Prière, prétentions et témoignages

La « prétention » dans ce texte porte l’idée de s’attribuer intimement, à juste titre peut-être, un quelconque pouvoir, une quelconque force. Cela, dans la mystique musulmane, est symptomatique d’un égo toujours acéré. Car, sur la bonne voie, un mystique finit par ne percevoir que la puissance de Dieu, Exalté. Lui, sans prétention, est dans la « prière ». La prière suggère ici une façon d’implorer Dieu motivée par l’impuissance, et témoignant d’une quête vive exprimée dans l’humilité. L’on y invoque Dieu en acteur principal et déterminant, avant de se plier à l’ordonnance divine du bel-agir. On parle alors d’une présence à Dieu.

A chacun des deux états correspond un témoignage. L’état de prière est une présence à Dieu qui motive le témoignage pour Dieu et s’y ressource. La prétention est une présence à soi qui motive un témoignage pour soi, un marketing de soi, et s’y ressource aussi.

La prétention, aussi louable qu’en soit l’objet, à savoir aimer le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, s’associe à l’épreuve. Lorsqu’un homme prétendît aimer le Prophète, celui-ci lui signifia à maintes reprises de réviser ses prétentions. L’homme confirma autant, et le Prophète conclut : «Prépare de quoi prémunir ta foi contre le besoin, car par Dieu le besoin atteint celui qui m’aime plus vite que le torrent qui ruisselle de la montagne vers le fond de la vallée » [i]. L’épreuve consiste ici à donner des preuves de véracité de ce que l’on prétend[ii].

Lorsqu’elle n’est pas modérée par l’épreuve ou remise en question, la prétention se renforce. On témoigne alors pour soi pour témoigner pour Dieu. On titularise ses propres pouvoirs et forces, sciences, intentions, compétences, qui faciliteraient, disons, le cheminement vers Dieu. On autorise sa personne à focaliser un intérêt intermédiaire avant de renvoyer vers Dieu. Sauf qu’ainsi, telle une lumière à laquelle on fait de l’ombre, on a déjà perdu l’adresse de Dieu.

Les propos, du célèbre mystique AbdelKâder al-Jaylânî, qui s’apparentent à une prétention n’en relèvent point car c’est l’émanation d’une vérité, non d’un égo. « Ô hommes frivoles ! Je ne joue pas ! » Dit-il lors d’un sermon intitulé : « Ne pas disputer Son pouvoir à Dieu ». « Ô hommes futiles ! poursuit-il. Je n’ai que la substance ! J’ai une sincérité exempte d’hypocrisie, j’ai une véracité dépourvue de mensonge ».

Le Prophète Joseph, salut de Dieu sur lui, en fit autant. En temps de famine, il évoqua son savoir et son intégrité pour devenir administrateur des denrées alimentaires. « Il est du nombre de Nos serviteurs purifiés »[iii], dit Dieu, Exalté, à son propos.

Témoigner pour Dieu, être présent pour Dieu, ou encore appeler à Dieu, demandent que mon égo, épaissi par les prétentions, ne fasse pas ombre à la lumière du Message, n’obstrue pas la vue. Témoigner pour Dieu c’est offrir l’opportunité à chacun de s’exposer, sans interférences, à Sa Miséricorde. C’est un corollaire et un affluent de l’état de prière que le croyant est censé vivre dans son intimité.


[i] Cet évènement est rapporté semble-t-il à plusieurs occasions. Dans la version d’Al-Hâkim il s’agit du compagnon Abû Dharr. Dans une autre rapportée par at-Tabarâni dans « Al-Mu’jam » il s’agit d’un homme parmi les habitants de Médine qui apporta des dattes au Prophète, paix et salut sur lui, resté des jours sans manger. Dans d’autres chez at-Tirmidhî, il s’agit d’un homme sans spécifications. Le Prophète lui répéta trois fois « Rends-toi compte de ce que tu dis. » avant de conclure. Ci-dessous, la version d’Al-Hakim qui semble la plus authentique. Abû Dharr va voir le Prophète, paix et saluts sur lui, et dit « Je vous aime Ô famille du Prophète ». « Sûr ? » avise le Prophète. « Sûr », répond Abû Dharr. « Prépare un bouclier pour la pauvreté, car la pauvreté touche plus vite ceux qui nous aiment qu’un torrent qui parcours le relief du sommet vers le bas. »

7944 – عَنْ أَبِي ذَرٍّ رَضِيَ اللَّهُ عَنْهُ، أَنَّهُ أَتَى النَّبِيَّ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ فَقَالَ: إِنِّي أُحِبُّكُمْ أَهْلَ الْبَيْتِ، فَقَالَ لَهُ النَّبِيُّ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ: «اللَّهَ» قَالَ: اللَّهَ، قَالَ: «فَأَعِدَّ لِلْفَقْرِ تِجْفَافًا فَإِنَّ الْفَقْرَ أَسْرَعُ إِلَى مَنْ يُحِبُّنَا مِنَ السَّيْلِ مِنْ أَعْلَى الْأَكَمَةِ إِلَى أَسْفَلِهَا» هَذَا حَدِيثٌ صَحِيحٌ عَلَى شَرْطِ الشَّيْخَيْنِ وَلَمْ يُخَرِّجَاهُ “

[ii] Cette note se base sur l’interprétation d’Al-Kalâbâdhî dans son « Bahr al-fawâ’id ». « Cela pourrait signifier, dit-il, que tu es appelé à prouver la véracité de ta prétention en te soumettant à l’épreuve de la patience sous le joug de la pauvreté, en supportant ses dommages et en ingurgitant ses amertumes. Prépare toi donc pour cela car il en sera ainsi. »

بحر الفوائد المسمى بمعاني الأخبار للكلاباذي (ص: 84)

قَالَ الشَّيْخُ الْإِمَامُ الْمُصَنِّفُ رَحِمَهُ اللَّهُ: يَجُوزُ أَنْ يَكُونَ مَعْنَى قَوْلِهِ: «فَأَعِدَّ لِلْفَقْرِ تِجْفَافًا» أَيْ: إِنَّكَ ادَّعَيْتَ دَعْوَى كَبِيرَةً، وَمَنِ ادَّعَى شَيْئًا طُولِبَ بِالْبَيِّنَةِ عَلَيْهِ، فَكَأَنَّهُ قَالَ: إِنَّكَ مُطَالَبٌ بِصِحَّةِ دَعْوَاكَ بِالِاخْتِبَارِ لَكَ بِالصَّبْرِ تَحْتَ أَثْقَالِ الْفَقْرِ، وَتَحَمُّلِ مَكْرُوهِهِ، وَتَجَرُّعِ غَصَصِهِ، فَاسْتَعِدَّ لِذَلِكَ فَإِنَّ ذَلِكَ كَائِنٌ.

[iii] Coran, sourate Yûssuf, verset 24.

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