La page blanche…

Qui n’a jamais été devant une page blanche, en panne d’inspiration ?

Voilà  la hantise de celui qui crée. Parfois il ne s’agit que d’un souci passager mais il se peut aussi que ce problème s’étire sur des mois. Horreur !!!

Et au fur et à mesure que cela dure, on a de moins en moins envie de créer et de moins en moins confiance en soi; la motivation commence à baisser. Car c’est dans la nature de l’homme que de chercher à s’exprimer. Dieu nous a donné, en effet, le pouvoir de l’expression (‘allamahu al bayân). Le Seigneur nous donne ainsi un moyen de nous réaliser et de nous épanouir à travers des images, la musique, des mots et «  l’ensemble des arts qui nous permettent de traduire, de suggérer, d’accompagner, de nourrir, de découvrir ou de protéger notre univers intime, nos émotions et, littéralement, nos « états d’âme. La foi a besoin de l’art. »[1]  Sans ce pouvoir, ma foi peut se sentir fragilisée.

Mais, d’abord, qu’est ce que l’inspiration ?

Si je cherche les définitions dans le dictionnaire je lis [2]: Action qui consiste à faire entrer de l’air dans les poumons [Physiologie].  Ou idée soudaine. Ou encore qui pousse à la création, synonyme d’invention. Ou influence, notamment artistique, ex : cette église est d’inspiration baroque, synonyme d’influence.

L’inspiration est, pour faire très simple, un mécanisme psychologique reposant sur plusieurs de nos facultés telles que la mémoire, l’intelligence, les aptitudes artistiques ou logiques, et nos émotions. Ces facultés sont elles-mêmes reliées à notre éducation, notre environnement et le vécu quotidien.

C’est donc ce processus qui produit cette étincelle « magique »qui  nous permet à son tour d’être imaginatifs et créatifs. Mais elle n’est pas l’œuvre d’une muse qui viendrait nous rendre visite et qui ferait de nous, artistes, des êtres à part. D’ailleurs la mienne m’a souvent posé des lapins… Dans une société qui nous met souvent sous tension, il faut savoir relâcher la pression (C’est  justement ce qu’est partie faire ma muse.).

Je peux chercher parfois pendant des heures une idée et soudain quelle exaltation quand arrive enfin la révélation. Je me souviens d’une fois où je cherchais depuis des jours une idée de logo pour une association. J’avais bien essayé de griffouiller des esquisses de logo mais rien ne me convainquait. On était en décembre, il neigeait. Je suis sortie dehors et ayant posé ma main sur le capot d’une voiture, j’ai observé la trace que j’avais laissée. A ce moment précis, ce fut l’instant fabuleux où l’inspiration me visita.

Notons que dans cette expérience il y eut quelque chose de spirituel. Ici il y a eu effort de recherche,  observation puis illumination. Parfois l’idée survient de manière plus inattendue sans qu’on puisse savoir quel chemin elle a emprunté. Après avoir fourni l’effort de recherche, il faut s’en remettre à Dieu et Lui faire confiance.

Au moment où je crie EURÊKA ! C’est Dieu qui me permet d’accéder à cette idée fabuleuse. Un cadeau de Sa part en somme. Bref, cet instant procure un plaisir intense, la sensation d’avoir touché à la grâce, à quelque chose habituellement caché. Du moins c’est ce que l’artiste ressent : Avoir soulevé une partie du voile.

Et là, à cet instant de mes réflexions,  je tombe nez à nez sur un article sur le net de Jean-Claude Marti sur le caractère spirituel de l’inspiration. Il cite quelques créateurs célèbres qui ont fait l’expérience de ce même éclair :

« De nombreux peintres ont avoué avoir travaillé en état de dédoublement, ainsi Matisse avoue : « Quand je peins, je crois en Dieu », ou encore Gauguin : « Il me semble que je suis fou et, cependant, plus je réfléchis le soir dans mon lit, plus je crois avoir raison.

Depuis longtemps, les philosophes raisonnent les phénomènes qui nous paraissent surnaturels et dont, pourtant, on a la sensation. Tout est là, dans ce mot. » On pourra se référer aussi aux paroles de Kandinski (Du spirituel dans l’art).

