Comme un dernier tiers de la nuit, quelque part sur terre

Dans une cacophonie intermittente, à l’image de mon sommeil, j’ai réchauffé le nième biberon de cette nuit, langé deux fois, bercé pendant des minutes sans fin mes chers et tendres enfants, et voilà c’est déjà l’heure de se lever, c’est déjà l’heure, je l’espère, de s’élever…

Après quelques prosternations, la magie opère : le cœur s’ébranle, l’âme célèbre la rencontre intime avec son Seigneur. La communauté des hommes, visibles et invisibles, s’apprête, cette semaine, à accueillir le mois de Ramadan, cet invité opportun qui pénètre nos foyers pour y bouleverser tout repère installé. Il me reste quelques minutes avant la prière de l’aube, et quelques jours avant Ramadan …

Je saisis du papier qui traînait par là (une vieille liste de courses), un crayon, et au verso de cette énumération consumériste, j’écris une autre liste, celle conseillée à Abou Darr : « Approvisionne-toi car le voyage est long, et l’Observateur est très pointu. » C’est alors que mon cœur se promène dans les crayons de ce grand magasin de la mémoire, pour surtout ne rien oublier. Je me remémore toute une année… de Ramadan à Ramadan… que s’est-il passé qui puisse remplir mon sac de provisions ? L’heure est donc au voyage …

Je griffonne quelques notes, quelques souvenirs qui apparaissent sur le papier comme des bribes sur un carnet de voyageur, comme les fameux « papillons fugitifs» chers à Ibn El Jawzi dans sa pensée vigile, ou encore comme ces « illuminations » que nous conte Aïd el Qarni dans sa littérature. Une année est passée…

Souvenir N°1 : Quand l’être cher meurt et part rejoindre son Seigneur.

Un être cher à mon cœur est mort. Mais en fait, c’est moi qui suis morte et lui, est en vie. Bienheureux celui qui planifie pour sa mort, plus que pour sa vie. « Notre vie est une opportunité, nous sommes tous encore de ce monde, profitons-en pour aller jusqu’au bout dans la grande joie », ai-je entendu un jour. Soyons tous des opportunistes du souffle de vie que Dieu a déposé en chacun de nous. Chaque seconde de ce mois béni sera mon opportunité pour retrouver Dieu.

Souvenir N°2 : Toutes ces assises de la foi lors desquelles mes sœurs et mes frères en Dieu ont murmuré, çà et là, une psalmodie à peine articulée.

Et c’est cet unisson des voix de chacun qui continue de chanter dans mon cœur. C’est un chant à la fois collectif, parce que nous incarnons tous ensemble un seul et même corps, une seule et même lecture. Et c’est aussi un chant individuel, parce que chacun d’entre nous, offre sa lecture personnelle au Tout- Puissant. Puisse Dieu me faciliter sa lecture et son apprentissage lors de ce mois béni, au point de faire du Coran mon compagnon et mon conseiller.

Souvenir N°3 : Episode d’un accouchement dans toute sa dimension spirituelle.

Lorsqu’un bébé vient au monde après de longs mois porté par sa Maman, il convient, juste avant la mise au sein maternel, de revivifier une sunna : « at-tahnik » (imbiber l’intérieur des joues de Bébé, du bout du doigt, avec le côté sucré contenu dans une datte). Bébé, alors requinqué par ce glucose énergisant, pourra alors se détendre au sein de Maman lui ayant préparé un lait aussi riche que mystique mijoté pendant toute une grossesse. Or le jeûneur se délectera du même menu chaque soir au moment de la rupture de son jeûne : quelques dattes, et un peu de lait ou de l’eau. On observe donc qu’aux premières heures de la vie, le nourrisson bénéficie de la même subsistance « rizq » que le jeûneur aux premières heures de la nuit. Le jeûneur se verrait-il lavé de ses péchés au point de renaître à chaque rupture de jeûne, aussi vierge et pur que tous les nourrissons ? J’en conclus que chaque jour de Ramadan qui passe célèbre la vie, la vraie. Seul Dieu Se réserve le secret de la récompense des jeûneurs, on peut néanmoins spéculer sur ce parallèle. Que Dieu me lave de tous mes péchés en ce mois béni.

Souvenir N°4 : Quand l’âme s’affranchit du corps par la souvenance de Dieu « dikr ».

Le mois de Ramadan, c’est le mois des vraies libertés, celles de l’existence. Le corps, qui toute l’année est aliéné par les besoins primitifs et pourtant licites (le manger, le boire, le besoin de s’accoupler), se retrouve le temps d’un mois seulement, face à sa dimension la plus existentielle qui soit. Relégué au second plan, le corps laisse alors toute la place à l’âme pour s’épanouir.

N’ayons pas peur de revisiter et de jouir pleinement de ces libertés, car ce sont celles-là mêmes que nous connaîtrons dans la proximité de Dieu, non pas pour un mois seulement, mais pour l’éternité… Les lois de la physique capitulent face aux lois de la mystique. La dictatrice gravitée qui attire tous les éléments vers le bas ne maîtrise plus rien. Et mon cœur répète inlassablement la parole bénie…

Que Dieu libère mon âme de tous ses carcans en ce mois béni.

Un commentaire

  1. Très belle plaidoirie en faveur de la liberté spirituelle : l’âme contemplatrice d’une révélation divine à continuellement explorer… Au travers de Notre Créateur, dont le début et la fin sont étrangers… Que Sa Gloire et Sa Louage soient consacrées pour cette Éternité divulguée…

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