La Perception du cœur

Au niveau intellectuel, l’Homme est privilégié par rapport à d’autres créatures de Dieu, car, doté d’une raison, il peut réfléchir et percevoir des idées et des faits abstraits imperceptibles par les sens communs qui sont la vue, l’ouïe, etc.

En Islam, la raison saine est le point d’attache de toute responsabilité. Est-elle pour autant l’outil principal qui mène aux sommets de la foi ? A l’agrément de Dieu ?

 

Dans un souci d’explorer les possibilités que Dieu propose à l’être humain pour évoluer et se distinguer encore plus, nous posons la question suivante : Existe-t-il un autre organe humain de perception qui donne sur un nouveau monde imperceptible par la raison et qui ouvre l’accès à davantage de privilèges et de distinctions ?

Nous cherchons ici à aviser nos consciences et nous rappeler qu’il est certains degrés de la religion qui restent inaccessibles, et certaines vérités qui restent imperceptibles si nos coeurs, au sens du Coran, restent dans un état primitif absorbés par des tâches banales, au lieu d’être une véritable antenne de la vie dernière et du rappel de Dieu.

Prise de conscience

Le coeur biologique n’est pas cet organe auquel Dieu et Son Prophète, paix et salut sur lui, font allusion dans le Coran et les Hadiths. Le coeur au sens du Coran est le for intérieur de l’Homme ; la loge de la foi, de l’amour, de la sincérité, de la patience. C’est le foyer des convictions intimes et profondes qui orientent le choix de chacun ; là où se nouent les résolutions et se forgent les volontés. Ces valeurs, ô ! Combien importantes, sont perçues par le coeur ; elles dépassent nettement le champ de la raison et de la réflexion intellectuelle.

Il est nécessaire pour le chercheur de la Face de Dieu de prendre au sérieux cet organe de perception et de s’intéresser aux moyens de son éveil et de son développement. En effet, «Dieu ne regarde pas vos apparences et vos biens, mais regarde vos coeurs et vos oeuvres»[1] précise l’Envoyé de Dieu, paix et salut sur lui.

Si les connaissances et les capacités d’analyse et de synthèse font la valeur de certains hommes à l’échelle humaine, seul le coeur fait la valeur des hommes à l’échelle de Dieu. Dieu dit : «Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux»[2]. Le Prophète, paix et salut sur lui, appuie ce verset par ces paroles : «… Nul mérite à un Arabe sur un non Arabe, ni à un non Arabe sur un Arabe… que par la piété»[3]

La piété est une faculté du coeur, une valeur spirituelle, qui distingue les gens les uns par rapport aux autres sur l’échelle divine. «La piété est là », dit le Prophète, pais et salut sur lui, en désignant trois fois sa poitrine avec sa main[4]. De même en citant le Prophète Ibrâhîm, puisse Dieu le saluer, Dieu dit : «Le jour où les biens et les progénitures ne seront d’aucune utilité, sauf celui qui vient vers Dieu avec un coeur sain»[5].

Sur le plan des actions, les musulmans se distinguent dans l’échelle divine de la valeur et du mérite par l’intention fournie par le cœur. Plus celui ci est pur, plus l’intention est noble et plus l’action est valorisée. «Les actes ne valent que par leurs intentions, et à chacun selon son dessein»[6]

La vie du cœur

Développer son coeur c’est d’abord lui donner vie. La vie du coeur, comme toute vie, est donnée par Dieu, c’est un souffle divin.

De manière très explicite le Prophète, paix et salut sur lui, définit la vie et la mort du coeur lorsqu’il dit : «L’exemple de celui qui mentionne Dieu et celui qui ne le mentionne pas est celui du vivant et du mort»[7] La vie du coeur est le Rappel de Dieu. Un coeur qui se rappelle Dieu est un coeur vivant, un coeur insouciant est un coeur mort.

Dans le Coran, les gens dont les coeurs sont restés imperméables au Message de Dieu sont dits “morts”. Voici quelques versets qui montrent ce fait. Dieu dit : «Ce sont des morts sans vie» (Les abeilles, V 21). Dans le même contexte, Il dit : « Les vivants ne sont point l’égal des morts» (S 35, V 22), Il dit aussi -Exalté soit-Il : «Celui qui était mort et que nous avons revivifié et lui avons donné une lumière…» (S 6, V 122).

Une fois la vie est donnée, il s’agit alors de développer les sens du coeur.

Les sens du cœur

Certains versets du Coran nous montrent que le coeur est censé voir, entendre et raisonner. «Ce ne sont pas les yeux qui s’aveuglent, mais les coeurs qui sont dans les poitrines»[8], «Sourds, muets, aveugles, ils n’ont point de raison»[9], dit Dieu en faisant allusion aux négateurs. Dans ce dernier verset, il s’agit de gens qui ne souffrent pas forcément d’une infirmité physique ou mentale, ce qui signifie que la “raison” citée ici est une faculté du coeur. Celui-ci ne peut évidemment pas l’acquérir s’il est dépourvu de sa vue et de son ouïe.

