Le chemin vers la citoyenneté

Commençons par un peu d’histoire

L’histoire commence dans les années 1960-1970. C’est la période des travailleurs immigrés. La construction de la France nécessite une main d’œuvre, de préférence peu qualifiée car moins chère. On puisa alors dans les anciennes colonies. Il y eut la période de l’installation de cette main d’œuvre, dans des conditions précaires : sans les familles, dans des logements où certains sont presque entassés, ils travaillent pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants laissés au pays. Il est important de comprendre que ces personnes sont venues car dans leurs pays d’origine, ils vivaient dans la misère. Une grande partie de cette main d’œuvre avait un faible niveau d’études, ne sachant ni lire ni écrire. Plongée dans une société développée, on imagine facilement la réaction d’enfermement que cela a généré. La meilleure façon de se protéger était donc de se cacher et de s’enfermer. Ces premiers immigrants ont eu du mal à se faire à leurs nouvelles situations. Leur seul rêve était de revenir à leur pays d’origine. Il est vrai que celui qui n’a pas immigré, ne peut pas savoir ce que c’est de laisser derrière soi le pays où on est né, où on a toute sa famille, ses amis et ceux qu’on aime. Le rêve de retour était présent avec force, on passait son temps à parler du bled, et l’année entière était une préparation au voyage au pays, tout l’argent économisé y partait.

 

Puis ce fut l’arrivée des familles avec la politique du regroupement familial, cela a sûrement aidé à stabiliser psychologiquement ces familles mais le cœur et l’esprit étaient toujours là-bas.

Le temps passe, les enfants grandissent et les questions identitaires apparaissent. Les conflits de générations font surface et le fossé se creuse de plus en plus. Ce sont en vérité deux mondes, celui de la maison et celui de l’extérieur (école, travail, quartier). A la maison on est dans le pays d’origine (bled), tout est fait pour retrouver l’ambiance du pays : la télévision, le mobilier, la nourriture, les traditions. A l’extérieur c’est la terre de transit.

Et les enfants dans tout cela ? Sans s’en rendre compte, les parents transmettaient à leurs enfants le déchirement sentimental qu’ils ont vécu et qu’ils vivent encore. Les enfants grandissent en s’entendant dire « toi tu es Marocain, tu es Turc, tu es Tunisien, tu es Algérien… » Revendiquer la nationalité française était vécu par certains comme une trahison, comme une rupture avec le pays d’origine. Etre Français signifiait pour beaucoup renoncer au rêve du retour. Et à la question, qui es-tu ? Une grande majorité répondait, je suis (Algérien, Turc, …) et fier de l’être.

Encore aujourd’hui, nous voyons ces jeunes, porter sur leur vêtement le drapeau d’un pays duquel ils ne connaissent presque rien, ni son histoire, ni sa politique, ni même sa géographie. Le malheur dans tout ça, c’est qu’implicitement on a ouvert une porte imaginaire à ces jeunes. On leur fait croire qu’ils reviendront un jour ou l’autre dans le pays d’origine de leurs parents. On leur a fait porter le fardeau de réaliser ce que leurs parents n’ont pas pu faire. Fardeau lourd et même très lourd. Résultat, ce jeune garçon ou cette jeune fille, mis face à ses responsabilités répond : « de toutes façons, si ça ne marche pas ici, je pourrais toujours retourner dans mon pays ».

En vérité, ce que ces jeunes revendiquent, ce n’est pas l’appartenance à leur pays d’origine en tant que citoyen, mais ils revendiquent uniquement leur culture parce qu’en réalité ils ne seront jamais les bienvenus dans le pays de leurs parents, là-bas aussi, quand on les voit arriver on dit : « les immigrés sont là ».

Ce sentiment d’appartenance à une autre nationalité est aussi nourri et entretenu par les défaillances du système administratif, notamment en ce qui concerne l’octroi de la nationalité française. Administrativement, ces enfants n’étaient pas Français. Il fallait attendre des années pour qu’ils le deviennent, cela faisait sûrement le bonheur des consulats qui trouvaient là le moyen de garder la main mise sur toute une génération. Ainsi, comment un parent, qui a passé des années durant à écrire sur le papier que son enfant est de nationalité X, change radicalement d’état d’esprit le jour où son enfant est administrativement apte à être Français.

Une crise identitaire dès lors compréhensible.

