Femmes musulmanes dans les médias français: pour des représentations plurielles et apaisées

En ce 27 mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes musulmanes (#MuslimWomensDay), des journalistes, des associations, des militants, des chercheurs et des citoyens questionnent « le traitement médiatique majoritaire, et formulent plusieurs propositions pour faire entendre les voix de ces femmes et refléter de manière plus juste leurs réalités plurielles, loin des polémiques habituelles. »

Nous, journalistes, rédacteur·ices en chef·fe, représentant·es d’associations, militant·es, chercheuses, citoyen·nes, nous  faisons le constat de représentations médiatiques trop souvent stigmatisantes à l’égard des femmes musulmanes en France et des conséquences préoccupantes qu’elles ont sur la vie de centaines de milliers d’entre elles. En ce 27 mars, à l’occasion de la Journée internationale des femmes musulmanes (#MuslimWomensDay), nous nous engageons et invitons à questionner le traitement médiatique majoritaire qui en est fait, et formulons plusieurs propositions pour faire entendre leurs voix et refléter de manière plus juste leurs réalités plurielles, loin des polémiques habituelles.

Femmes musulmanes, à la fois victimes et coupables

La situation est paradoxale : dans une majorité des médias français, le sujet des femmes musulmanes est constamment abordé, sans pour autant que l’on écoute ce que les principales intéressées ont à dire. Sous-représentées dans les médias, elles sont dépeintes comme un bloc homogène, dépourvues de libre arbitre, tantôt oppressées et soumises, tantôt dangereuses et menaçantes.

Ce traitement se teinte particulièrement de mépris et de paternalisme lorsqu’il s’agit des femmes portant le foulard. De polémique en polémique, nous assistons depuis quelque temps à un glissement du discours médiatique majoritaire : du statut de victimes du machisme des hommes musulmans, elles sont passées à celui de “radicalisée” arborant leur foulard comme un étendard politique.

Ces représentations fantasmées sont souvent appuyées par des images renforçant cet imaginaire mélangeant fascination, peur et rejet. Ces choix d’illustrations contribuent largement à la construction d’une figure unique de “la” femme musulmane, à la fois opprimée et dangereuse, drapée dans son niqab noir et synonyme d’insécurité et de menace pour les valeurs françaises.

Des conséquences alarmantes sur la vie des principales concernées

Loin de refléter la diversité des femmes musulmanes en France, leurs identités plurielles et leurs apports positifs à la société, ces représentations renforcent les préjugés négatifs à leur égard. Bien que ces femmes soient majoritairement bien loin de ces clichés, elles subissent au quotidien les sentiments d’hostilité nourris par certains médias qui les sacrifient sur l’autel de la course aux clics et aux actualités sensationnalistes. Voile, burkini, longueur de leurs jupes… : leur corps et leur apparence physique n’en finissent pas d’alimenter des polémiques et des débats dont elles sont au demeurant exclues.

Les conséquences sont particulièrement préoccupantes lorsque l’on constate l’impact bien réel que ces représentations et ces polémiques ont sur la vie des femmes musulmanes en France. Les préjugés et la suspicion ainsi nourris créent un climat dans lequel ces femmes subissent des discriminations et des violences croissantes, à l’intersection entre racisme, sexisme et islamophobie.

Selon le Réseau européen contre le racisme (ENAR), les femmes, notamment celles qui portent le voile, sont ainsi les principales victimes de l’islamophobie en France et en Europe. Cela se traduit par des agressions physiques et verbales en constante hausse, ainsi que par des discriminations dans l’accès à l’emploi, à l’éducation, aux soins, au logement et aux activités de loisirs, les privant ainsi de ressources économiques et de droits fondamentaux.

Face à ces constats, il apparaît urgent d’agir collectivement pour que les femmes musulmanes soient représentées de manière plus juste et plus nuancée dans les principaux médias français. Professionnel·le·s des médias et citoyen·ne·s, il nous appartient à tou·te·s de repenser nos pratiques et d’adopter de nouveaux réflexes pour créer un climat social plus sain et plus apaisé.

Citoyen·ne·s : agir en amplifiant l’impact des récits constructifs

  • Prenons du recul et faisons preuve d’esprit critique face aux représentations des femmes musulmanes dans les médias.
  • Faisons l’effort de déconstruire nos préjugés en allant à la rencontre de femmes musulmanes bien réelles, directement ou à travers leurs récits et leurs témoignages.
  • Refusons d’offrir nos clics et notre argent à des contenus et à des médias qui alimentent les préjugés et imposent des polémiques stériles.
  • Faisons le buzz et amplifions l’impact des contenus qui donnent la parole aux premières concernées, relaient leurs vécus et leurs expériences, et reflètent leur pluralité.

