L’enfer est pavé des bonnes intentions macroniennes

Tout a été dit sur Emmanuel Macron de la part de ses détracteurs : critique d’un programme qu’ils jugent vide, passé de banquier chez Rothschild, défense du capital pendant le quinquennat ou encore paternité de la loi El Khomri. Ses supporters, quant à eux, y voient un jeune politicien dynamique, ouvert, moderne et bienveillant. Mais peu s’intéressent à la vision libérale de l’ancien ministre de l’Economie. Celle-ci explique sa volonté de plaire à tout le monde, volonté qui permettra à la finance internationale d’accentuer son emprise sur notre société.

Emmanuel Macron est un libéral assumé. Il s’inspire clairement de John Rawls (1921-2002), de Amartya Sen et revendique un programme de libéralisme-égalitaire. Il est en cela l’héritier des Lumières, celles qui ont, malgré leurs bonnes intentions, entraîné l’essor et la domination de la logique marchande sur le globe.

Le libéralisme, un héritage des Lumières

Le libéralisme est l’enfant des guerres de religions qui ont marqué toute l’Europe durant la seconde moitié du XVIe siècle. Destructrices, elles représentent le conflit désocialisateur par excellence. C’est cet épisode sombre qui a amené de nombreux philosophes, à partir de la moitié du XVIIe siècle, à penser un nouveau monde où tous puissent vivre en paix. Le siècle suivant, appelé siècle des Lumières, verra alors de nombreuses idées converger vers le même point.

En effet, puisque les valeurs philosophiques, morales et religieuses sont sources de discordes et de tensions pouvant amener aux massacres, il faut une société dans laquelle ces valeurs sont privatisées. Chacun est libre de vivre selon les principes qu’ils souhaitent, de poursuivre son intérêt personnel (Adam Smith), d’avoir sa propre conception du bonheur. Et aucune autorité ne doit dicter ce qui est bien ou mal. L’Etat se doit d’être neutre sur le plan des valeurs et sa tâche principale sera de veiller à ce que le bonheur des uns n’empiète pas sur le bonheur des autres.

Autrement dit, l’Etat est cantonné à un rôle juridique. Néanmoins, le problème de la vie en communauté se pose. Comment créer du lien social et faire société quand il n’y a plus de valeurs communes ?

C’est ici que le doux commerce de Montesquieu rejoint le « quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion » de Voltaire. Progressivement, le marché dont la place était périphérique dans les sociétés dites traditionnelles, va devenir central et l’économie va s’encastrer dans les relations sociales (Karl Polanyi).

Si les intentions des premiers libéraux sont nobles, sur le long terme de la logique libérale (rencontrant d’autres facteurs historiques) accoucheront des effets éloignés des prétentions initiales : le développement des comportements égoïstes, l’atomisation des sociétés, la volonté d’accumulation du capital, la révolution industrielle, la concentration du capital, l’exploitation humaine, la colonisation ou encore l’abrutissement des masses.

Quand l’impératif de réussite économique devient l’horizon de tout citoyen

Dans un monde de plus en plus complexe, la multiplication des « recherches du bonheur » entraîne un déclin de l’intérêt collectif (d’où le matraquage des appels au vivre-ensemble). Face aux multiples aspirations, le rôle juridique de l’Etat est de plus en plus complexe. Concilier des intérêts aussi divergents dans un village-monde relève de l’impossible.

Naturellement, le politique se voit contraint de rejoindre les intérêts du marché puisqu’il est censé faire le bonheur de tous. La logique du gagnant-gagnant est le cœur de tout programme politique.

L’impératif de réussite économique et professionnelle devient l’horizon de tout citoyen (qui a de moins en moins conscience de ce qu’implique qu’être de la cité). Il s’agit non plus de trouver sa place dans la communauté, mais de se faire sa place sur le marché de l’emploi, d’être productif et de consommer. Et c’est cela la promesse macronienne !

Le marché, la clé du bonheur ?

