Moments d’une pèlerine

Vendredi 5 décembre (avant le départ pour Mina et après un séjour de 3 jours à Médine, facile et paisible, surtout dans la brise légère de ses ciels nocturnes illuminés de splendeur lunaire).

Juma’a La Mecque. Je décide de ne pas aller au Haram. Trop de foule en ce jour de juma’a. Je sors de l’hôtel. Dans la rue tout à côté, une petite mosquée.

 En ce jour elle est pleine. Les gens s’installent dans la rue pour la prière. Boutiques ouvertes, gens qui passent ainsi que véhicules. Des nattes sont posées par terre et les priants s’arrêtent avec leurs tapis et se posent là, dans l’indifférence bienheureuse d’une mixité hommes/femmes qui a l’évidence du mouvement de la vie comme elle va, avec ici des femmes devant des hommes, là des hommes et des femmes se côtoyant, au gré des arrivées et des places disponibles. Je suis à côté de Pascale et derrière nous des messieurs prient comme nous, en même temps que nous et c’est simple, facile et paisible. Cette rue priante c’est le vivre ensemble d’un groupe de femmes et d’hommes égaux devant Dieu et cela crée de la paix. J’ai le sentiment en priant ainsi que je fais, avec elles et eux, reculer la violence dans le monde et que je, nous participons à la réparation du monde.

Vendredi 12 décembre.

Juma’a à nouveau, veille de notre retour en France. Même rue, même expérience aussi forte et aussi vraie tout simplement de cette foule de femmes et d’hommes qui ont brisé les logiques oppressives des murs qui séparent pour inférioriser et exclure. Elles et ils font tranquillement de la rue une mosquée de la fluidité. C’est beau et le monde en est meilleur. Mon rêve d’une mosquée de la vie s’est réalisé le temps d’une prière de juma’a dans une ruelle de la Mecque.

Entre ces deux moments, il y eut le séjour à Mina où l’arrivée dans cet immense campement de milliers de tentes me fit l’effet d’un océan de vagues immobiles dressées vers le ciel, ensuite à Arafat et puis surtout Muzdalifa… J’appréhendais particulièrement cette étape-là au point de me demander par quel moyen je pourrais y échapper tout en sachant que cela n’était pas possible…L’arrivée fut à l’image de ce que je craignais, dans un vacarme nocturne impressionnant de klaxons , sirènes et lumières artificielles, à la suite de nôtre guide grâce auquel nous arrivons à trouver un emplacement pour s’allonger par terre. Je regarde le ciel et je n’y vois aucune étoile….Peu à peu, cette foule immense autour de nous a trouvé un coin pour se poser, rire, parler des langues inconnues et ….s’endormir. Moi aussi, car deux ou trois heures plus tard, je me suis réveillée d’un sommeil miraculeux à mes yeux, dans le silence si doux et si profond de cette nuit redevenue étoilée que j’eus le sentiment que j’en étais revêtue. Comme si la rahma de Dieu me tenait embrassée. C’est à ce moment-là que, me demandant où, sur la planète, existaient d’autres rites de pèlerinages où des foules aussi immenses pouvaient ensemble rendre possible le mouvement d’une même énergie intérieure aussi sereine et patiente, la vision des foules de pèlerins indiens menés par Gandhi m’est apparue.

 C’est là, à Muzdalifa où je redoutais tant d’aller, que j’ai su que lorsque je reviendrais du Hajj, j’en parlerais comme d’une expérience intense de non-violence collective rendue possible par la rahma de Dieu présente dans le coeur de toutes celles et ceux qui accomplissent ce voyage de la vie.

Avant de partir, j’avais étudié les versets coraniques qui traitent du hajj. J’avais découvert, au cours de cette étude, que ces versets s’adressent aux humains (al-nass) en général et non aux musulmans ou encore aux croyants comme je m’y attendais. Ainsi, Le Coran invite l’Humanité à accomplir cette “quête” (c’est le premier sens du mot Hajj donné par le dictionnaire) où l’on se sent à la fois seule, anonyme, cosmopolite, universelle et unique, sans nom tout en habitant le sien très fort pour pouvoir se quitter soi-même. Lors du tawaf de l’adieu, il était entre deux et quatre heures du matin, je ressentais quelque peu la fatigue dans les jambes lorsque, pendant le sayy, passe à côté de moi un très vieil homme avec une canne, littéralement courbé en deux, marchant à petits pas et s’accrochant au dos de celui qui l’accompagne. J’en ai les larmes aux yeux. L’image de ce vieil homme pendant le sayy, qui m’a fait oublier ma fatigue, est gravée en moi. Comment une telle force d’âme est-elle possible sans une force plus grande à l’intérieur de soi ? C’est cela le hajj.

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