De cœur et de raison : sens propre ou sens figuré ?

La Révélation dévoile une vérité fondamentale sur laquelle elle revient avec force et insistance, clairement et répétitivement, et pour laquelle le Coran use de figures d’expressions métaphoriques. Cette vérité joue sur la distinction sens propre/sens figuré et consiste à présenter la raison de manière duale.

Ce que nous désignons habituellement en arabe par aql (la raison) pour définir cette aptitude commune à tous les hommes n’est pas le sens que lui donne le Coran.

 ‘Aql (la raison), tel que signifié dans le Coran est le produit d’un sens profond en l’Homme appelé qalb (le cœur). Ce ‘aql est un réceptacle pour les vérités de la Révélation. Réception qui s’effectue grâce au cœur.

Le fiqh (litt : compréhension profonde) dans le Coran est une science qui naît au plus profond de l’Homme, en son cœur.

At-Tafakkour (la méditation pieuse) est le mouvement du cœur qui contemple l’Univers à la recherche du Créateur.

Cette raison instrumentale commune aux hommes joue soit le rôle d’un instrument servant les aspirations du cœur dans son élan vers son créateur, soit celui d’un instrument de la passion mégalomane, ou de l’ego et des jouissances, ou de la philosophie et des contemplations, ou de l’exploration des éléments du créé matériel, ou pour récolter les informations à des fins déductives.

L’appareil cérébral ne trouve son accomplissement qu’au service du cœur et de ses aspirations. Un service synchronisé, connecté et raccordé ici-bas et là-bas. Ici-bas, dans l’Univers, où il partage avec l’ensemble des humains les modes d’acquisition des sciences universelles. Et là-bas, au delà des voiles de l’immatériel, derrière lesquels il ne peut prétendre à aucune connaissance s’il ne prête l’oreille au message de la Révélation.

Qalb (le cœur) est mentionné plus de cent trente fois dans le Coran. Pas une occurrence ne renvoie à l’organe de chaire qui bat dans les poitrines.

Aql (la raison) a été mentionnée cinquante fois. Pas une fois le terme n’indique l’appareil cérébral.

Fiqh (litt : connaissance profonde) a été mentionné vingt fois, et fiqr (la pensée) dix-huit fois. Et à chaque fois cela faisait référence à la fonction spirituelle du cœur.

L’acquisition des sciences universelles par l’appareil cérébral passe par la perception sensible, et notamment par le biais des instincts naturels, puis par l’intermédiaire de la logique qui prend ses sources dans les certitudes, les corrélations et autres implications.

Tandis que la raison équilibrée s’informe à travers la Révélation de ce qui a trait au monde de l’imperceptible, elle s’informe à travers les facultés communes de ce qui relève du monde matériel.

La raison qui croit en Dieu et en la Révélation sera atteinte de cécité si jamais elle ferme l’œil propre aux perceptions communes, qu’elle ne puisse apprendre de la vie, et qu’elle délaisse négligemment son instrument à la merci de la rouille. Elle se retrouvera alors dépassée par le cours des évènements et sera démissionnaire en compagnie des incapables et des impuissants.

Et ceci serait un manquement à ses prérogatives, une déformation et même une trahison du Message de la Révélation qui nous a informé que Dieu a assujetti l’Univers à nos besoins et qu’Il nous a enjoint de nous mouvoir sur terre, de la peupler, d’ y revendiquer nos droits et d’y résister.

Tout cela serait inaccessible si, par le fait de notre volonté, notre effort et notre apprentissage, nous ne faisions pas bon usage de cet étonnant instrument cérébral.

L’appareil rationnel, instrument commun à tous, s’il évacue la Révélation, se trouvera frappé d’une cécité absolue qui lui interdira d’adopter la seule vision valable sur l’échelle de l’éternité : la vision essentielle qui reconnaît les commandements divin, la Demeure Dernière et ce qui peut l’amener à la félicité ici-bas et dans la Vie Dernière.

La raison croyante sera, elle, atteinte de paralysie et d’impotence si jamais elle met en suspend l’activité d’acquisition scientifique qu’elle a à exercer aux côtés de la raison instrumentale.

La raison aveugle se détournant de la Révélation perd pied, se perd et ne retrouve plus son chemin vers la seule vérité considérée sur l’échelle de l’éternité et au regard de l’immortalité au Paradis ou en Enfer. Elle n’arrive pas à se frayer un chemin vers son bonheur éternel même si elle est attentive aux voies de son bien-être matériel ici-bas.

