Expliquer sa foi aux non-croyants

Je suppose que la question abordée dans cet article n’est pas propre aux convertis. Toutefois, j’ai la sensation qu’elle ne se vit pas de la même manière. Pour être clair, si un athée interroge un musulman à propos de sa foi ou de sa pratique religieuse, ce dernier pourra toujours évoquer des motifs culturels. Exemple : « – Pourquoi vous faites le Ramadan ? – C’est un mois très convivial, on se retrouve tous en famille, on mange ensemble, un vrai plaisir de se retrouver avec ses proches le soir après une journée de jeûne. » 

Lorsque les questions deviennent trop pesantes, le musulman peut naturellement se replier auprès de sa famille ou de ses proches partageant une même foi. Le converti, pour sa part, ne peut pas esquiver ces questions. L’argument culturel ne tient pas, sauf à considérer que la profession de foi, dite la shahada, donne droit à l’obtention d’un passeport algérien ou marocain. 

Pour ma part, mon cheminement spirituel a été ponctué de ces moments où, face à mes proches, je devais réussir à expliquer le pourquoi du comment de mes pratiques religieuses. Et rationnellement, s’il vous plait !

« Ma foi, je l’exprime en acte »

Quelques semaines après ma conversion, deux ami-es, non-musulman-es, me proposent d’aller boire un verre pour discuter de cette nouvelle étape de ma vie. Rendez-vous est pris dans un bar branché bobo du 18e arrondissement. Ni islamophobes ni méprisants, ils trouvaient ma conversion intrigante et attendaient des réponses claires de ma part. Pour être honnête, ils voulaient du rationnel, du matériel : « C’est pour une fille ? C’est parce que tu te sens seul ? C’est pour te solidariser avec les victimes d’islamophobie ? » 

Mais comment exprimer par la voix quelque chose qui se passe au plus profond de son cœur ? Ma conversion, je l’exprime en acte, par la prière ou le jeûne. Comment peuvent-ils comprendre ce que je ressens ? 

Après avoir expliqué quelques moments de ma vie récente qui m’ont poussé à passer le pas de la mosquée, je me retrouve au centre des questions : « Mais en tant que musulman, tu dois croire au Coran, à tout le Coran, et tu sais que certaines sourates… » ; « Genre la parole révélée par un homme, tu y crois sincèrement ? » 

Tout cela n’avait en réalité aucun sens. Plus la discussion se prolongeait, plus je comprenais avec tristesse que je ne pourrais pas continuer à côtoyer ce genre d’ami-es. En partageant cette anecdote avec des sœurs ou des frères convertis, certains m’expliquent qu’ils ont décidé de couper court à ce genre de discussion par une réponse qui leur paraît suffisante : « Je le fais et j’y crois parce que je crois en Dieu. Toi, tu n’y crois pas. Donc parlons d’autres choses. » 

Je ne peux pas me satisfaire d’une telle réponse, et en même temps, ils n’ont pas tort. J’ai encore en tête cette discussion avec un frère qui m’expliquait, que je le veuille ou non, qu’« un tri va s’opérer dans ta vie ». Tiraillés par des questions insolubles ou gênés par le regard de certains, je comprends la réaction de certains convertis de se replier sur leurs frères et leurs sœurs. Le risque étant de se couper, progressivement, de ses proches y compris de sa famille.

La solution Muhammad Asad

Le jour de ma conversion, parmi les nombreux cadeaux reçus, il y avait un livre biographique signé de Muhammad Asad, « Le chemin de La Mecque ». Préférant d’autres lectures plus pragmatiques, j’ai attendu près de deux ans avant de l’entamer. Une erreur, il aurait dû être parmi les premiers. Muhammad Asad est à l’origine Léopold Weiss, journaliste juif ukrainien qui,après plusieurs voyages dans le monde arabe, se convertit à l’islam. L’auteur essaie d’expliquer, à chaque étape de sa vie, le sens de sa nouvelle foi et comment il interprète les pratiques musulmanes. 

« Le Coran est dangereux parce qu’il est un code politique et social ? »Muhammad Asad répond : « Si l’homme, avec son corps et son âme, constituait une unité intégrale (…), aucun aspect de la vie ne saurait être trop “trivial” pour ne pas échapper à la compétence de la religion. Le Coran rappelle que la vie de ce monde n’est qu’un degré dans le cheminement de l’homme vers une existence plus élevée et que son objectif final était de nature spirituelle. (…) Cette conscience ne doit pas seulement dépendre de la relation de l’homme avec Dieu, mais aussi de ses relations avec les autres hommes. Il ne s’agit pas seulement de la perfection de l’individu, mais aussi de la réalisation de conditions sociales qui puissent contribuer au développement spirituel de chacun. » 

« Les musulmans sont abrutis par leur Coran qu’ils pensent être la réponse à tout. » Muhammad Asad répond : « L’islam des premiers âges conduisit les musulmans à d’extraordinaires sommets culturels en dirigeant toutes leurs énergies vers la pensée consciente en tant que seul moyen de comprendre la nature de la création de Dieu et, par là, Sa volonté. (…) On ne pouvait trouver dans le message du Prophète aucun dogme d’aucune sorte. (…) Le Prophète arabe a dit que “la recherche de la connaissance est un devoir très sacré pour tout musulman, homme et femme”. Et ses disciples furent amenés à comprendre que ce ne serait que par la connaissance qu’ils pourraient le plus complètement adorer le Seigneur. » 

« Prier cinq fois par jour, c’est vraiment un symbole d’une routine de soumission, comment tu peux accepter ça ? ». Muhammad Asad répond : « Bien peu de choses rendent les hommes proches les uns des autres autant que le fait de prier ensemble. (…) L’absence de toute classe sacerdotale, de clergé ou même de toute “église” organisée donne à chaque musulman le sentiment de véritablement participer, et non seulement d’assister, à un acte commun d’adoration lorsqu’il prie en assemblée. » 

Et c’est ainsi pour d’autres sujets. Je ne suis pas certain que les réponses de Muhammad Asad conviennent à mes proches, mais elles ont le mérite d’exprimer mon ressentiment face à leurs interrogations. Que Dieu nous facilite. 

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Bilal Ibn Mîkhael est enseignant. 

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