Le couple, une affaire possible

Le couple est la cellule fondatrice de l’Humanité et génératrice de la société. Lié par les liens du mariage, il constitue l’unité fondamentale de la société musulmane. Bien que très petit en dimension matérielle on y retrouve la trace du relationnel humain sous ses différents aspects.

Dans un souci pédagogique nous décomposons les impacts subis par l’entreprise du couple sur trois dimensions. D’abord le contexte, l’héritage du passé et la culture, puis le caractère individuel.

Le contexte

Le statut du couple dans son contexte social se trouve parasité par d’autres formes d’unions et par la mise à mal de la vieille institution du mariage en encourageant les relations extraconjugales. Souvent, même chez les musulmans, on préfère passer par une période probatoire, perçu comme telle, avant de signer un mariage à la mairie, acte jugé trop conséquent et compromettant pour la liberté individuelle. On fait alors appel à un « Taleb » qui effectue la démarche légale du mariage musulman sans pour autant se soucier de la plateforme juridique sous-jacente nécessaire, à savoir, une autorité qui garantit les droits civils. La pratique du mariage se trouve alors tronquée car estropiée de son socle juridique. Les mariés conçoivent ainsi le mariage légal comme un pseudo mariage qui légitime les relations sexuelles sans engagement aucun, direct ou indirect. Ce qui est, vraisemblablement, contraire à l’esprit de la législation musulmane.

Elaborer un climat, ou un microclimat, social favorable au mariage serait un moyen pour éviter la dislocation de cette unité sacrée. Il s’agirait alors de fournir le travail participatif nécessaire dans son contexte et au sein de sa communauté.

L’héritage du passé et  la culture

Le couple subi dans son intimité l’héritage du passé arabo-musulman et l’incidence du contexte social actuel où l’injustice, subtile et moins subtile, envers les plus faibles est prépondérante.

En effet, plusieurs problèmes, qui se posent au niveau communautaire sur les relations homme-femme et sur la position de chacun dans l’échelle des responsabilités au sens coranique, restent aujourd’hui sans réponse satisfaisante. Les réponses données sont des prolongements tacites de situations vécues par un passé despotique et qui ne doivent plus faire jurisprudence à l’heure du renouvellement de la foi et de la participation.

On ne peut pas demander à un couple, sauf par grâce divine, d’équilibrer un relationnel défaillant à un niveau qui le surpasse largement. On ne peut demander à un couple de résoudre des problèmes qui submergent la communauté des un milliard de musulmans.

Au sein d’un couple, il est intelligent de distinguer ce qui relève des affaires intimes et ce qui relève des affaires communautaires. Cela permet de mesurer et d’évaluer les difficultés et les avancées sur les différentes questions  par des mesures adéquates.

Il en est de même pour les cultures d’origine des mariés. Il est inconcevable de charger le couple de combler le fossé entre deux cultures en déphasage. Souvent, l’assimilation de l’un des mariées dans la culture, voire dans la famille de l’autre, vient éviter le divorce.

Afin de mieux immuniser le mariage sur ce plan, la recherche de la bonne compagnie qui unifie les repères, les critères de considération et la vision des choses peut être d’un soutien remarquable. Les mariées se libèrent progressivement du poids des traditions et des cultures respectives et se référent à un  modèle unique.

Les caractères

Certains mariages se font sur la base de rapprochements physiques et intellectuels. D’autres se font sur la base d’un travail commun sur le terrain associatif ou professionnel. Le caractère intime de chacun reste là une inconnue décisive. Les liens essentiels de cordialité mutuelle, de clémence et de miséricorde cités dans le Coran ne s’en trouvent pas garantis.

Quoique prises, les précautions du bon choix qui se base sur la raison et la prière de consultation, ne dispensent pas du travail que l’on doit faire sur soi à l’intérieur et à l’extérieur du couple. A défaut, l’ego s’enfle d’orgueil et blesse. On aura beau expliquer les devoirs et les droits de chacun, rien ne s’arrangera car chacun entendra profiter de ce qui lui est dû sans respecter ses propres engagements.

La solution ici est bien l’éducation spirituelle : la bonne compagnie, la présence à Dieu et la résolution ferme et renouvelée de quitter les mauvais caractères et acquérir l’ensemble des affluents de la foi. En effet, le caractère propre à chacun est la clé de voûte permettant d’entamer avec succès les différents défis qui se posent au couple.