Professionnel·le·s des médias : changer la donne en faisant des choix responsables

  • Donnons la parole aux femmes musulmanes, en particulier sur les sujets qui les concernent directement et sur lesquels elles ont toute la légitimité pour s’exprimer.
  • Faisons-nous l’écho des voix des femmes musulmanes, en étant à l’écoute de leurs préoccupations et en refusant de leur imposer un agenda politique populiste.
  • Faisons le choix conscient de refuser la facilité de contenus “à sensation”, sources de visibilité pour les médias, mais surtout de stigmatisations et de divisions dans la société.
  • Mettons en lumière des femmes musulmanes plurielles et améliorons la visibilité de leurs talents, de leurs domaines d’expertise variés et de leurs apports à la société.
  • Prenons conscience de nos propres biais et faisons l’effort de déconstruire nos préjugés, en organisant des formations et en nous informant auprès de sources compétentes sur les sujets qui ont trait à l’islam, aux femmes musulmanes et aux discriminations.
  • Soyons particulièrement vigilant·e·s en abordant les sujets liés au terrorisme, en prenant garde à ne pas faire de raccourcis dangereux entre islamité et dangerosité, que ce soit verbalement ou visuellement.
  • Pesons nos mots et prenons soin de choisir les termes adaptés entre “arabe”/ “maghrébin·e” et “musulman·e”, entre “musulman·e” et “islamiste”, etc. Évitons également les termes insultants tels que “beurette” ou la mention systématique des origines étrangères de femmes musulmanes qui sont bien françaises.
  • Prenons le réflexe d’illustrer nos contenus par des images adéquates, en bannissant les mises en scène alarmistes et le recours à des photos n’ayant pas de rapport avec le sujet (voile intégral lorsque l’on parle de foulard simple, pays étranger lorsque l’on parle de la France, femme portant le voile lorsque l’on parle de terrorisme ou d’islamisme, etc.)

Chacun·e, à notre échelle, nous pouvons agir pour changer les narrations sur les femmes musulmanes. Il s’agit là d’un impératif et d’une étape indispensable pour permettre à nos concitoyennes d’évoluer dans la société en toute sécurité, dans le respect de leurs droits et de leur individualité.

Agissons dès aujourd’hui 

Et ce travail commence aujourd’hui, Journée internationale des femmes musulmanes.

Ce 27 mars, Lallab lance officiellement le Muslim Women’s Day avec la collaboration précieuse du magazine en ligne américain Muslim Girl – qui a créé l’initiative l’année dernière – et du premier quotidien français d’actualité sur le fait musulman Saphirnews.com, en partenariat avec le magazine féminin Cheek Magazine et le soutien de nombreux médias qui produiront du contenu pour inonder la Toile de récits divers de femmes musulmanes en France grâce au hashtag #MuslimWomensDay.

Nous aussi, participons ! Passons le micro aux femmes musulmanes sur les réseaux sociaux, partageons les articles centrés sur les vécus et les expériences des femmes musulmanes, utilisons le hashtag #MuslimWomensDay pour célébrer les femmes musulmanes que nous connaissons.

Tou·te·s ensemble, faisons de cette première édition française du Muslim Women’s Day une étape décisive dans la lutte contre le traitement sexiste et raciste réservé aux femmes musulmanes.

 Signataires : 

Lallab, association féministe et antiraciste ;

Saphirnews.com, premier quotidien français d’actualité sur le fait musulman ;

Salamnews, magazine gratuit des cultures musulmanes ;

Collectif des raciné·e·s, collectif queer, féministe et décolonial lyonnais ;

Collectif féministe Kahina, Belgique ;

Inès Belgacem, journaliste StreetPress ;

Anaïs Bourdet, fondatrice du projet féministe Paye ta Shnek ;

Marie-Laure Bousquet, membre du Collectif Féministes Pour l’Egalité ;

Ismahane Chouder, co présidente du Collectif Féministes Pour l’Egalité ;

Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite à l’université Paris Diderot ;

Julie Pascoet, senior advocacy officer, European Network against Racism ;

Collectif Féministes contre le cyberharcèlement ;

Sakina Ghani, fondatrice de ReSisters, membre de Karamah-EU ;

Les Glorieuses, newsletter féministe inclusive ;

Nacira Guénif, sociologue, universitaire, féministe antiraciste décoloniale ;

Julie Hamaïde, journaliste, fondatrice du magazine Koï ;

Oceanerosemarie, auteure et comédienne ;

Ahmed Hamila, Doctorant en science politique ;

Soumia Kanouni, membre du Collectif Féministes Pour l’Egalité ;

Fatima Khemilat, Doctorante en Sciences Politiques ;

Faustine Kopiejwski, journaliste, cofondatrice de Cheek Magazine ;

Souad Lamrani, doctorante en Philosophie, militante féministe et antiraciste ;

Myriam Levain, journaliste, cofondatrice de Cheek Magazine ;

Emilie Tôn, journaliste ;

Malika Hamidi, auteure “Un féminisme musulman, et pourquoi pas ?” ;

Fatiha Ajbli, docteur en sociologie, féministe antiraciste ;

Zakia Meziani, présidente Identité Plurielle, féministe antiraciste ;

Saaz Taher, doctorante en science politique ;

Lauren Bastide, journaliste, créatrice du podcast La Poudre ;

Zahra Ali, sociologue, Rutgers university-Newark ;

Ibrahim Bechrouri, doctorant et enseignant à l’Université Paris 8 ;

Alice Dula, Collectif Féministes Pour l’Egalité ;

Suzanne d’Hermies, Collectif Féministes Pour l’Egalité ;

Jehan Lazrak Toub, journaliste, cofondatrice de W(e) Talk Event ;

Simonæ, magazine féministe en ligne…

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