Le monde moderne : fabrique à terroristes ?

Suite aux événements tragiques qui s’enchaînent depuis maintenant trop longtemps, les citoyens, les politiques et autres experts demandent plus de sécuritaire au point d’envisager Israël comme modèle. S’il faut certes une action à court terme pour répondre à la menace immédiate, il n’en demeure pas moins que le risque terroriste relève davantage d’une crise structurelle que conjoncturelle. Il serait temps de comprendre les ressorts qui entraînent une jeunesse dans les abîmes. « Mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde » disait Camus. Aussi, comprendre son époque et aller à la racine des causes serait déjà un grand pas pour vaincre l’extrémisme.

De la reconnaissance à la notoriété

Déséquilibrés, désocialisés et marginalisés, les profils de ceux qu’on appelle faussement les jihadistes sont, à peu de choses près, similaires. Jeunes, nourris à l’absurdité individualiste et conditionnés pour marquer l’histoire, ils sont les enfants perdus de notre époque. Pléthore de spécialistes ont déjà dressé des profils particulièrement semblables à ceux des tueurs de masse que l’on retrouve aux États-Unis. Il y a sans doute un lien à établir entre ces derniers, personnages frustrés par la vie, ignorés et jaloux du bonheur des autres et les terroristes prétendant lutter pour un idéal leur servant surtout d’alibi. En effet, de Merah à Mohamed Lahouaiej Bouhlel en passant par les frères Kouachi, nous avons affaire à des anciens délinquants sans projet social, professionnel ou familial. Des jeunes pour qui l’islam est devenu un prétexte et le jihad une occasion de trouver enfin la notoriété.

Si le besoin de reconnaissance est naturel, la Modernité a d’une part entraîné la dissolution des institutions et cadres assurant une reconnaissance minimum à tous, et d’autre part, elle a exacerbé ce besoin et l’a transformé en impératif de notoriété. En transformant les êtres humains en homo oeconomicus, soit des individus égoïstes soucieux d’optimiser leur temps et leur argent, la dynamique moderne et capitaliste a entraîné l’affaiblissement des liens sociaux, dissout les identités, déraciné les êtres et prôné la réussite économique par-dessus tout. En quelques décennies, les conséquences ont été radicales et ont provoqué une modification profonde de la nature humaine. Depuis le début des années 70, les divorces ont explosé. De l’autre côté, les mariages, les baptêmes et les adhésions aux syndicats (les trois symbolisant conviction et engagement) ont quant à eux chuté.

Chaque jour, l’idéologie consumériste créait de la contradiction à l’intérieur même de chaque individu. En proposant des émissions de téléréalités stupides et avilissantes, des applications infantilisantes comme Pokemon Go, et d’autres produits de sous-cultures de masses ridicules, les promoteurs du monde nouveau favorisent la perte de sens des humains. Ils plongent ces derniers dans un océan de nouveautés technologiques et numériques les submergeant et les noyant dans les promesses du bonheur.

Le Suicide ou la révolte

S’il n’a aucun équilibre familial ni d’emploi, s’il est socialement marginalisé et ne côtoie pas la diversité sociale, et s’il prend conscience des injustices croissantes dans le monde, n’importe qui risque de glisser soit dans la dépression, soit dans la révolte. Pour la dépression, les tristes et constants chiffres annuels des suicides ainsi que le classement des pays les plus grands consommateurs d’antidépresseurs témoignent du fait que ce sont bien les pays occidentaux, obéissant au code de la Modernité, qui sont les plus touchés. Concernant la révolte, contrairement à un intellectuel qui formulera sa colère face à l’injustice dans des articles, des conférences ou des livres, le démuni de capital social et culturel s’exprimera à travers la violence.

Dans ce contexte, le religieux numérisé devient un catalyseur propulsant l’être dérouté dans les espaces les plus sombres. Originellement, la rencontre avec Dieu doit être l’œuvre d’un long et profond travail intérieur puis de rencontres réelles et sincères avec des sages imprégnés de philosophie spirituelle. Cependant, beaucoup de jeunes déboussolés se retrouvent face à leur écran en quête d’une voie donnant sens et ne trouvent sur internet qu’un ersatz de spiritualité, une religion n’étant qu’un produit consommable. L’esprit du jeune déboussolé, préparé par des années de zapping télévisé et de promesses hollywoodiennes de marquer l’histoire, trouve ainsi dans la lecture wahhabiste un signe d’élection divine. Alors que sa rencontre avec la lumière divine devrait déboucher sur un apaisement et une quête de paix, elle devient le point de départ d’une aventure morbide.

Louis Alidovitch, écrivain, auteur de l’essai « La Barbe qui cache la forêt »

 

 

 

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