Beaucoup de ceux que je vais citer appartiennent au monde anglo-saxon, peut-être parce que les phénomènes évoqués y sont beaucoup moins décriés que dans la patrie de Descartes. On sait cependant que Victor Hugo écrivait sans effort, au fil de la plume, avec un débit étonnant, les vers de la Légende des Siècles. Milton, Wordsworth, Tennyson et Browning sont connus pour avoir écrit en état de demi-transe. Dans le Paradis perdu, Milton répète plusieurs fois combien il était conscient que c’était une puissance supérieure qui guidait sa plume. Shakespeare, de son côté, avoue de semblables expériences, et dans ses derniers vers, se plaint d’avoir perdu le don de recevoir cette inspiration :

« A présent, tous mes charmes sont rompus. Ce qui reste de force est la mienne propre. Mais c’est bien faible. »

L’expérience de Coleridge, qui a été largement popularisée, est intéressante : pendant sa sieste, il rêve du conquérant mongol, Kublaï Khan. A son réveil, il note fébrilement, sans rature, le poème du même nom qui est devenu un monument de la poésie britannique. Un importun frappe à sa porte. Coleridge lui ouvre, n’ose l’éconduire et le reçoit. Après son départ, il retourne à son cabinet de travail, impatient de reprendre l’écriture du poème qui semblait couler dans son esprit. Mais le lien est rompu, l’inspiration l’a abandonné et le poème restera inachevé. » [3]

Que faire alors quand on a gouté à ces instants sublimes mais que notre muse est partie s’amuser ailleurs?

« Oh reviens inspiration » serais-je prête à crier. «  Ne me quitte pas ! Pas maintenant,  au moment où l’on m’a justement commandé deux toiles et un article pour un blog. Rien n’arrive décidemment par hasard. » 

Souvent, on passe notre temps à se plaindre en face d’une ou plusieurs difficultés. Les choses surviennent par La Volonté de Dieu, il faut donc accepter le fait qu’elles soient. Je précise qu’il s’agit d’accepter la survenue/ existence du problème, non pas d’accepter de rester dans la difficulté !

« Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants…qui disent, quand un malheur les atteint: Certes Nous sommes à Dieu, et c’est à Lui que nous retournerons »[4]

Souvent Dieu nous pousse à nous  poser les bonnes questions. Il nous prive de ce pouvoir d’expression pour que nous revenions à l’essentiel.

Pourquoi j’écris, pourquoi je peins ?

Ai-je été juste envers moi-même ces derniers temps ?

Est-ce que mon travail reflète mon identité ?

Est-ce que je ne favorise pas la quantité à la qualité ?

Est-ce c’est mon égo que je cherche à mettre en avant, ou un message ?

Cette liste de questions est non exhaustive mais permet évidemment de libérer l’esprit en se posant dès le début les bonnes questions.

Souvenez-vous de ce verset : « Certes à côté de la difficulté, il y a une facilité »[5]

On doit donc avoir une conviction profonde que ce manque d’inspiration sera suivi d’une idée et que cette dernière arrivera d’une manière différente, insoupçonnée.

Si on réfléchit bien c’est la créativité que l’on recherche. Et pour cela il y a des solutions. Ça ne sert à rien de se crisper devant son espace de créativité, mais attendre que cela vous tombe dessus ne vous aidera pas non plus.

Jack London disait : « il ne faut pas attendre l’inspiration, mais la pourchasser avec un gourdin ». Baudelaire quant à lui disait « L’inspiration c’est la table de travail »

Voici quelques pistes pour sortir de cet état d’attente

1.      Aménager le lieu de travail

On doit pouvoir travailler, faire un brainstorming et même s’étaler dans un espace libéré. De plus il est préférable de ne pas avoir un espace surchargé de désordre ou de superflus afin de ne pas s’encombrer l’esprit d’autres taches que l’on devrait accomplir: j’ai ma facture à régler qui reste sur le bureau tout en ayant ma plante verte qui meurt de soif, plus un bac de linge qui attend d’être plié.

Le mieux c’est de noter ce qu’il nous reste à faire sur des listes et de sortir les éléments perturbateurs hors du champ de vue.[6]

2.      Ne pas rester bloqué sur sa première idée

Bien souvent, on se bloque soi-même à vouloir faire quelque chose de CETTE manière et pas d’une autre. Alors qu’on peut bien souvent trouver des alternatives, une autre idée pour contourner ce qui nous bloque.

3.      Arrêter et faire autre chose

Cela paraît bête, mais il faut le faire. Si l’inspiration ne vient pas, ce n’est pas en forçant qu’elle arrivera. Si vous en avez la possibilité, arrêtez, mettez votre projet en pause et réalisez une autre tâche pendant un moment, qui nécessite moins de fibre créative.[7]

4.      Trouver des sujets grâce à des images

Un autre bon moyen de dénicher des sujets consiste à regarder des tableaux, des photographies et de chercher à reconstituer une histoire à travers ces images fixes. S’il y a des personnages, quelle est leur histoire, d’où viennent-ils, pourquoi sont-ils dans cette situation ? La télévision peut également faire travailler votre imagination, et peut-être vous aider à trouver un bon sujet. Regardez n’importe quel film ou n’importe quelle série que vous ne connaissez pas et coupez le son lors d’une scène. Essayez d’inventer une histoire en fonction des personnages et de leurs actions.

