Le Projet éducatif de l’enfant : scolarité, parascolarité

Comment les parents peuvent-ils donc maîtriser leur style éducatif lorsqu’ils l’ont choisi ? Comment garantir sa cohérence face à toutes ces évolutions ? Et comment ne pas étouffer la fitra de l’enfant ? Comment lui permettre de se construire une personnalité forte de musulman attaché à Dieu et ainsi d’homme ou de femme débordant d’humanité et citoyen dans son monde ?

Chaque enfant est rapidement amené à fréquenter l’école durant une grande partie de sa journée. L’école joue alors un grand rôle dans son éducation, en tant que lieu de rencontres avec des adultes qui seront pris pour modèles du fait de leur position, lieu de rencontres d’autres enfants que l’on côtoiera et lieu d’apprentissages. La vie de l’enfant est aussi rythmée par ses loisirs extra-familiaux.

 

Or, les parents et les professionnels trouvent l’éducation des enfants difficile à assumer, et ont qui plus est du mal à se comprendre les uns des autres. Cela peut s’expliquer par l’historique de l’école en France. Au début du 20e siècle, l’école républicaine s’adressait à une certaine élite et tenait les familles et les problèmes sociaux à l’écart. Dans les années 60, le pourcentage d’enfants scolarisés a nettement augmenté. La sélection ne se faisait donc plus avant, mais durant la scolarité, et c’est à cette période qu’un phénomène massif apparaît : l’échec scolaire. Aujourd’hui, les enseignants n’arrivent pas toujours à gérer l’hétérogénéité des groupes d’élèves qu’ils ont en charge ; et les familles, face à la concurrence, se mobilisent et s’impliquent dans le domaine scolaire.

 

Chaque famille veut tout mettre en œuvre pour que ses enfants réussissent, d’autant plus que désormais en occident les femmes ont moins d’enfants. Mais ces enfants vont être source de déception dès lors qu’ils ne satisferont pas aux attentes énormes de leurs éducateurs. On comprend là l’angoisse et les tensions que peuvent ressentir les parents. Être parent semble être devenu un métier, c’est vrai. Alors, comment peut-on assumer cette responsabilité éducative sans être paralysé par cette peur de l’échec ? Comment choisir parmi les théories existantes son style éducatif ? Les savoirs sur l’enfance sont vastes et les rayons des bibliothèques regorgent de livres de pédagogie. Ces savoirs peuvent se contredire, et de toute façon évoluent de décennie en décennie. En parallèle, la société et donc l’environnement de l’enfant se transforment à une vitesse vertigineuse.

 

Comment les parents peuvent-ils donc maîtriser leur style éducatif lorsqu’ils l’ont choisi ? Comment garantir sa cohérence face à toutes ces évolutions ? Et comment ne pas étouffer la fitra de l’enfant ? Comment lui permettre de se construire une personnalité forte de musulman attaché à Dieu et ainsi d’homme ou de femme débordant d’humanité et citoyen dans son monde ? L’enjeu est de taille, et le défi ne peut pas être relevé uniquement par les parents ; puisque l’enfant se développe dans un environnement plus large que sa famille, dans la société. Les parents vont devoir déléguer une partie de leur pouvoir éducatif à des professionnels. Mais c’est à eux de faire les choix qui conviennent pour leur enfant.

 

Et il s’agit toujours de dépasser les obstacles. S’ils viennent de nous, nous devons changer. S’ils viennent de l’environnement, de la société ; alors il faut la compléter également. Les chantiers sont gigantesques, mais il faut se mettre au travail et bâtir…

 

Dieu nous encourage, dans la sourate « la cité » (el balad) notamment, à braver les difficultés pour les surmonter, en fournissant tous les efforts possibles. Notre participation ne doit alors pas se limiter à ce qui existe déjà ; il faut pousser les murs, innover dans les limites de Dieu dans les domaines qui nous importent, assumer nos missions en participant de manière positive, constructive, organisée, prenant en compte ce qu’est l’enfant et le milieu dans lequel il grandit.

 

Je n’appelle pas là à l’enthousiasme mais à l’endurance. Il faut d’abord que cette participation se réfléchisse, puis qu’elle se construise, qu’elle s’organise, qu’elle s’évalue, qu’elle se réajuste. Voilà le défi à relever pour rendre notre mission éducative plus facile. Facile ne veut pas dire qu’il y a moins de travail à faire ; cela signifie que la bataille a enfin un sens, une stratégie et une issue possible avec l’aide de Dieu.

