Europe, réveille-toi, le café est prêt

Au lendemain de la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, Hagai El-Ad directeur exécutif de B’Tselem, principale organisation de défense des droits de l’homme israélienne, qui était un des invités d’un récent colloque de l’Iremmo sur le conflit israélo-palestinien, lance un appel à l’adresse de l’Union Européenne.

L’Israël de Netanyahou se moque ouvertement des valeurs que l’Europe prétend chérir. Quand les dirigeants européens vont-ils enfin se réveiller et rejeter la réalité inacceptable de ces 50 dernières années ?

Les Ministres européens des Affaires étrangères présents, ce lundi 18 décembre 2017, au petit-déjeuner du Premier ministre Netanyahou à Bruxelles risquent de voir leur appétit coupé. Comme à son habitude, l’invité d’honneur parlera de l’Iran, se lamentera sans doute du « deux poids, deux mesures », et vantera les mérites de « la seule démocratie du Moyen-Orient ». Certains petits-déjeuners sont plus difficiles à avaler que d’autres.

Dans la foulée du récent discours prononcé par le Président américain, les pensées des Ministres présents pourraient en effet s’envoler ailleurs, peut-être en direction des territoires palestiniens occupés. Ils pourraient se poser certaines questions auxquelles le gouvernement israélien a constamment refusé de répondre. Etant donné que l’emprise israélienne sur la Cisjordanie est davantage affermie, pourquoi le gouvernement de Netanyahou prend-il la peine de souscrire pour la forme au « processus de paix » ? Et la politique israélienne du « déplacement forcé » des Palestiniens depuis certaines zones des territoires occupés, n’est-elle pas un crime de guerre ? À combien d’heures quotidiennes d’accès à l’électricité Israël a-t-il prévu de rationner les deux millions de Palestiniens vivant sur le pas de sa porte dans la bande de Gaza la semaine prochaine ? Et mis à part le raffut autour du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, qu’en est-il des 370 000 Palestiniens de Jérusalem-Est, vivant sans droits politiques depuis l’annexion israélienne d’il y a un demi-siècle ?

Les questions qu’on laisse sans réponse ont la vie dure. Aujourd’hui elles reviennent frapper à la porte. Si par exemple, Israël continue à renforcer son emprise sur toute la Cisjordanie, pourquoi l’Europe prend-elle au sérieux ce faux discours de circonstance concernant le « processus de paix » ? Et puisque la politique israélienne de déplacement forcé des Palestiniens depuis des zones de territoires occupés est bel et bien un crime de guerre, quelle est la réaction concrète de l’Union Européenne ? Et pendant combien de temps le mensonge de la « démocratie israélienne », qui se conjugue avec une oppression et une expropriation institutionnalisées version 21e siècle, sera-t-il accepté aux portes de l’Europe ?

Alors la voici votre dose de caféine : il est bien joli d’être perpétuellement déçu par les autres alors qu’on ne fait rien et que l’on se contente de regarder des mesures unilatérales devenir un fait accompli. C’est l’Europe qui a renoncé à sa propre crédibilité depuis des années en « exprimant son inquiétude » en permanence quant à la « la mise en danger des opportunités » de mettre un terme à l’occupation. Combien de temps peut-on éroder un positionnement avant qu’il ne soit complètement réduit en poussière par les bons soins des bulldozers israéliens ?

Pourtant, grâce à la pure franchise des récentes déclarations américaines et des actions israéliennes, l’Europe ne peut plus prétendre avec la moindre crédibilité que la politique qu’elle poursuit soit celle du soutien apporté au « processus de paix » mené par les Américains. Une fiction si évidemment cousue de fil blanc réduit à néant les efforts des Palestiniens aspirant à la liberté ; ceux des défenseurs israéliens des droits humains aspirant à la justice ; et la vision européenne fondée sur les valeurs de l’État de droit, des droits de l’homme et de la démocratie.

L’invité du petit déjeuner de ce lundi se moque ouvertement de ces valeurs, et pourtant il est bien assis à cette table – avec nappe blanche, croissants et l’ensemble des dignitaires écoutant poliment. En juillet 2017, lors d’une réunion avec les Premiers ministres hongrois, tchèque, polonais et slovaque, à Budapest, Netanyahou avait à plusieurs reprises qualifié la politique de l’UE de « folie », l’UE étant « la seule association de pays au monde qui soumet les relations avec Israël à des conditions politiques ». Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán avait abondé dans son sens, compte-tenu de sa perspective intra-communautaire. Budapest et Jérusalem semblent partager de plus en plus de valeurs ces derniers temps.

En tant que premier partenaire économique israélien, l’Europe dispose de tous les leviers nécessaires pour faire comprendre aux électeurs israéliens qu’ils ne peuvent continuer à jouer sur les deux tableaux – profiter de bénéfices justifiés par de prétendues valeurs démocratiques partagées, tout en piétinant ces mêmes valeurs.

Surenchérissant, Netanyahou joue à présent la carte du musellement par le biais de fausses accusations, faisant l’amalgame du refus de l’occupation permanente avec l’« incitation à l’antisémitisme », tout en tirant profit des divisions internes de l’UE. Il a donc pour objectif de mettre sur la touche jusqu’à la plus modeste, la plus inefficace des conditionnalités ayant existé à ce jour. Et lui, ou son successeur, brandira ce type d’exploit diplomatique face aux électeurs israéliens. Voilà la preuve, il leur dira, que vous pouvez continuer de manger à tous les râteliers.

En continuant d’exprimer « de sérieuses inquiétudes » au lieu d’agir, l’Europe décide en réalité de permettre à d’autres de prendre les rênes, et de facto en accepte les conséquences plus qu’évidentes. L’Amérique de Trump est bien loin de tout ceci, aussi bien géographiquement que moralement : elle est protégée par un océan et ouvertement alignée avec Poutine, Duterte, Orbán – et Netanyahou. Tandis que l’Amérique reste à distance, tout ceci se déroule dans la proximité immédiate de l’Europe. Au-delà de son propre intérêt, l’Europe peut-elle résister aux conséquences de l’abandon des valeurs sous-tendant son projet d’après-guerre ?

Il est vraiment temps de cesser d’attendre le bon vouloir de Washington, Moscou, Budapest ou Jérusalem. Il est temps de se réveiller et de défendre les droits de l’homme, d’exiger rien de moins que la fin de l’occupation, et de définir comment les dirigeants européens rejetteront concrètement l’inacceptable réalité de ces cinquante dernières années. Portée par un consensus presque général renouvelé lors de la résolution 2334 adoptée l’an dernier par le Conseil de sécurité de l’ONU, en solidarité avec les Palestiniens et les Israéliens faisant cause commune, et en partenariat avec des acteurs internationaux proches ou lointains – c’est une mission qui doit être réalisée par une véritable coalition dévouée à la non-violence, aux droits humains et à la justice.

Europe, réveille-toi.

Hagai El- Ad est le Directeur exécutif de B’Tselem. Publication originale de l’article dans le magazine +972 en anglais.

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