L’Europe des femmes. Quelle participation ?

Le Week-end du 4 au 6 mai s’est tenu en Haute-Savoie, la 8ème édition de l’Université d’été. C’est chaque année, une occasion unique que Dieu offre à des frères et soeurs venus de toute l’Europe de se rencontrer, de partager leurs expériences et de renouveler leur fraternité en Dieu. Cette édition correspondait au troisième volet d’un programme de formation et de réflexion conçu sur trois ans autour du thème de l’identité européenne.

 

De grands débats autour de la question de l’identité traversent nos sociétés contemporaines. L’Europe traverse, en effet, une période d’importants changements culturels et démographiques, qui se caractérise par une crise complexe, notamment au sujet de la question de l’identité. Cette dernière est souvent abordée de manière monolithique et idéologique. Or tous les humains, l’expérience la plus élémentaire le prouve, sont porteurs de plusieurs identités. Dans ce contexte la situation, des femmes, leur rôle, leur place, est devenue particulièrement sensible, de même que la question des relations hommes/femmes.

Il y a quelques temps, les femmes européennes avaient une identité clairement définie. La relation homme/femme, héritée du passé, semblait une base stable de la société. Depuis les années 70, repenser les différences et l’identité sexuelles est devenu un objectif poursuivi par de nombreux mouvements qui se définissent comme émancipateurs. Par ailleurs, l’émancipation qui semble avoir suivie, les rythmes professionnels, l’immigration, les nouveaux médias, le savoir et les progrès de la médecine… tous ces facteurs ont contribué grandement à changer le statut de la femme. Plus que jamais, compte tenu de ce contexte de crise et de l’histoire du statut de la femme en Europe, la place de la femme sera déterminante dans la construction du futur.

C’est autour de ces questions importantes que l’université d’été 2012 a été mise sur pied. Deux interventions introductives ont permis de fixer le cadre global de la réflexion.

La première, proposée par François Clarinval, avait pour thème l’histoire du statut de la femme en Europe. Ce rapide survol historique a permis de mettre en perspective historique son évolution et de mieux comprendre la nature des enjeux actuels. Il est apparu que cette histoire est plus complexe et nuancée que ne le laisse supposer un certain militantisme féministe. Contrairement à certaines idées reçues, l’Eglise, avant la période dite de la Renaissance, ne considérait pas que la femme fût dépourvue d’âme. Les écrits de Saint-Augustin sont, à ce sujet, fort explicites. Le droit chrétien, par ailleurs, au cours du XIIIème siècle, a instauré une série de lois très claires au sujet du mariage, instaurant le consentement mutuel, condamnant sans réserve les rapts et les viols. Ce n’est qu’avec l’introduction du droit romain, donc d’un droit civil, que ces avancées du droit religieux vont être perdues au profit d’une vision paternaliste et machiste de la femme. Empressons-nous de préciser que cette vison était bel et bien présente tout au long du Moyen-Âge mais qu’elle ne peut être imputable unilatéralement à la religion chrétienne.

La seconde intervention, présentée par Yamina Jeouit, s’est attachée à présenter les grandes lignes de la conception de la femme en islam à la lumière de la méthode prophétique telle que le penseur marocain Abdessalam Yassine l’a explicitée.

Le projet de renouveau de l’Islam s’adresse à l’humanité entière rappelant à chaque être humain l’objet de sa création et de son passage sur terre. De ce point de vue, la question de la femme en général et dans l’islam est centrale. Abdessalem Yassine aborde ce sujet en interpellant la femme à partir d’une question essentielle : la relation à son créateur. C’est en réveillant en elle cette innéité, cette volonté d’accéder aux sommets de la proximité divine que la femme comprendra son rôle et l’action qu’elle devra mener pour l’accomplir. Cette aspiration implique l’établissement d’une justice dans le traitement qui est réservé aux femmes dans la société : de cette manière la reconquête de ses droits, la pleine participation au développement de la société ne sont pas des requêtes à visée terrestres, aussi justifiées soient-elles, mais participent au cheminement de la femme vers son Seigneur.

Ce projet, cependant, s’inscrivant dans la dynamique globale de renouveau, ne se réalisera que par l’action conjointe d’hommes et de femmes mus par la même bonne intention, faite de sincérité et de volonté. L’alliance entre les croyants et les croyantes est le socle d’une action équilibrée, et le respect des particularités, de même que la bonne répartition des rôles respectifs, est un gage de complémentarité.

