Démocraties en péril

La défense de la mondialisation a toujours suscité des émois chez les tenants de la démocratie. D’intenses débats continuent à avoir lieu sur son impact sur la scène politique. Parmi les critiques faites, on cite la déréglementation des économies nationales et le renforcement du pouvoir du capital.

La démocratie consiste à protéger les droits de l’homme et les libertés publiques. Elle est également l’incarnation de la volonté collective qui plaide pour l’équité et l’égalité devant la loi. Dans certains pays, par des élections qui se font périodiquement, un parlement et un gouvernement sont élus pour réaliser ces aspirations. Un État démocratique doit donner à ses citoyens un sentiment de sécurité, leur assurer un minimum de stabilité sociale et garantir un ordre public en conformité avec leurs convictions morales. Ainsi, chaque citoyen et citoyenne peuvent adhérer à l’État et à ses procédures décisionnelles tant qu’ils en tirent un bénéfice pratique. Or certaines institutions financières et capitalistes, par des règlements et des mécanismes économiques, contribuent à l’anéantissement de ces fondements.

L’universalisation du Consensus de Washington par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International marque un tournant dans l’histoire. Des mesures impitoyables seront adoptées afin de favoriser les intérêts des sociétés multinationales. La privatisation est l’une des « solutions » adoptées dans cet accord pour régler, par exemple, les dettes des États en difficultés financières. Ainsi, le démantèlement des différents secteurs publics au profit du capital mondialisé et l’installation inconditionnelle des entreprises étrangères renfonce le pouvoir de ces institutions, et rend ces États paralysés devant la puissance de la finance et des banques.

Jean Ziegler évoque l’expression d’Eric Hobsbawm « l’État en défaut »(1) pour designer tout Etat qui cède ses services publics et transfère au secteur privé les taches relevant de l’intérêt collectif en les soumettant à la loi de la maximisation du gain. Cette politique donne naissance à une économie fragile et incapable de garantir la sécurité de l’emploi et aggrave les inégalités. Par la suite, l’État perd sa souveraineté puisqu’il devient incapable de protéger les droits de ses citoyens et se met sous tutelle de l’empire du capital qui lui dicte ses prérogatives et ses commandements.

La démocratie devient aussi en péril lorsque l’on voit certains partis politiques, censés défendre les droits des citoyens, complices de ce déclin. Le financement des campagnes électorales des partis américains par des industriels et des agences financières confirme la parole : « Ceux qui signent les chèques font les lois »(2). Les élections américaines sont une occasion de chantage pour ces sociétés et ces agences pour négocier, par exemple, des conditions fiscales ou douanières plus avantageuses. La préparation des élections présidentielles a poussé l’ancien président Clinton de recevoir lors « d’un café de travail » des banquiers qui seront les bailleurs de fonds de sa campagne électorale. Cette rencontre était le moment opportun pour ces mercenaires de discuter « de la législation à venir, y compris des idées qui permettraient de briser la barrière séparant les banques des autres institutions financières »(3). L’abrogation de la loi Glass Steagll, qui impose la séparation des banques d’investissement des banques de dépôt, sera dans l’ordre du jour. Trois ans après la réélection de Clinton, cette loi sera révoquée ce qui va permettre aux banquiers de se lancer très largement dans les assurances et les affaires et précipiter ainsi, la crise économique de 2008.

En Europe, un pays comme l’Italie fait exception en termes de corruption politique. La gangrène de la classe politique a contribué à la capitulation de la démocratie dans ce pays. La création des partis politiques par des industriels est devenue un moyen pour défendre leurs intérêts d’affaires. L’ère du président Silvio Berlusconi a été marquée par l’adoption de plusieurs lois favorisant son empire commercial et lui permettant d’échapper des poursuites judiciaires. L’opération Mains propres (4) lancée par des magistrats a constitué une entrave pour tous les politiciens italiens impliqués dans des affaires de corruption dont le président Berlusconi qui s’employa à stigmatiser les juges italiens en les qualifiant de « toges rouges » et de « communistes ».

L’évocation du cas d’Italie donne un aperçu de ce à quoi pourrait être le poids de l’argent dans la politique. En effet, Berlusconi, par des moyens financiers et médiatiques, va instrumentaliser les traques judiciaires lancées contre lui pour donner l’impression qu’il subit des pressions visant à renverser son gouvernement ; ce qui va affaiblir, par la suite, l’institution judiciaire. L’un des juges recourt à une métaphore pour bien résumer la situation : « Comme Hérode, Berlusconi a choisi de tuer la justice pour se sauver. Et, comme Pilate, le centre gauche s’est soumis. A vrai dire, toute la gauche était gangrenée par les dessous-de-table et les conflits d’intérêts.»(5).

L’insolence des mercenaires commence à susciter une vive opposition populaire. Le mouvement des indignés en Espagne et son exportation dans plusieurs pays du monde n’est qu’un début pour protester contre la résignation de la classe politique et le glissement du pouvoir vers les mains du capital. Il est temps de revoir la relation entre le pouvoir de l’État et le pouvoir économique et penser à une forme de séparation des deux institutions pour protéger la souveraineté de l’État et les droits des citoyens.


Bibliographie :

(1) Jean Ziegler, Les nouveaux maîtres du monde, Librairie Arthème Fayard, 2002.

(2) Serge Halimi, Le gouvernement des banques, Le Monde Diplomatique, Juin 2010.

(3) Même référence.

(4) Francesca Lancini, La grande désillusion des juges italiens, Le Monde Diplomatique, Juin 2010.

(5) Même référence.

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