Le pouvoir et la liberté

Ce sont là deux entités antinomiques comme l’ombre et la lumière. L’ombre dans son paroxysme peut plonger le monde dans une nuit de ténèbres sans discernement ; de même, le pouvoir despotique plonge le monde dans un obscurantisme n’ayant que peu le sens des vérités. La lumière quant à elle peut éblouir le monde et le plonger dans une sorte d’hallucination en blanchissant toutes les couleurs ; la liberté, poussée à l’extrême, plonge le monde dans l’illusion en le dépourvoyant de tout sens de relativité.

Le monde survit dans un assortiment savant des deux. Le jeu de l’ombre et de la lumière peut créer des tableaux extraordinaires. La lumière, comme la liberté, encourage la vie et le mouvement; l’ombre, comme le pouvoir, rassure, sécurise et protège.

Parler de pouvoir, c’est parler de liberté. Lorsque l’une s’étend, l’autre se rétracte et vice-versa. La similitude entre l’ombre et la lumière montre la complexité de la chose. Elle montre aussi que le dosage des deux composants doit avoir pour objectif de rendre la vie utile et agréable pour tous.

Le pouvoir n’est pas que politique. Il l’est de moins en moins depuis qu’il migre progressivement de son champ traditionnel de débat et de concertation pour s’allier, dans des sphères privées, à la richesse et la passion de dominer. Les grandes questions sociétales ne sont plus du ressort d’assemblées publiques qui se contentent aujourd’hui de valider des lois élaborées ailleurs.

Si le pouvoir est une passion humaine, la liberté est un vœu. Comment la passion des uns achève-t-elle le vœu des autres ? De tous ?

Il s’agit des transferts de pouvoir. Une action consentie qui se révèle aussi anodine que dangereuse. On la trouve dans tous les domaines de la vie. On transfère le pouvoir d’éduquer à une école, le pouvoir de défendre ses droits à un syndicat, de représenter ses idéaux à un député et ses intérêts à un cabinet d’avocats, de se soigner à un médecin, d’investir à des banques, de s’exprimer à un journaliste, de comprendre à un expert… Notre pouvoir se trouve ainsi distribué dans l’objectif de mieux le rentabiliser.

A l’autre bout de l’opération, que se passe-t-il lorsque quelque part une masse de pouvoirs s’accumule ? En physique, il est connu, grâce à Albert Einstein, que lorsque la masse augmente incommensurablement, les lois newtoniennes communes qui régissent notre entourage ordinaire ne sont plus valables. Il semble qu’il en est de même pour la physique sociétale lorsqu’une masse critique de pouvoir se concentre dans un milieu social réduit. Les vérités s’en trouvent déviées, voire englouties par la masse puissante comme un rayon de lumière emprisonné par la force de gravité d’un trou noir.

C’est le cas de la classe politique qui se reproduit en se détachant des vœux du peuple d’où elle puise sa légitimité. Dans la présidentielle française, les candidats des primaires élus par le biais de suffrages universels se trouvent discrédités et poussés à la disqualification par leur propre « famille » politique en faveur de candidats parfois synthétiques fabriqués de toute pièce.

C’est le cas aussi des médias de masse. Tel un écran géant qui monopolise l’attention car censé relater la réalité, toute la réalité, rien que la réalité. Il devient un miroir déformant qui modèle la mesure des faits à la guise des intérêts de groupes industriels privés. Sans parler des banques dont les capitaux rivalisent avec les revenus d’états corrodés par une privatisation à profondeur stratégique.

L’accumulation du pouvoir installe d’une part un phénomène de bulles de savon. Les plus grosses bulles absorbent les plus petites, puis les bulles les plus grosses qui ne s’alimentent plus, éclatent, jusqu’à anéantissement de la mousse. Le pouvoir attire le pouvoir jusqu’à l’éclatement. Dans le monde d’aujourd’hui il n’y a de place pour les petits que dans la perspective qu’ils alimenteront les plus grands : les groupes industriels, les grands partis, les banques centrales …

D’autre part, le tissu sociétal s’en trouve en torsion et sous tension au risque d’une déchirure. Les marges de libertés s’en trouvent réduites par manque d’élasticité. La pensée, l’économique et le politique s’uniformisent pour matcher de façon optimale les intérêts du pouvoir. On devient bon gré mal gré, par la force des choses, dénués de liberté, esclaves.

Si les transferts de pouvoir sont utiles à la base, car l’individu ne peut pas tout faire par lui-même, comment peut-on faire pour éviter la tentation de l’accumuler et le centraliser. L’idée serait d’empêcher la concentration du pouvoir, tous types confondus. Plusieurs schémas peuvent être proposés dans ce sens. Sur le plan citoyen on parle de démocratie participative. On peut privilégier les petites exploitations agricoles et les petites entreprises à taille humaine. Privilégier les coopératives à la place des grandes usines.

Néanmoins la granularité des solutions qui consistent à porter les garanties de réussite sur des segmentations structurelles est largement en deçà de la finesse du problème. La passion du pouvoir trouve sa racine à l’intérieur de l’être humain ainsi que son vœu de liberté. C’est là que le monde que nous cherchons doit naître. Dans une reconnaissance mutuelle, pouvoir et liberté travailleront main dans la main pour le bien de tous.

Cela aurait pu être une bonne fin poétique de ce texte. Mais il y a une suite.

Le mot-clé est la redistribution du pouvoir. Il ne s’agit pas là d’une procédure administrative mais bien d’une conviction individuelle intime qui déteindra sur les institutions et les modes de fonctionnement. Or, aujourd’hui la tendance est d’investir son pouvoir pour en avoir plus. L’élu qui brigue un mandat pour en avoir un autre ou un plus important. L’actionnaire qui investit son argent pour en avoir plus. Le savant qui continue à apprendre pour se distinguer plus.

Redistribuer consiste à se fixer un seuil de suffisance et distribuer le reste. Le distribuer n’est pas forcément s’en déposséder mais peut-être  faire en sorte que le pouvoir qui en résulte revienne aux autres s’ils en font bon usage. « La moitié du savoir consiste à reconnaître son ignorance » dit-on dans le domaine du savoir. En effet, cela laisse de la place pour construire une vérité plurielle qui prévaut sur les vérités individuelles.

La suite de ce texte serait de décrire cet être humain qui, allant à contre-sens des passions humaines, arrive à redistribuer des pouvoirs en sa possession. Sa découverte serait équivalente à la découverte d’une source d’énergie durable, capable de faire tourner des cycles de vie sur terre comme le soleil impulse le cycle de l’eau dans la terre.

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