Société de notables, société équitable

Je me glisse dans le personnage de Sahl fils de Saâd, que Dieu l’agrée, pour qui tout moment passé avec le Prophète (paix et salut sur lui) est un moment précieux. C’est un moment qui passe aussi rapidement que les autres, sans ralenti, sans effets spéciaux, sans aucune musique de fond qui alerte de la gravité du moment, mais tel un parfum de marque, son emprunte résiste au temps et domine nos souvenirs.

Ce jour-là, il n’y avait pas d’introduction particulière pour attirer l’attention et figer les regards, comme si au plus près du Messager de Dieu, paix et salut sur lui, tous les moments, même les plus anodins, étaient exceptionnels. Un événement des plus banals attira l’attention du Prophète et attisa l’espoir d’assister à une séquence flamboyante de sagesses et d’enseignements… Non ! Je crois plutôt que le Messager voulait passer un message mais veillait que la bonne circonstance arrive.

Alors, rapporte Sahl, quelqu’un passa devant le Prophète, paix et salut sur lui, qui dit à un homme assis près de lui : « Que penses-tu de cet homme ? »

En présence du Messager de Dieu, on ne pense point que le choix de l’interlocuteur soit un hasard.

La réponse de l’interlocuteur fut sans surprise. L’homme exprima à haute voix ce que quiconque aurait pensé. « Il fait partie des notables », répond l’homme sans détour. « Par Dieu, poursuit-il, il mérite qu’on lui donne la main de toute femme qu’il demande en mariage, et s’il intercédait, il serait digne d’être entendu. »

Le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, ne donna aucune suite à cette réponse.

« A suivre ! » me suis-je dit. C’est beaucoup trop banal pour que l’histoire s’arrête là. Ce temps de silence prophétique ressemble à un temps de maturation plutôt qu’à un simple consentement. L’assise continue comme si de rien n’était. Les plus avisés restèrent alertés pour capter la suite lorsqu’elle arrive.

Puis vint à passer quelqu’un d’autre. Le Messager de Dieu (paix et salut sur lui) dit à son compagnon : « Que penses-tu de celui-ci ? » Encore une fois, la pensée dominante revient à la charge sans nuance. « Ô ! Messager de Dieu! » Dit l’homme, visiblement croyant, « voilà quelqu’un appartenant aux pauvres des Musulmans. Il mérite qu’on lui refuse la main de celle qu’il demande en mariage, qu’on n’accepte pas son intercession et, s’il parlait, qu’on n’écoute point ce qu’il dit ».

L’identité de cet interlocuteur modèle, à qui le Prophète adressa ses deux questions, commence à se clarifier. C’est probablement quelqu’un qui malgré sa foi en Dieu et Son Messager, est toujours imprégné de codes sociaux hérités de son passé préislamique. D’ailleurs, plusieurs Arabes ne voyaient en la prophétie qu’une forme de royauté. Il est de bonne foi mais toujours victime d’un héritage sociétal fondé sur la concentration du pouvoir entre des privilégiés qui établissent l’ordre social.

Comment le Prophète procédera-t-il, dans ce cas précis, pour changer cette mentalité bien enracinée ?

« Cet homme (le pauvre), conclut le Prophète, est préférable (pour Dieu) à la Terre entière peuplée de gens comme celui-là (le notable). » Fin du récit.

Le Prophète (paix et salut sur lui) s’appuie sur la certitude de la foi en Dieu et en Son message, pour introduire un ordre de valeurs compatible avec la justice et le partage, et compatible aussi, pour un croyant, avec son avenir dans la vie dernière.

L’ordre des notables est, à terme, verrouillé et déterministe dans son évolution, qu’il ne peut produire sa propre réforme. La vie terrestre coupée de Dieu se plie inéluctablement et progressivement à un ordre social de notables dominants qui s’approprient les pouvoirs et les richesses au détriment d’une majorité démunie et exploitée. Cet ordre étouffe tous les humains bien qu’ils aient un sentiment de puissance ou qu’ils se croient mieux lotis que ceux en bas de l’échelle.

Par le biais de la foi en Dieu, le Prophète (paix et salut sur lui)  introduit un ordre qui soulage la pression et aère la société. C’est l’ordre de la vie dernière où l’homme qui pesait beaucoup risque de peser moins que l’aile d’une mouche.

Voici pour finir le récit entier :

Sahl Ibn Sa’d Asâ’idi, que Dieu l’agrée, a dit : « Quelqu’un passa devant le Prophète, paix et salut sur lui, qui dit à un homme assis près de lui : « Que penses-tu de cet homme ? » L’autre dit : « Il fait partie des notables. Par Dieu, il mérite qu’on lui donne la main de toute femme qu’il demande en mariage, et s’il intercédait, il serait digne d’être entendu. » Le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, ne dit rien. Puis vint à passer quelqu’un d’autre. Le Messager de Dieu dit à son compagnon : « Que penses-tu de celui-ci ? » Il dit : « ô Messager de Dieu! Voilà quelqu’un appartenant aux pauvres des Musulmans. Il mérite qu’on lui refuse la main de celle qu’il demande en mariage, qu’on n’accepte pas son intercession et, s’il parle, qu’on n’écoute pas ce qu’il dit ». Le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, dit alors : « Cet homme est préférable à la Terre entière peuplée de gens comme celui-là (le premier). » (Rapporté par Bukhari et Muslim)

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