Au sein de la famille

Cela doit d’abord s’appliquer au niveau familial, par la construction d’un projet éducatif pour chaque enfant. Voilà un PREMIER CHANTIER. Ce projet, qui sera le fruit d’un véritable dialogue avec l’enfant, ne sera constructif que s’il propose à la fois l’enracinement de l’enfant dans la terre fertile du Coran et de la tradition du dernier Prophète (BSL) et le rayonnement de cet enfant dans son milieu de vie, la société française, au travers de sa vie quotidienne.

 

Il s’agit aussi d’apporter à d’autres échelles des alternatives pour remédier aux difficultés de la communauté musulmane. D’abord, comment aider les parents à choisir leur style éducatif ? Et comment apaiser les angoisses ou les tensions présentes au sein des familles ? « L’École des Parents », association reconnue d’utilité publique, propose des permanences téléphoniques pour les parents, grands-parents et jeunes ayant des difficultés ; ouvre des lieux où les parents participent à des cercles de paroles ; édite des livres et une revue et met à disposition d’autres ouvrages encore.

École des parents

Dès lors, on peut tout à fait profiter de cette structure. Mais pourquoi ne pas envisager de mettre en place une structure analogue qui serait proposée par des musulmans ? Voici un DEUXIEME CHANTIER. Il y aurait alors un double avantage : s’adresser à des personnes compétentes et trouver un espace d’apaisement par le conseil avisé de musulmans. Des parents sont prêts à réapprendre leurs tables de multiplication pour mieux assurer le soutien scolaire de leurs enfants. Nous pourrions aussi réapprendre à revenir vers Dieu et à s’attacher aux enseignements prophétiques après avoir été conseillés, dans ce même but.

 

Un point crucial pour les parents est ensuite de choisir à l’intérieur du projet individuel de leur enfant le moyen de l’instruire. Certaines écoles sont particulièrement source d’inquiétude pour les parents musulmans du fait de la démobilisation des enseignants, de la violence, de la délinquance… Certains tentent d’obtenir une dérogation, d’autres de déménager pour que leurs enfants accèdent à une école publique mieux réputée. Un autre recours est de scolariser son enfant dans une école privée, dans l’espoir d’un meilleur suivi en termes d’instruction et d’éducation. Souvent, un certain conservatisme garantit le niveau d’exigence de ces écoles.

 

Dans ces deux cas de figure, les parents peuvent apporter une pierre à l’édifice au travers des associations de parents d’élèves ou des activités organisées au cours de l’année. La plupart du temps la communication est encore trop institutionnalisée, mais ils pourront dans une certaine mesure assurer une co-éducation avec l’équipe pédagogique de l’établissement. L’accompagnement parental doit aussi passer par des discussions fréquentes avec leur enfant autour de ce qu’il vit et apprend dans cette structure. Et les parents musulmans qui font ce choix sont conscients que l’école laïque n’assure pas l’éducation religieuse, et s’appuient donc souvent en complément sur des structures où, pendant le temps des loisirs, des éducateurs musulmans prennent le relais.

 

Mais l’école laïque correspond-elle au style éducatif de tous les parents musulmans ? Marginalement mais de plus en plus, des parents musulmans choisissent une troisième voie, celle de déscolariser leurs enfants. Cette solution venue d’Amérique du Nord est reprise en France par des parents ayant des ambitions en termes d’instruction et d’éducation dépassant l’école telle qu’elle est. Ils prennent alors en charge ces domaines au sein de la famille.

École privée

Les parents musulmans déscolarisant leurs enfants faute de structures adaptées à leurs attentes, ces structures restent à construire ; voilà un TROISIEME CHANTIER. D’autant plus qu’assumer seul l’instruction et l’éducation de son enfant n’est pas facile, et a en outre l’effet néfaste de le couper du monde, y compris des autres enfants ; alors que sa socialisation, son apprentissage à vivre avec les autres, passe par le fait de grandir auprès d’eux, et qu’arrivé à un certain âge il a besoin d’autres modèles vivants que ses parents pour se construire.

