Moins de biens, plus de liens

En moins d’un siècle, l’activité des hommes a considérablement bouleversé l’équilibre écologique de la planète. Pollution des océans, déforestations, émissions de gaz à effet de serre ont non seulement un impact négatif sur la Terre mais également sur ses habitants, et souvent les plus démunis.

S’il est bon ton de critiquer le consommateur, il l’est moins de déconstruire l’injonction de consommer. Alors que la France va accueillir la 21ème conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques, il est peut-être enfin temps de montrer du doigt le réel problème : celui du capitalisme et de son mythe de la croissance infinie. A partir de là, nous pourrons envisager d’autres solutions.

Le mythe de la croissance infinie

Les campagnes et les discours politiques se succèdent et l’objectif ultime de tous candidats est le retour à la croissance. Sorte de Terre promise vers laquelle nous devons tous cheminer sans jamais nous questionner sur la destination. La croissance est sans doute le mot le plus répété dans nos médias si bien que nous avons tous intégré qu’il est naturel de faire toujours plus. Toujours plus de quoi ?  « Bonne question dictée par le bons », rétorque Jean-Claude Michéa.

A cela, Christophe Lambert, le boss de Publicis et non l’acteur, avoue sans complexe : « Créer la demande indispensable pour absorber des capacités de production devenues énormes fait désormais partie de l’utilité sociale. L’accumulation de biens de consommation étant devenue le seul objectif de nos sociétés, toute limite dans ce domaine est considérée comme une frustration intolérable. » Avouons qu’il nous vend bien le modèle capitaliste.

Et nous tombons dans le piège. Il faut dire que dès le plus jeune âge, il nous a été enseigné que nous devons entrer dans le jeu de la concurrence afin d’avoir toujours plus. Fidèle à la théorie de Jeremy Bentham, nous devenons peu à peu, sans nous en rendre compte, utilitariste. C’est-à-dire que nos choix sont dictés par le résultat de l’équation profits moins peines. Ainsi, nous avons tendance à nous comporter en société comme un commerçant se comporte dans un marché : en optimisant nos bénéfices. La commercial society tant désirée par Adam Smith, père du libéralisme, est désormais une réalité.

Alors que notre première aspiration naturelle nous oriente à reconnaitre le Vrai, le Beau, le Juste comme des vertus de bases qu’il nous faut cultiver, développer et transmettre, la logique capitaliste et ses défenseurs exploitent la seconde option de notre nature, celle composée de nos parties sombres et de nos vices.

Ainsi, le capitalisme créé de nouveaux besoins en excitant tous nos désirs et en éteignant nos vertueuses aspirations. Tout l’art du publicitaire réside ici. Son métier consiste à stimuler nos instincts, sans amener une quelconque réflexion. Le matraquage quotidien de la publicité engendre des conduites réflexes transformant peu à peu notre nature. Ainsi, la volonté individualiste et égoïste prend l’ascendant sur le besoin du collectif et sur la conscience qu’il y a des choses qui ne se font pas. Je pense immédiatement à la phrase de Margareth Thatcher : « L’économie est la méthode, l’objectif est de changer le cœur et l’esprit. »

Le meilleur moyen pour le publicitaire de déclencher l’acte d’achat consiste à faire retomber le consommateur en enfance. En effet, les enfants désirent tout, tout le temps (l’éducation permet justement d’apprendre à l’enfant ce qu’est la limite). Infantiliser le consommateur, c’est s’assurer de voir la multiplication des désirs et donc la possibilité d’ouvrir de nouveaux marchés pour continuer encore et toujours à croître. Pier Paolo Pasolini avait anticipé le développement de la société de consommation et avait présagé que celle-ci incarnerait une nouvelle forme de fascisme.

Si la croissance a permis un temps aux classes moyennes d’atteindre un niveau de vie et de confort décent, elle a avant tout profité aux grandes fortunes. D’autre part, peu souligne que nous avons dépassé le stade de la consommation nécessaire et que nous sommes passés à l’ère de la surconsommation, celle-ci se faisant toujours au détriment d’une partie immense de la population mondiale. Conscients qu’ils ont finis de manger leur pain blanc, les classes populaires et moyennes d’occident pressentent de plus en plus qu’ils risquent d’être les prochains à être sacrifier pour assurer le train de vie des élites. C’est à partir de cette indignation montante qu’une part croissante de nos concitoyens s’alarme et envisage d’autres possibilités.

La Décroissance, une utopie réalisable ?