« Le pacte grave »

C’est ainsi que Dieu, Exalté, qualifie le mariage dans la sourate « Les femmes » : « … Et comment le feriez-vous, quand vous avez accédé l’un à l’autre, et qu’elles ont reçu de vous un si grave engagement ? »

Respecter le « pacte grave » ou le rompre est un choix lourd de conséquences.

Ce qualificatif est réservé en dehors du mariage à deux autres pactes qui lient Dieu et certains de ses serviteurs. D’une part, les cinq messagers dits « Ouloul ‘Azm », à savoir les prophètes Mohammed, Noé, Abraham, Moise et Jésus, paix et salutations sur eux, et d’autre part, les fils d’Israël, peuple de Moise.

Les premiers ont respecté leurs pactes, l’ont honoré et donc ont mérité la proximité intime de Dieu. (1)

Les autres l’ont rompu par des actes répréhensibles (2) et ont mérité la colère divine dont un cœur dure et un détournement de la parole de Dieu (3).

Bien que le pacte du mariage se fasse entre deux humains, le qualificatif « grave » laisse penser qu’une rupture ou un manque de respect à celui-ci entraînerait des conséquences sévères sur l’état du cœur et une aggravation des  difficultés à cheminer. Combien de frères et de sœurs ont été freinés dans leur cheminement par l’état de leurs couples et combien ont été préservés et soulevés grâce à la bonne compagnie et à la vertu au sein de leur couple. La vertu n’est elle pas autre que le bon comportement et la bonne morale (Husnou al Khoulouq) ? Le prophète, paix et salut sur lui, ne dit-il pas : « La vertu est la bonne morale. » (4). Le mariage respectueux de l’étique prophétique n’est il pas un affluent de la foi ?

Une nouvelle épreuve

Célibataire, on a pu passer plusieurs épreuves. On a pu soigner sa relation avec les autres dans le cadre de l’amitié ou de la parenté. Au sein du couple, c’est un nouveau relationnel qui doit être soigné : la vie conjugale. Les serviteurs du Miséricordieux décrits à la fin de la sourate « Le discernement » sont des gens mariés hommes et femmes.

Le mariage se présente ainsi comme une nouvelle étape dans le cheminement. De ce fait c’est une joie et un bienfait qui, comme tous les bienfaits terrestres, renferment des épreuves qui ouvrent un chemin vers de meilleurs degrés pour celles et ceux qui les réussissent.

Contrairement à ce que peut penser une personne à la recherche d’une âme sœur, la joie du mariage purifiée de toute épreuve existe uniquement au paradis.

Dans la vie et dans la Vie

L’union par le mariage se prolonge dans la vie dernière où les époux croyants se réunissent. Dieu dit « Vous qui avez cru en nos signes et étiez soumis, entrez au Paradis réjouis ainsi que vos épouses. » (5). Oum Dardâ, une femme musulmane du temps des successeurs se maria avec Abou Dardâ, un compagnon du Prophète. Après quelques temps, Oum Dardâ redemanda son époux en mariage. Etonné, il lui rappela qu’ils étaient déjà mariés. Son épouse précisa alors que cette fois-ci c’est elle qui le demandait en mariage pour la vie future. Une fois Abou Dardâ décédé, Oum Dardâ s’abstint de se remarier sachant que l’épouse est pour son dernier époux au paradis. (6)

De même, notre mère Aïcha, que Dieu l’agrée, demanda un jour à son bien-aimé le Prophète, paix et salut de Dieu sur lui, à propos de la vie dernière : « Le bien-aimé se souviendra-t-il de son bien-aimé le jour dernier ?… » (7)

Ces différents textes relatifs au Prophète, paix et salut sur lui, et aux compagnons, révèlent que la conception du mariage en islam n’est pas une conception terrestre. On choisit son épouse ou son époux  essentiellement pour la vie dernière. C’est une subtilité qui ne concerne d’ailleurs pas uniquement le mariage, mais bien tous les choix. Car dans l’intellect du croyant, les deux demeures, présente et future, doivent être présentes.

