposition spirituelle et du cœur adopter, quels mots choisir afin de se présenter devant son Seigneur, le Magnifique, le Majestueux, dans le plus grand dénuement et la plus grande humilité. Afin aussi de s’exposer, recevoir et s’imprégner toute entière des bénédictions insoupçonnables de cette nuit, qui tombent sur nous telle une pluie bienfaisante et revivifiante.

Mère bienveillante qui, à travers sa question, nous lègue en héritage ces paroles d’inspiration divine.

Arrêtons-nous sur cette formule, afin d’en saisir une partie des sens et des secrets, car la compréhension, la conscience de ce que l’on formule comme supplication accompagne la dissolution du cœur.[3]

Cette invocation se divise en trois parties.

Dans la première, « Ô Seigneur, Tu es Celui qui efface les fautes », Dieu nous appelle à prendre conscience du fait qu’Il est Al-‘Afuw, qu’Il S’est nommé ainsi et S’est prescrit à Lui-même al-‘afw. Nous revenons à nouveau sur la racine arabe du terme afin de mieux en saisir les sens. La racine « ‘a-fa-wa » signifie effacer toute trace, éliminer, renoncer à, entre autres. Il convient de faire ici la distinction entre al-‘afw et al-maghfira, abordée dans notre précédent article sur les Noms divins Al-Ghâfir, Al-Ghafûr, Al-Ghaffâr. Si al-maghfira signifie recouvrir et dissimuler nos fautes, nos laideurs et nos manquements, al-afw consiste à en effacer toute trace. Al-maghfira ou l’action de pardonner implique que je vais me présenter devant mon Seigneur, avec mes bonnes et mes mauvaises œuvres et qu’Il va m’inviter à mon propre jugement. S’Il me comble de Ses bienfaits, Il mettra alors un voile sur mes fautes, afin que nul autre que Lui ne les voie, ni ne découvre de moi ce que je souhaite que personne ne sache. Il reviendra alors sur chaque seconde de ma vie, afin de m’en demander compte et je verrai, inscrites dans mon registre, chacune de mes fautes et de mes négligences. Et s’Il choisit de me faire miséricorde et de m’en absoudre, de ne pas m’en tenir rigueur, ni de me châtier, ce sera là une récompense et un bonheur indescriptibles, sans limite. Mais rien que l’idée de cette attente interminable, de devoir rendre compte devant mon Créateur de chaque seconde de ma vie, chaque pensée ou intention abjecte, chaque péché commis, est une souffrance sans nom. Avant même le châtiment, le jugement, en soi, est souffrance.

Mais pendant le mois de Ramadan, à travers cette formule que le Prophète -que la paix et les bénédictions divines l’enveloppent- nous enseigne et nous enjoint de répéter, Dieu exalté nous laisse entrevoir, au-delà du pardon, la promesse d’al-‘afw, c’est-à-dire d’effacer complètement de nos livres et de nos mémoires toute trace de péché, quelle qu’en soit la gravité. En se présentant à nous, dans cette invocation, comme étant Al-‘Afuw, Il nous promet d’éviter toute forme de jugement, en effaçant à tout jamais de nos registres toute transgression commise, de sorte que ni les anges, ni les gens, ni même nous-mêmes ne nous en souvenions. Celui qui gagne al-‘afw arriverait ainsi au jour de la rétribution, avec allégresse et en paix, sans plus aucun regret. Il, exalté et glorifié soit-Il, serait le seul à Se souvenir de nos fautes, mais Il ne nous les rappellerait pas… pas même à nous. Et le jour du jugement, au lieu d’être le jour le plus difficile et affligeant que nous ayons à vivre, devient pour celui qui bénéficie d’al-‘afw, le jour le plus heureux, celui où il rencontre et va vers notre Créateur et notre Prophète bien-aimé -paix et bénédictions sur lui- vierge de toute faute, sans aucun regret, avec une joie ineffable. 

Quels obstacles nous faut-il donc franchir, quelles épreuves faut-il que nous traversions afin d’atteindre un tel degré ? Et bien la deuxième partie de cette supplication « Tu aimes les effacer », nous montre que Dieu aime al-‘afw. Il l’aime et Il l’accorde, gloire et louange à Lui. L’envoyé de Dieu -paix et bénédictions sur lui- nous invite ici à prendre conscience que al-‘afw est accessible, car il est chéri et aimé par le Tout Rayonnant d’Amour et, par Sa Grâce, Sa Mansuétude et Son Amour infinis, Il peut l’accorder avec facilité à qui Il veut.

La troisième partie de cette invocation, « alors, efface mes fautes », nous incite enfin à prendre conscience de nos fautes, à faire notre bilan et à nous remémorer et regretter aujourd’hui ce que nous avons perpétré comme péchés, afin que demain, plus personne ne s’en souvienne, si ce n’est Lui, l’Omniscient. Il nous invite à recenser nos fautes et à les regretter amèrement, afin d’implorer Al-‘Afuw avec ardeur et amour, du plus profond de notre cœur, de nous accorder al-‘afw.

Afin de nous imprégner de cette qualité sublime, Dieu nous somme aux versets 133 et 134 du chapitre La famille d’Imran/Ali ‘Imran de passer outre les méfaits et les torts que l’on nous fait :

« Accourez vers le pardon de votre Seigneur et un Jardin aussi vaste que les cieux et la terre, destiné aux pieux/à ceux qui se prémunissent. Ceux qui font l’aumône dans l’aisance comme dans la gêne, qui savent réprimer leur colère et pardonner à leurs semblables (al-‘âfîna ‘ani an-nâs). Dieu aime les bienfaisants. »

À l’exemple de Son bien-aimé, Dieu nous incite expressément à l’abnégation, à l’effacement de soi et de notre ego, afin de nous conformer à Sa volonté et témoigner, en les faisant nôtres et à notre échelle humaine, de Ses qualités sublimes.

De tout cœur, en ces tout derniers jours de Ramadan, je Le prie, je L’implore de nous offrir son ‘afw, d’effacer à jamais nos fautes et de nous permettre de comparaître devant Sa majesté, nus de tout péché, par Sa Mansuétude, Sa grâce et Son amour.


[1] Rapporté par Al-Boukhari

[2] Rapporté par At-Tirmidhî

[3]Le Nom divin : Al-‘Afuww, Celui qui efface les fautes ; Abd al-Wadoud Yahya Gouraud

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