Ce qui revient souvent dans la bouche des détracteurs d’Emmanuel Macron, c’est qu’il est d’accord avec tout le monde. En écoutant son discours du lundi 1er mai, on constate effectivement qu’il énumère une suite de positions entrecoupées d’applaudissements spontanés et irréfléchis. Son programme consiste à assener des évidences sur lesquelles tous sont d’accord : « L’éducation, c’est prioritaire ; la famille, c’est important ; le chômage, ce n’est pas bien ; la pluie, ça mouille… »

Ainsi, il récuse l’accusation de candidat de la finance. D’ailleurs, s’il refuse d’abolir la loi Travail (comme lui demande Jean-Luc Mélenchon) et veut même aller plus loin, c’est avant tout pour relancer la croissance et permettre à un maximum d’aspirations différentes de converger vers la prospérité, car il est persuadé que le marché est la clé du bonheur.

Dans cette perspective, son passage chez Rothschild sonne, pour ses supporters, comme un avantage considérable. Ainsi, s’il est d’accord avec tout le monde comme ironisent ses adversaires, c’est parce qu’il exprime la prétention du libéralisme à accorder les intérêts particuliers.

Le candidat des optimistes face aux révoltés

L’histoire nous montre que c’est avant tout ceux qui possèdent le capital qui profitent en premier de l’abolition des obstacles. Jean-Claude Michéa rappelle que le capitalisme s’est toujours étendu sous le drapeau des droits de l’homme. En d’autres termes, les capitalistes parviennent toujours à faire d’une liberté commune un avantage dont ils tirent profit financier, réduisant cette liberté initiale à un artifice vidé de son essence et de son but.

Ainsi, l’abolition des frontières, perçue comme un progrès et une liberté pour les peuples, devient un outil puissant de développement économique pour le développement du capital, notamment grâce aux délocalisations et à l’exportation.

La vision conciliatrice et bien intentionnée de Macron plaira aux optimistes qui ne veulent que le bien pour autrui. Néanmoins, le socle philosophique sur lequel il repose induit irrémédiablement une trajectoire tendant vers l’individualisme, l’accumulation et la concentration du capital. En dernière instance, comme l’Histoire l’a démontré, ce sera toujours ceux qui détiennent les clés du marché (lieu désormais central des relations humaines) qui dicteront la politique.

Cette vision candide explique pourquoi Macron réussit la prouesse d’être à la fois le candidat le moins clivant, le plus consensuel et à faire croire qu’il est antisystème. Il s’adresse aux optimistes, aux bien intentionnés. À ceux qui ne perçoivent de la logique libérale que les aspects positifs sans à en subir les contraintes.

Macron, le candidat des candides

Le 25 avril, Libération présentait un sondage sur les votants du premier tour. Le profil des macroniens est clair : optimistes, considérant que leur situation dans la société s’est améliorée (contrairement aux électeurs des autres candidats), ayant une vision positive de la mondialisation et faisant majoritairement partie des cadres et des professions intellectuelles supérieures. Les révoltés votent pour les candidats les plus clivants et proposant des solutions plus tranchées.

L’information la plus intéressante est celle du choix par conviction. Le sondage présente la nature du vote pour les électeurs de chaque candidat. On se rend compte que, contrairement aux autres « gros candidats » dont les votes par défaut représentent entre 15 à 20 %, 41 % des votes pour Macron sont par défaut.

Mieux vaut avoir un Macron qu’une Le Pen comme voisin

En plus d’être le candidat des candides, il est désormais, pour la caste médiatico-politique, le rempart au retour des heures les plus sombres de notre Histoire. Opposé à Marine Le Pen, Emmanuel Macron se retrouve à la tête du front républicain pour empêcher « le fascisme » d’arriver au pouvoir. Lors du débat de l’entre-deux-tours, la candidate du Front national hystérique et très agressive a rétabli l’évidence : il vaut mieux avoir un Macron qu’une Le Pen comme voisin.

Ainsi, du PCF aux Républicains, du MEDEF à la CGT, tous appellent à faire barrage au FN. L’injonction sonne comme une évidence et s’abstenir équivaudrait à collaborer, d’une certaine manière, avec le nazisme. Devant l’épouvantail FN, la victoire d’Emmanuel Macron est d’ores et déjà acquise. Malheureusement, une fois de plus, la logique marchande continuera et sera toujours En Marche !


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Louis Alidovitch est écrivain, auteur de l’essai La Barbe qui cache la forêt (Editions Thésée, 2015).

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