A qui donc la faute ?

A la société qui n’a pas déployé les moyens nécessaires pour aider ces parents à éduquer leurs enfants à être des citoyens français à part entière ? Sinon comment expliquer que cette même société qui a su leur apprendre à faire tourner des machines dans des usines, n’ait pas réussi à leur apprendre à lire, à écrire et à avoir le sens civique

A tous les services sociaux qui étaient absents lorsqu’il s’agissait d’aider ces parents à donner une éducation correcte à leurs enfants, à suivre leur scolarité et à réussir leur vie professionnelle? Combien de parents ne pouvaient pas suivre la scolarité de leurs enfants parce que tout simplement ils étaient analphabètes.

A la politique de ghettoïsation, des HLM, des ZEP et je ne sais quoi encore? Tout était fait pour que ces gens-là restent loin de la société civile. Les HLM ne sont-ils pas toujours construits loin du centre-ville ?

A certains Français qui voyaient en cet immigré un intrus venant leur voler leur pain, et en ses enfants des voyous, de futurs délinquants ?

Le racisme et la xénophobie sont certes les pires des bêtises humaines.

L’amalgame entre la culture et la citoyenneté.

Il est d’une importance capitale de ne pas mélanger les deux.

Être citoyen, c’est être Français à part entière. Il ne s’agit pas de se sentir Français, mais l’être, le vivre. C’est se dire « je suis né ici, je vis ici et je mourrai ici ». La France c’est mon pays, je n’en connais pas d’autre. C’est se dire aussi : « Nous ne sommes pas des Français de papier, mais de cœur. ». Etre citoyen, c’est aussi connaître l’histoire de la France, le fonctionnement de ses institutions…

Quant à la culture, c’est une richesse ; c’est un plus que chacun apporte au paysage multiculturel de la France. Mais la revendication de l’appartenance culturelle ne pourra se faire sans mal que s’il y a un équilibre identitaire. Après cela viendront la revendication et le partage.

Cette dichotomie entre culture et citoyenneté est d’une importance capitale dans l’état actuel de crise. Viendra un moment où elle fera partie de l’histoire. Il est clair que la société et les individus ne sont pas encore prêts à accepter cela, mais il faut le revendiquer avec conviction, il faut le revendiquer par nos actes quotidiens. Il faut persévérer et rester constant.

Aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué, les problèmes administratifs de nationalité sont presque résolus puisque tous les enfants sont aujourd’hui parents, et leurs enfants naissent Français. Beaucoup de jeunes ont compris que le pays d’origine de leurs parents n’est pas leur pays et que leur avenir se décide ici en France même si certains gardent une main sur la porte imaginaire. Et cela est souvent dû à l’échec scolaire et social. Le rêve du retour entretient l’espoir d’une vie meilleure.

Qu’en est-il de l’identité religieuse ?

Entre temps une autre composante a vu le jour, c’est l’identité religieuse. Pendant longtemps les parents venus du pays ont dû refouler malgré eux leur appartenance religieuse, la France est un pays laïc et le religieux n’a rien à faire dans l’espace public. C’est ainsi que la pratique de l’Islam par les parents se faisait dans des caves transformées en salles de prière. La vétusté de ces lieux était révélatrice de l’état d’esprit qui régnait. Avec le temps et les évènements mondiaux, les jeunes enfants débarrassés du handicap de l’appartenance citoyenne ont commencé à revendiquer leur appartenance religieuse et à demander en tant que citoyens le droit de pratiquer dignement leur foi.

Cependant, la révolution française (1789/1799) a marqué l’histoire et a enraciné dans les cœurs et les esprits que le mal absolu pour toute société, c’est le fait religieux. La manière même dont a été menée cette révolution (dans le sang) entretient dans les esprits le danger de laisser apparaître la religion sur la place publique. Les évènements mondiaux ont par ailleurs mis l’Islam sur la scène publique, et malheureusement, les médias ont réussi à enraciner dans les esprits, par le flux d’images et de documentaires, que l’Islam est synonyme de terrorisme. Après le 11 septembre, les choses ont empiré et cela a continué avec Charlie Hebdo, l’attentat du 13 novembre, Daesh…

Néanmoins, la question importante qui doit se poser est : « Est-ce que l’Islam s’oppose à la citoyenneté ? ». La réponse est bien évidemment NON !