En définitive, la « normalité » du quotidien garantit un certain confort mais endort notre perception des choses. Se mettre en danger, accepter la part d’inconfort mais aussi de surprises et de plaisirs que nous pouvons retirer des situations les plus courantes, affûte notre perception

5.      Jouer avec les  mots

Le langage nous permet de percevoir des éléments synthétiques et de leur donner du sens. Il nous permet par exemple de comprendre une information sous ses aspects symboliques.  D’ailleurs tant que le mot n’existe pas, la chose ne peut pas prendre toute sa place dans l’esprit.  Comme l’habitude, les mots conditionnent notre perception. Ils nomment les choses, nous donnent à voir des subtilités mais nous renseignent peu sur l’intention de ceux  qui les ont émis.  Il faut se mettre là encore en danger en jouant les associations de mots.

Exercice : Indiquez ce qu’évoque pour vous le mot « plume ». En percevant le mot plume, nous actionnons en nous un processus de « repérage », d’association d’idées, de souvenirs, d’émotions qui peuvent nous mener de l’écrivain à l’oiseau en passant par la légèreté ou la coiffure d’un chef indien. Marcel Proust a particulièrement réussi cet exercice avec une simple madeleine.[8]

6.      Trouver des sujets grâce à des personnages

Quand on ouvre le dictionnaire (ou wikipedia) on tombe rapidement sur les grandes figures de l’Histoire. Nous pouvons notamment nous nourrir des récits du Coran, les biographies des Prophètes ou les personnages pieux pour découvrir les récits des hommes et femmes qui construisent notre foi. Parfois plus parlant, observer et retenir le récit des hommes et des femmes qui croisent nos chemins : notre famille, nos enfants,  nos voisins, nos collègues, etc. Et par là-même, aiguiser notre empathie et notre attention pour les autres.

7.      Les autres, le conseil et les critiques

La meilleure source d’inspiration est peut être les autres. Même si ces personnes ne sont pas du tout « créatives », tout le monde a des idées et verra un thème différemment de son semblable. Même si l’idée de la personne est moisie, elle peut elle-même vous donner de nouvelles pistes et vous permettre d’envisager le problème différemment.

En Islam le conseil est très important. N’oublions pas que c’est une manière de parfaire sa foi. Il s’agit  d’accepter de demander de l’aide en freinant son ego et, en retour, savoir aussi donner le conseil. Il faut être au moins deux pour jouir de cette sagesse.

Dieu Tout-Puissant dit : « Par la sagesse et la bonne exhortation appelle (les gens) au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon. Car c’est ton Seigneur qui connaît le mieux celui qui s’égare de Son sentier et c’est Lui qui connaît le mieux ceux qui sont bien-guidés »[9]

En retour, cette attitude permet :

– De pouvoir piocher dans  un  « réservoir à conseils » quand nous sommes en panne d’idées.

– De pouvoir nous raccrocher à du positif quand tout va de travers.

– D’avoir une vision claire de nos besoins et aspirations.

8.      Sortir

Sortez ! Aérez-vous, bougez et voyez autre chose que vos quatre murs. Cela peut faire une grosse différence et vous rendre ensuite plus serein et prêt à réattaquer le sujet sous un autre angle en étant reboosté.

Je vous dis au revoir, parce que moi, j’ai Mademoiselle la muse qui frappe à la porte.

 


[1]Tariq Ramadan dans «  Islam et la réforme radicale »

[2]http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/inspiration/

[3]http://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/l%E2%80%99inspiration-une-experience-spirituelle/

[4] Coran : S2, V155-156

[5] Coran : S 94, V5

[6]« L’art de l’essentiel » de Dominique Loreau

[7]http://designspartan.com/info_generale/conseil-trouver-linspiration/

[8] « Savoir développer sa créativité » de Brigitte Bouillerce et Emmanuel Carré

[9] Coran : (Sourate 16, les Abeilles, An-Nahl, verset 125).

2 commentaires

  1. Merci pour cet article qui dès le départ met la barre haute et s’adresse à celles et ceux qui ont pensé un jour se mettre face à une page blanche pour en faire une œuvre (bonne œuvre incha Allah). Cela contraste avec le copier-coller tendance dominante sur Internet, et bien avant Internet.

    Merci encore.

  2. Soubhanallah ! Je me reconnais à fond dans votre analyse, ma sœur. C’est vrai qu’il y a des instants où l’on se surprend à l’écriture de pensées créatives et coordonnées. J’admire les conseils pratiques que je m’empresserai de mettre en œuvre inchallah.:)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page