 

Pour éviter cet enfermement, de plus en plus de parents musulmans (ayant fait ou non le pas de déscolariser leur enfant) demandent une alternative à l’école classique. Une institution musulmane, en continuité et valorisée par la famille, véhiculant les enseignements coraniques et prophétiques, où l’on peut côtoyer une bonne compagnie, et propice à une bonne scolarité et plus largement à la formation de citoyens modernes, bons, ouverts, actifs et confiants en eux car construits en toute cohérence avec leur nature, la nature humaine, la fitra. Cette école ne serait alors pas un ghetto mais une structure permettant aux enfants de s’épanouir dans le monde en développant l’échange, l’analyse, le sens critique et le positionnement en tant que musulmans réfléchis.

 

Il est avantageux de combiner les richesses de l’Éducation Nationale, celle des organismes alentours et la nôtre. Un exemple serait un cours de chimie durant lequel les enfants apprendraient ce qu’est la molécule de l’eau, composée d’atomes d’oxygène et d’hydrogène. L’oxygène et l’hydrogène sont ici combinés pour nous offrir un bienfait source de vie, alors que l’oxygène et l’hydrogène mis en présence en tant que tels s’enflamment. En regardant au-delà du fait que les hommes ont pu découvrir ces merveilles utiles, on soulignera que Dieu par Sa science nous offre Ses bienfaits.

 

Aborder un programme avec cette sensibilisation, cette ouverture, permet un enrichissement spirituel conséquent. Par ailleurs, on éliminerait ainsi un facteur important de la perte du goût d’apprendre et donc de l’échec scolaire : le fait de considérer les savoirs comme déconnectés les uns des autres et sans finalité, n’amenant pas forcément à la réussite. Enfin, l’institution en elle-même éviterait aux élèves de devoir gérer en parallèle de leur scolarité des conflits avec ou au sein de l’établissement (voile pour les jeunes filles, racket,…).

 

Tout cela permettrait de relever le défi qui est de développer chez nos enfants les compétences nécessaires et reconnues qui leur permettront non seulement de s’adapter à la vie active mais aussi de cheminer vers Dieu, car c’est vers Lui que nous retournerons. Voilà pour le champ scolaire qui est le moyen, le plus solide a priori, de compléter le modèle familial. Mais le fait est qu’actuellement, les quelques pionniers qui se sont lancés dans ce troisième chantier ne peuvent pas répondre à la demande de plus en plus forte des familles musulmanes.

 

Le parascolaire

Reste le domaine du parascolaire. Les parents musulmans sont parfois insatisfaits de ce qui existe pour l’instant. Des alternatives pourraient voir le jour si nous nous y efforçons, sur des bases saines et solides toujours. J’évoquais les enseignements religieux transmis durant ce temps des loisirs, souvent au sein des mosquées. Cela a son importance et je souligne le mérite qu’ont les personnes dévouées à la cause de Dieu qui y travaillent. Mais on peut, au-delà de ce concept de « l’école du week-end », envisager un QUATRIEME CHANTIER. C’est la mise en place de véritables centres de loisirs où les enfants ne recevraient pas seulement des savoirs mais s’épanouiraient spirituellement, physiquement et intellectuellement à travers des activités réellement ludiques.

Les productions littéraires

Je pense par ailleurs au domaine littéraire. Un CINQUIEME CHANTIER est d’ores et déjà ouvert. Des maisons d’édition fondées par des musulmans ont pris l’initiative de raconter aux enfants les histoires des prophètes ou des contes à la belle morale. C’est à encourager, car c’est un moyen important d’apprentissage. Hélas, certains éditeurs oublient que le livre n’est pas seulement un message mais une manière de le transmettre ; c’est un vecteur de culture. Un effort est donc à faire pour réunir les compétences nécessaires à ce que ces ouvrages ne soient pas truffés de fautes, et à ce qu’ils soient véritablement adaptés à l’âge des enfants qu’ils sont censés cibler.

L’audiovisuel

La télévision, également, appartient au quotidien de la plupart des enfants de notre communauté, et m’incite à proposer un SIXIEME CHANTIER. Il est important pour nous de trouver une alternative à la déferlante de dessins animés, émissions et films violents, vulgaires et/ou véhiculant un état d’esprit superficiel et abrutissant. On manque de scénarios pouvant permettre à nos enfants d’acquérir plus de valeurs et plus d’humanisme.