Beaucoup de chercheurs et de sociologues se sont rendu compte que l’identité musulmane, lorsqu’elle était bien construite, était un facteur de stabilité et d’apaisement. Cela est vrai pour la simple raison que l’Islam est d’abord une relation entre l’individu et son Créateur. C’est une soumission à Dieu.

Nombreux sont les musulmans qui ont essayé de s’assurer de la légitimité de leur résidence dans un pays non musulman. Les savants musulmans avaient à une période de l’histoire divisé le monde en deux parties : Dar El Islam (demeure de l’islam) et Dar al harb (demeure de guerre). Aujourd’hui les choses ont changé et l’Occident est désormais considéré comme Dar adawa (terre d’appel). Le Prophète Mohammed, paix et bénédiction sur lui, vivait à la Mecque, avant l’Hégire, parmi des non musulmans.

« Et nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour l’univers. », nous enseigne le Coran.

Si la France apporte aux musulmans la sécurité et il faut honnêtement le reconnaître, les musulmans devront ajouter une dimension essentielle à la caractéristique universelle du message islamique, c’est la responsabilité des musulmans d’en témoigner par leur vie et leurs actions. Il se dégage ici un grand précepte de l’Islam qui est celui du témoignage. Nous avons le devoir de rappel envers nos concitoyens par notre présence parmi eux et avec eux, le rappel du Créateur, de la spiritualité et de l’éthique. Cela n’est bien entendu pas possible si nous-mêmes nous ne connaissons rien à l’Islam.

Nombre de musulmans le sont uniquement par héritage. Ils ont hérité l’Islam comme ils ont hérité le déchirement sentimental entre citoyenneté et culture d’origine. Combien de malheurs sont faits au nom de l’Islam, alors que l’Islam en est exempt car ce sont uniquement des traditions ! Il est aussi important ici de parler de la femme musulmane, pour dire que ce que subissent certaines femmes ou jeunes filles de nos jours, ne sont que des pratiques machistes, rétrogrades, inhumaines, et dont l’origine est à chercher dans les coutumes des campagnes des pays d’origines et plus loin encore dans la décadence qu’ont connue les pays musulmans depuis quinze  siècles. Il faut aussi la rechercher dans l’absence des sciences religieuses chez les musulmans. L’Islam est innocent de ces agissements.

Se ressourcer pour mieux agir

Il est urgent pour les musulmans de se ressourcer et cela à deux niveaux.

D’une part, au niveau des textes par l’apprentissage de la religion, connaître les textes et en faire une lecture intelligente. On découvrira alors que l’Islam n’a jamais prôné la violence, que ce terme n’existe pas dans le lexique islamique. L’Islam n’a jamais semé la terreur. L’extrémisme de certains jeunes n’est que le fruit d’une crispation identitaire, ils répondent à une haine par une autre. Ils prônent énormément de textes, auxquels ils n’ont pas pris le temps de réfléchir, ni de méditer le vrai sens.

D’autre part, au niveau spirituel. La spiritualité musulmane doit être une force tranquille, une source de sagesse, d’apaisement et de ressourcement. Mais en aucun cas, cette spiritualité ne doit être une fuite ou une désertion de la société.

UNE SCIENCE ET UNE SPIRITUALITÉ. Ce sont les deux composantes essentielles à l’équilibre. Le musulman en tant que citoyen, doit trouver son chemin dans l’environnement occidental.

Être citoyen, c’est revendiquer ses choix de citoyen en ayant en même temps conscience de ses responsabilités et de ses devoirs. La citoyenneté peut être pour les musulmans un moyen de passer outre les divisions, le rejet et le cloisonnement du renferment intracommunautaire.

L’Islam nous demande en tant que dépositaires d’un message universel de nous ouvrir sur nos concitoyens afin d’ôter les œillères et casser les préjugés. Ce n’est que par le dialogue qu’on y arrivera. L’Islam nous impose de bien traiter notre voisin quelle que soit son origine ou sa foi, c’est un acte citoyen. L’Islam nous demande d’aider notre prochain, c’est un acte citoyen. L’Islam nous demande d’ôter la saleté du chemin, il nous dit que la route a des droits notamment celui de ne pas gêner les passants. C’est un acte citoyen. L’Islam nous demande de participer à la vie de la communauté dans laquelle nous nous trouvons et ceci est aussi un acte citoyen.