Avant tout, la décroissance c’est quoi ? C’est un slogan provocant qui veut interpeler les consciences. Un mot obus, nous dit Serge Latouche. Il ne s’agit pas de décroissance pour tous, partout et tout le temps. Il ne s’agit pas de promouvoir un mode de vie « à la caverne », mais la Décroissance veut surtout amener les citoyens à repenser leur rapport à la consommation et leur croyance en la croissance.

Les décroissants ne souhaitent pas non plus vivre en dehors de la société. Ils n’ont pas pour objectif de construire une contre ou alter-société loin de la civilisation. Ils optent pour opérer une réforme radicale à l’intérieur de la société capitaliste. En cela, ils ne sont pas des utopistes hors du temps mais des gens raisonnables dont le discours marginalisé, car différent de la doxa dominante, rappelle à l’homme que tout n’est pas possible, qu’il y a des limites et qu’une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est techniquement impossible. Vincent Cheynet s’étonne, dans « Le choc de la décroissance », des politiques qui ne comprennent pas cela alors que ce raisonnement est à la portée d’un enfant de cinq ans.

Au-delà d’être une manière de vivre et de consommer, la décroissance est avant tout une philosophie, une façon de voir le monde. Pour Vincent Cheynet, la décroissance recèle un certain aspect spirituel car elle vise avant tout le dépassement de la simple possession matériel et s’oppose à la poursuite des désirs individuels. La décroissance est un moyen au service de valeurs, valeurs opposées au capitalisme.

A ce propos, alors que le capitalisme dissout les identités collectives afin d’atomiser la société, c’est-à-dire produire des individus isolés repliés sur leur mode de vie, la décroissance célèbre la richesse que nous apporte la diversité de nos cultures ou de nos identités. Celle-ci ne contrevient pas  l’affirmation que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous différencie.

La Décroissance dépasse la simple question de la consommation et permet de repenser notre rapport à l’autre. Et alors que la question identitaire envahit l’espace public et les discours dominants (la récente sortie de Nadine Morano l’illustre bien), la Décroissance apparait de plus en plus comme une solution nous offrant une porte de sortie à l’omniprésence de ce que Dany-Robert Dufour nomme le divin Marché.

Louis Alidovitch, écrivain, auteur de l’essai « La Barbe qui cache la forêt »

 

Un commentaire

  1. La croissance, c’est l’autre nom de la reproduction élargie du capital. Sans cette reproduction élargie, le capitalisme entre en crise de surproduction de marchandises, les salaires et profits s’écroulent, les possibilité de financements des services sociaux et de transition écologique aussi.
    Mais en se poursuivant, la croissance du capital détruit et épuise les conditions physiques à travers lesquelles il se reproduit.
    On l’aura compris, le capitalisme est dans une impasse historique, donc il pourrait s’accommoder durant encore 50 années de crise longue a intensité variable, avant de nous laisser un monde en ruine.
    Il y a donc une solution, effectivement, qui est sortir de la croissance, du cycle infini de la valorisation du capital. Cette sortie implique de sortir de “l’anarchie capitaliste/marchande”, des producteurs en concurrence entre eux et de fait lancés dans une course effrénée à la productivité et à la mécanisation croissante du travail, l’élimination du travail vivant et de facto de la demande solvable.
    La solution, c’est la socialisation ou communisation complète des moyens de production, de transport, des ressources, etc., soumises à la démocratie directe autogestionnaire et fédéraliste (socialisation complète à l’échelle territoriale la plus pertinente : au niveau d’une commune, d’un département ou d’une région, d’un pays, etc.). Par socialisation complète, il ne faut pas comprendre monopole bureaucratique d’Etat, mais ni plus ni moins que l’association solidaire et égalitaire de tous les producteurs, gérant la production de la base aux sommets et de la périphérie aux centres. Sur cette base, il sera possible d’opérer notamment deux choix fondamentaux, impossibles dans le cadre de l’anarchie capitaliste marchande : 1 la transformation technique des moyens de production pour les adapter aux impératifs de soutenabilité, 2 la réduction globale du volume de production en abolissant l’obsolescence programmée et en opérant des choix de production par anticipation.

  2. Voila le genre de commentaire que j’apprécie et qui complète très bien mon article. Merci pour votre contribution cher frère.

    Au plaisir d’échanger avec vous via mail (louis.alidovitch@gmail.com) ou Facebook (Ludovic Alidovitch).

    Fraternellement

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