Suite à ces deux interventions, les participants se sont retrouvés en ateliers de réflexion afin d’approfondir cette thématique.

Le premier atelier posait la question suivante : Quels  moyens et quels obstacles à la participation féminine musulmane en Europe ? Diverses questions ont été abordées : Qu’attendons-nous d’une présence accrue de la femme musulmane dans l’espace public européen ? Outre le noble rôle qui est le sien de gardienne du foyer, ne devrait-on pas mettre sur pied d’autres espaces où elle pourrait faire entendre sa voix et participer au bien commun ?

Le deuxième atelier avait pour thème : Femmes musulmanes et leadership. Dans l’histoire des avancées sociales, politiques, on trouve bien souvent des figures charismatiques, populaires, qui fédèrent et deviennent le symbole de causes particulières. Certaines de ces figures sont des femmes devenues célèbres : Rosa Parks, Mère Theresa, Aung San Suu Kyi, Nadia Yassine, Tawakul Karman, etc. Il en va de même dans le secteur artistique ou économique. Dans le contexte actuel de tels leaderships pourraient-ils être des leviers pour une meilleure perception de la femme musulmane en Europe ? Quelles pourraient-être les caractéristiques d’une femme musulmane leader ? Quels seraient les domaines prioritaires à investir ? Voilà quelques-unes de questions soulevées dans cet atelier.

Le troisième atelier interrogeait la question de La mixité dans le travail participatif. L’alliance des croyants et des croyantes est une donnée essentielle pour la réussite d’un projet islamique de renouveau. Il ne semble donc pas concevable que la femme soit écartée de la réflexion mais surtout de l’engagement sur le terrain de la réalité sociale, humanitaire, politique. L’état du monde réclame la mobilisation de toutes les ressources humaines. Si l’islam intègre la mixité, il prône néanmoins une mixité fondée sur une éthique comportementale dont l’axe central est la pudeur et la préservation du couple. Les participants de cet atelier se sont posés les questions suivantes : compte tenu du contexte européen et de ses codes de mixité, différents des codes islamiques, comment œuvrer au bien commun sans se couper de nos partenaires non-musulmans ? Comment valoriser notre éthique de la mixité ? Comment, dans le travail participatif, concrétiser, en nos rangs, la fraternité entre frères et sœurs sans contrevenir à notre éducation ? Comment cette fraternité peut-elle être une force ?

Dans le quatrième atelier, les participants ont réfléchi sur la question suivante : Comment déconstruire l’image négative de la femme musulmane en Europe ? L’image que l’occident a construite de la femme musulmane est, en effet désastreuse. A l’évidence, l’Europe a construit une représentation de la femme musulmane qui n’a eu d’autres buts, jusqu’à présent, que d’alimenter sa vision du monde, ses enjeux circonstanciels. Au XIXème siècle, la femme musulmane était associée aux charmes de l’Orient ; femme objet de harems qui alimentaient l’imaginaire européen. La colonisation a vu en elle, par ailleurs, une esclave, un être insignifiant, corvéable à merci. Aujourd’hui, elle est perçue comme la survivance d’un ordre patriarcal et machique dont l’Europe peine, en réalité, à se dégager. Toutes ces constructions ne sont, évidemment, en rien fidèle aux sources de l’Islam. Mais cette image, par sa force et sa constance, est devenue un obstacle majeur à la présence participative des femmes musulmanes dans les sociétés occidentales. La question centrale, abordée ici, a donc été : quelles stratégies faudrait-il mettre en place pour modifier les représentations véhiculées au sujet de la femme en islam ?

Les participants ont pu, ainsi, faire part de leurs réflexions et de leurs expériences autour de cette question essentielle relative à la place de la femme musulmane en Europe. Les discussions ont été riches et fraternelles, et chacune et chacun s’accordaient à trouver cette rencontre fructueuse et bénie. Il reste désormais à se donner les moyens, chacun à son niveau, de mettre en œuvre les outils permettant de concrétiser durablement ce projet de l’alliance du croyant et de la croyante œuvrant pour le bien commun et la Vie dernière.

 

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