Par ailleurs, le Prophète, paix et salut sur lui, mentionne que la foi a une douceur, un goût, que l’on perçoit sous certaines conditions. «Aura goûté à la saveur de la foi, celui qui consent d’avoir Dieu comme maître, l’Islam comme religion et Mohamed comme Messager »[10]. Le musulman ou la musulmane qui préserve son regard obtient une part de cette douceur si le sens du goût est suffisamment développé dans son coeur : « Le regard est une flèche (lance) empoisonnée d’Iblis, celui qui le délaisse par crainte de Moi aura en échange une foi dont il trouvera la douceur dans son cœur»[11], nous informe le Prophète, paix et salut sur lui.

Avec ses sens, le coeur s’approprie la “Science”, au sens du Coran, dont l’essence est la crainte de Dieu et dont le fruit est la bonne oeuvre agréée dans les cieux et sur la terre.

Sur le sujet des sens du coeur, Ibn Al Qayyim écrit : «…Ainsi, il (le chercheur de la face de Dieu) s’y trouve attaché complètement (à la vie dernière). Il délaisse les attachements éphémères et se met à rectifier son repentir et à s’acquitter des obligations apparentes et intimes. (… ). Dès lors, son coeur, ses pensées et son être intime se focalisent sur Dieu et alimentent une nostalgie et une volonté ferme de le rechercher. Si la sincérité accompagne ses pas, on lui accorde l’amour de l’Envoyé de Dieu dont la présence spirituelle dominera son coeur. Une fois raffermi dans cette nouvelle étape, on lui accorde une compréhension clairvoyante de la révélation. Lorsqu’il aura maîtrisé cette nouvelle faculté, s’ouvre alors dans son coeur un nouvel “oeil”, par lequel il verra les attributs de Dieu au point qu’ils seront pour son coeur comme le visible est pour l’oeil ordinaire… »[12]. Cette citation n’est pas unique en son genre. On en trouve chez Al Ghazâli[13], Ibn Taymiya[14] et d’autres.

Ainsi, si la raison est le point d’attache de la responsabilité, le coeur est le point d’attache de la réussite et la distinction auprès de Dieu. Un intérêt très pointu et une approche beaucoup plus sérieuse doivent être portés à cet organe dont le parachèvement constitue un stade très avancé de “l’évolution” de l’Homme.

«Et quand Je l’aime,… »

L’Ihsane, plus haut degré de la religion et stade de l’intime proximité de Dieu, est lorsque l’Homme perçoit par Dieu -Exalté soit-Il. Il sera ainsi la Vue de Son serviteur, son Ouïe, sa Main et son Pied. Le Prophète, paix et salut sur lui, rapporte : «Dieu dit : “…  Et quand Je l’aime (Mon serviteur), Je suis son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il saisit et son pied par lequel il marche …»[15]. Gloire et louange à Dieu.

Ibn Al Qayim écrit à ce sujet : «Lorsque les attributs de son Seigneur (l’élu de Dieu qui se rapproche par les obligations et les actes surérogatoires jusqu’à ce que Dieu l’aime) et Ses Noms deviennent visibles à son coeur, ils lui font oublier la mention de tout autre chose que Lui, et occupent son coeur de tout autre amour que le Sien. C’est lorsque Dieu -exalté soit-Il- est son Ouïe par laquelle il entend,… »[16].

Epilogue

La perception de l’Homme au cours de son cheminement vers Dieu évolue d’un stade physique basé sur les sens, à un stade abstrait porté par la raison. Puis vers une phase spirituelle liée au coeur, puis finalement, si l’élection de Dieu est au rendez-vous, la perception se fera par Dieu Exalté dans le sens du Hadith de l’élu cité plus haut.

Les sens communs servent la raison, la raison est sensée réveiller le coeur, le coeur qui doit exceller afin que le croyant reçoive le don suprême : être aimé de Dieu.

 


[1] Hadith rapporté par Mouslim, Ahmed et Ibn Majah selon abou Houraïra.

[2] Coran. Les Chambres, V.13.

[3] Hadith rapporté par Ahmed selon Abu Nadrah.

[4] Hadith rapporté par Mouslim selon Abou Houraïra

[5] Coran. Les poètes, V.88

[6] Hadith rapporté par Mouslim selon Omar Ibn Al Khattab

[7] Hadith rapporté par Boukhari selon Abou Moussa

[8] Coran. (S. 22 , V.  46 )

[9] Coran. (S.2, V.171)

[10] Hadith rapporté par Mouslim selon Al ‘Abbas

[11] Hadith rapporté par At-Tabarâni et Al Hâkim avec une chaine de transmission authentique

[12] Les sentiers des itinérants, Ibn Al-Quayyim,  version arabe, Vol. 3, p. 268

[13] Al mounqidh mina Dalâl (Le sauveur de l’égarement), p.70

[14] Ar-Rad Alâ Al mantiqiyîn (Répliques aux rationnalistes), p.511

[15] Hadith qodsi rapporté par Boukhari selon Abu Houraira

[16] Tarîq al Hijrataïne ( Le chemin des deux exodes ), Ibn Al-Quayyim, p.264

 

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