Il faut à tout prix engager un dialogue avec toutes les composantes de la société. Nous musulmans, devons adopter un discours clair dont l’objectif est de se faire comprendre et non pas de plaire, ni de se justifier. La société française finira par reconnaître que ces millions de musulmans priant cinq fois par jour, s’attachant à promouvoir des valeurs éducatives, sont une richesse pour la société.

Paradoxalement, un ancien ministre avait déclaré un jour dans Le Figaro: « Les banlieues, comme toutes les autres villes, ont besoin de lieux de lumière, où l’on se rassemble et où l’on se respecte, un endroit où les valeurs défendues sont celle de la vie et de l’espérance. Une synagogue, un temple, une église, une mosquée ont vocation à remplir cette fonction ».

User de son droit de vote

Être citoyen, c’est aussi user de son droit de vote. Mais en amont de ce droit, il doit y avoir une autre notion, c’est celle de l’éducation. On ne peut user de ce droit de vote si on ne connaît pas le champ politique dans lequel on se trouve, si on ne sait pas comment fonctionnent les institutions.

Notre devoir en tant que citoyens musulmans, c’est d’aller chercher le savoir et la connaissance, c’est aller vers l’autre, échanger et débattre pour se faire soi-même une idée. Notre vote doit être le prolongement de notre foi et notre conviction intime. Nous ne sommes ni à vendre ni à acheter. Combien de fois, les voix se monnayent à l’approche des élections avec des promesses électorales qui fusent de tout bord. Ceux qui acceptent de se faire acheter, doivent accepter de se faire vendre après. Nous ne devons pas restreindre notre participation citoyenne à la défense des intérêts de « ma religion », « ma culture », « mon ethnie ». Notre engagement citoyen en tant que musulman doit prendre sa source dans le message de miséricorde, en cela nous devons être au service de tous, pour le bien de tous. Nous devons en conclusion adopter une ligne de pensée qui va nous libérer, c’est le principe de « considérer comme islamique tout ce qui ne s’oppose pas à l’Islam ». Dès lors, le champ d’action est libre devant nous.

Citoyenneté, identité culturelle et appartenance religieuse sont les trois composantes de l’identité. Ces trois composantes se construisent dans le berceau familial, à l’école et dans la société. Tant que chacune de ces institutions ne déploiera pas les efforts nécessaires à l’édification de cette identité, il y aura toujours des lacunes et des déséquilibres.

Un commentaire

  1. BARAKALLAOFIK POUR CET EXCELLENT ARTICLE.

    EN COMPLÉMENT, ON PEUT AUSSI PARLER DE L’ADN IDENTITAIRE. C’EST A DIRE QUE CHAQUE ETRE EST UNIQUE.
    L’ADN IDENTITAIRE COMPORTE L’IDENTITÉ CITOYENNE, RELIGIEUSE, CULTURELLE (PEUT ETRE DÉTAILLE PRÉCISÉMENT: SPORTIVE, INTELLECTUELLE, POLITIQUE, CULINAIRE, PSYCHOLOGIQUE, PHILOSOPHIQUE, TOURISTIQUE, LITTÉRAIRE……).
    CETTE UNICITÉ DE L’ETRE PERMET D’ATTEINDRE LE PARTAGE, L’ECHANGE ET L’ACQUISITION DE LA RICHESSE MULTICULTURELLE.

    ET RÉPONDRE AU VERSET OU DIEU DIT:

    VOUS HOMMES, NOUS VOUS AVONS CRÉE D’UN MÂLE ET D’UNE FEMELLE. ET AVONS FAIT DE VOUS DES COMMUNAUTÉS ET DES NATIONS AFIN QUE VOUS VOUS ENTRE-CONNAISSIEZ. LE PLUS AIME DE DIEU EST EN FAITE LE PLUS VERTUEUX.

    SES VERTUS PRIMORDIALES SONT AU NOMBRE DE 10 :

    – AVOIR ET ETRE DE BONNE COMPAGNIE
    – ETRE PRÉSENT A DIEU
    – ETRE VÉRIDIQUE ET ASPIRER A DIEU
    – DONNER
    – APPRENDRE
    – AGIR
    – LA BELLE APPARENCE
    – LA MAÎTRISE DE SOI
    – CHEMINER
    – ENFIN, L’EFFORT CONSTANT

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