Non à la logique de rupture

Je ne suis pas en train de prôner un changement radical de la société où des enfants passeraient d’une famille ne parlant que d’islam, à une école ne parlant que d’islam, à des loisirs n’évoquant que l’islam… dans un esprit communautariste et enfermant. Au travers de la vie familiale, la vie scolaire et les loisirs, nos enfants doivent au contraire pouvoir appréhender le monde qui les entoure dans sa globalité. Il s’agira donc pour tous ces acteurs de leur faire connaître cette vision vraie de l’islam. Ce que j’ai pu évoquer n’est qu’un complément de ce qui existe, et cela reste aux parents de choisir d’avoir recours à l’un ou à l’autre de ces outils.

 

Il me semble important que nous investissions plus les champs existants, mais aussi de nouveaux champs, parce que malgré la forte proportion de musulmans en France beaucoup reste à organiser pour eux. Mais il ne s’agit pas d’imputer la faute à la société : c’est aux musulmans de se doter des moyens, en s’appuyant sur ce que leur environnement leur propose, d’atteindre avec l’aide de Dieu leurs objectifs. Seuls quelques ambitieux s’investissent dans le domaine de l’éducation des enfants. Aussi est-il à la fois important de concentrer les énergies pour les aider à pérenniser et développer leurs projets, et d’investir de nouveaux terrains afin d’offrir à plus de parents musulmans l’opportunité d’avoir un véritable choix quant aux outils éducatifs qu’ils pourraient utiliser.

Conditions

Pour ceux qui souhaitent mettre en œuvre un projet, trois points doivent être réfléchis. D’abord, quels en sont les OBJECTIFS ? Bien sûr, le premier objectif d’un musulman ou d’un groupe de musulmans doit être de plaire à Dieu. D’après Boukhari et Moslim, il est rapporté que notre Prophète bien-aimé (BSL) a dit : « Les actes ne valent que par leurs intentions… ». Il faut donc travailler à avoir les meilleures intentions avant même de se regrouper. Quant à l’objectif précis propre au projet, il doit être partagé par toutes les personnes investies.

 

Le deuxième point est celui des MOYENS. L’ampleur du projet et des moyens à réunir ne doit pas arrêter les musulmans sincères. Il faut bien sûr être « réaliste », mais cela signifie pour des musulmans devoir considérer qu’une large part de ce qui adviendra de leur projet ne dépend pas d’eux : Dieu ouvre ou ferme les portes selon nos intentions ou bien pour nous éprouver. Il s’agira donc de se montrer patients et confiants en notre Seigneur, de Lui demander au travers de la prière de la consultation et de la prière du besoin et de continuer d’agir dans la concertation et la fraternité.

 

Enfin, en troisième point, quelles sont les COMPETENCES ET MOYENS HUMAINS que l’on envisage de réunir ? Quelques compétences sont indispensables pour tout projet pour Dieu : avoir le souci de Lui plaire et d’obtenir Sa miséricorde, apprendre à travailler ensemble selon le modèle des compagnons du Prophète (BSL), travailler sur soi afin de perfectionner sa foi et notamment d’acquérir la sagesse pour être toujours de meilleurs modèles,… Et ici, les compétences intellectuelles et pédagogiques sont également nécessaires.

Conclusion

En conclusion, il existe au sein de la communauté musulmane des demandes, mais aussi des compétences pouvant permettre d’y répondre. Qui acceptera alors de lutter pour Dieu et le bien de notre communauté ? Nos enfants font partie de nos actions, dont nous sommes responsables, comme l’indique cette parole du Prophète Mohammed (BSL) qui a été rapportée par Moslim : « Lorsque le fils d’Adam meurt, tous ses actes s’interrompent à l’exception de trois : une aumône courante, un savoir qui lui est bénéfique et un enfant qui lui invoque Dieu. »

 

Le meilleur conseil que je puisse donner est de demander à Dieu. Demandez-Lui notamment, en ce qui concerne notre souci commun que sont les enfants, que nous soyons de bons modèles pour eux, que Dieu fasse que nous leur transmettions tout ce qu’il y a de bien en nous, qu’Il nous aide en ce qui concerne le long travail qu’il nous reste à faire sur nous-mêmes, qu’Il nous récompense pour nos efforts, et qu’Il nous donne ainsi qu’à nos enfants les plus belles récompenses dans l’Au-Delà.

 

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