Le terme ” ‘amâa ” (cécité absolue) est cité dans le Coran trente-trois fois, dont trois concernent la vision sensorielle. Trente fois pour signifier l’aveuglement du cœur.

Ces facultés communes de vision et d’ouïe s’enrayent et ne remplissent plus leur fonction, c’est alors que la personne entend sans écouter, voit sans trouver son chemin.

Ceci quand la condition du négateur intervient entre lui et les illuminations de la Révélation, et que le doute lui coupe toute connexion avec les sources de la seule audition considérée.

S’adressant à son Messager Mohamed, paix et salut sur lui, Dieu qu’Il soit glorifié décrit la condition des négateurs : ” Il en est parmi eux qui te prêtent l’oreille. Est-ce que tu ferais entendre les sourds quand bien même ils sont incapables de comprendre. Il en est parmi eux qui dirigent vers toi le regard. Est-ce que tu guiderais les aveugles sur le droit chemin quand bien même ils sont incapables de voir . (1)

Ceux-là arrivent à voir et à entendre tout ce qui relève du monde matériel, mais restent ” sourds, muets, aveugles, sans profondeur dans le raisonnement comme les décrit le Coran (2).

Dans l’ordre réel des choses et sur une perspective d’éternité, la raison se dévalorise et déchoit au rang bestial en rejetant la Révélation, en disputant la souveraineté à son Seigneur et en se prenant en toute arrogance et orgueil pour une divinité.

Elle s’avilit au point qu’elle en arrive à revendiquer fièrement son animalité et à se réclamer glorieusement de son origine simiesque.

Dieu exalté soit-Il, décrit les sourds muets aveugles qui ne comprennent pas :

Oui Nous avons effectivement reproduit pour l’Enfer un grand nombre parmi les djinns et les humains. Ils ont des cœurs avec lesquels ils ne saisissent pas le sens profond des choses, ils ont des yeux avec lesquels ils ne voient pas et ils ont des oreilles avec lesquels ils n’entendent pas. Ceux-là sont tels les bestiaux ou plutôt plus égarés encore. Ceux-là sont les négligents.(3)

Ils ont effectivement des cœurs, mais seulement ceux du muscle de chaire qui tombe malade de l’opulence excessive de la civilisation, des plaisirs gloutons de la table, et des soucis de la vie moderne tumultueuse. Cadence de vie infernale qui pousse l’individu dans la spirale délirante de la quête du gagne-pain.

Ils n’ont point les cœurs capables d’appréhender la Révélation, ni les oreilles organes d’écoute de la Révélation, ni les yeux de perception par la lumière de la Révélation.

Ceux-là sont tels les bestiaux ou plutôt plus égarés encore. Ceux-là sont les négligents.(4)

Ce sont ceux-là que Dieu a maudits. Ils les a alors rendus sourds et a rendus leurs yeux aveugles. Ne méditent-ils donc pas sur le Coran ou est-ce que certains cœurs portent leurs propres cadenas ? (5)

Des cœurs scellés, cachetés, sur lesquels des verrous et des cadenas ont été posés. Verrous et cadenas produits par l’entêtement, l’arrogance et la futilité simiesque.

C’est le lot de tous ceux qui souf­frent de l’hypertrophie des fonctions cérébrales et de l’as­sèchement corollaire de l’organe où réside le sentiment

C’est à partir de Dieu, à partir de la reconnaissance inconditionnelle de Sa souveraineté que la raison sera véritablement libérée de la tyrannie des idées terriennes…

A la raison sont données les capacités de découvrir les lois qui président au fonctionnement du créé sensible. Au cœur sont révélés d’autres principes dont la raison peut constater la présence mais non comprendre la raison et la fonc­tion par ses propres moyens.

Ce n’est que par sa soumission aux lois qui régissent l’univers que la raison a accompli les prouesses techniques et scientifiques que nous connaissons. Ce ne sera que par sa soumission aux lois morales et spirituelles révélées aux hommes par le canal des Prophètes de Dieu depuis Adam, notre père, que la raison trouvera sa plénitude.

D’après l’ouvrage “Mihnat al-‘Aql al-Muslim” de  Abdessalam Yassine

 

(1)Sourate Younous versets 42-43

(2)Sourate al-baquara verset17

(3)Sourate al-a‘raaf verset 179

(4)Sourate al-a‘raaf verset 179

(5)Sourate Mohamed versets 23-24

 

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