Déclarations d’amour

Amr Ibn al ‘As, constatant que le prophète de Dieu l’accueillait toujours de la meilleure manière, songea un jour qu’il fut certainement le plus aimé du Messager, paix et salut sur lui. Il décida alors de lui poser la question indirectement : « Quelle est la personne la plus aimée de toi, Ô Messager de Dieu ? » « Aïcha. », répondit-il.

Une réponse à méditer lorsqu’on constate le genre de discours que tiennent certains, hommes ou femmes, devant leurs ami(e)s à propos de leurs conjoint(e)s.

La suite de la discussion ne signale aucun étonnement de la part de Amr : « Je veux dire parmi les Hommes, Ô Messager de Dieu », précise-t-il.  « Son père, Abu Bakr », répondit le Prophète, paix et salut sur lui. (8)

On se demande ce qu’aurait dit le prophète, paix et salut sur lui, si ‘Amr n’avait pas fait cette précision. Peut-être, aurait-il cité une à une toutes ses épouses ?

Dans un autre Hadith, le prophète déclare solennellement, qu’il aime les parfums, les femmes et que la joie de ses yeux se trouve dans la prière. (9)

Ce sont là autant de gestes hautement significatifs clôturés par une recommandation spéciale lors de son dernier discours à la mosquée de Médine quelques jours avant qu’il rejoigne son Seigneur. « Enjoignez-vous la bonté envers les femmes » répéta-t-il, puisse Dieu prier en sa faveur, avant de demander à son auditoire de transmettre ses dernières salutations aux futurs membres de sa communauté. »(10)

Epilogue

Les concepts de l’islam se sont dégradés au fur et à mesure que l’injustice s’installait et que la participation et la spiritualité se séparaient, dénouant ainsi le nœud fondamental du modèle prophétique. Le mariage n’en est pas une exception. L’objectif du renouveau islamique est de renouer ce lien défait afin que la vie sur terre soit le début réussi d’une existence plus longue au sein de la miséricorde divine. Le projet du mariage est un projet qui comme tous les projets de notre vie doit être un champ de labour pour la vie future. Louange à Dieu qui nous a prédestinés à une existence sans peine et sans malheur dans sa proximité et sous Sa haute bienveillance. Ô Dieu, témoigne que nous attestons qu’il n’y de divinité que Toi, Exalté et Magnifié. Que Tes plus chères prières aillent en faveur de Ton bien-aimé Mohammed ainsi que tous Tes Messagers et Tes pieux serviteurs.

Grenoble, le 3 shawwal 1425, 15 décembre 2004

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(1)    Coran, Sourate 33,  verset 7 : « Lorsque Nous prîmes des prophètes leur engagement, de même que de toi, de Noé, d’Abraham, de Moïse, et de Jésus fils de Marie : et Nous avons pris d’eux un engagement solennel »

(2)    Coran, Sourate 4, versets 154-155 : « Et pour (obtenir) leur engagement, Nous avons brandi au-dessus d’eux le Mont Tor, Nous leur avons dit : “Entrez par la porte en vous prosternant”; Nous leur avons dit : “Ne transgressez pas le Sabbat”; et Nous avons pris d’eux un engagement ferme. (Nous les avons maudits) à cause de leur rupture de l’engagement, leur mécréance aux révélations de Dieu, leur meurtre injustifié des prophètes, et leur parole : “Nos cœurs sont (enveloppés) et imperméables”. Et réalité, c’est Dieu qui a scellé leurs cœurs à cause de leur mécréance, car ils ne croyaient que très peu… »

(3)    Coran, sourate 4, verset 13 : « Et puis, à cause de leur violation de l’engagement, Nous les avons maudits et endurci leurs cœurs : ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé. Tu ne cesseras de découvrir leur trahison, sauf d’un petit nombre d’entre eux. Pardonne-leur donc et oublie [leurs fautes]. Car Dieu aime, certes, les bienfaisants. »

(4)    Hadith rapporté par Muslim

(5)    Coran, sourate 43, Versets 68-69

(6)    Hadith rapporté par Tahaoui dans « mouchkal al athar »

(7)    Hadith rapporté par l’imam Ahmad dans son « mousnad »

(8)    Hadith rapporté par Boukhari

(9)    Hadith rapporté par Nasai

(10) Hadith rapporté par Boukhari et Muslim. Le sermon intégral est rapporté par Ibn Hicham dans sa biographie du prophète.

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