Pour un débat serein sur la place de l’Islam dans la République (1/2)

Ce qui est en jeu aujourd’hui  pour  la France comme Etat et comme société, pour son présent et son avenir, est loin de se réduire aux polémiques politiciennes à visée électoraliste, à la surenchère sécuritaire, au va-t’en guerrisme pulsionnel ou à la psychose médiatique autour de l’islam.

Un islam essentialisé comme justification absolu du malaise que vit notre société et comme nouveau bouc émissaire qui, au prix de son ostracisassion/exclusion devient l’instrument d’une réconciliation de façade et le cache misère servant à masquer les contradictions de la société libérale, les incohérences du modèle républicain en actes et l’impuissance du modèle social français face aux forces du capital financier mondialisé,  cet ennemi qui « n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti… »[1]

Un débat de fond s’impose donc dans la véritable tradition française : celle  qui allie  analyse critique et débat authentiquement pluriel, seuls à même de remettre chaque chose à sa juste place et d’en finir avec le confusionnisme voulu et  entretenu pour des raisons à la fois électoralistes de court terme et stratégiques (en lien avec le projet souhaité du choc des civilisations).

Un débat de fond pour réintroduire la grande politique se réclamant de l’intérêt général de la nation  à la place des querelles de clocher et des petites ambitions partisanes. Un débat de fond pour donner un juste sens aux évènements loin des OPA sur les cerveaux  et de  la destruction massive de l’intelligence et la crétinisation des citoyens.

Un débat authentiquement pluriel pour  permettre toutes les remises en cause nécessaires à la reconquête de nos valeurs fondatrices qui ont historiquement fait la force de notre nation et la beauté de son modèle social et de son projet de société.  

Autrement, la simplification à outrance des problématiques complexes de notre pays et le réductionnisme explicatif en vogue ne feront qu’accentuer notre aveuglement collectif, précipiter le pays dans une  impasse paralysante et empêcher l’urgente et salutaire retrouvaille de nos idéaux moteurs – y compris le principe de laïcité -, dans leur positivité féconde et leur effet unifiant et fédérateur.

En un mot, la France a plus que jamais besoin de réintégrer ses valeurs de manière authentique et de se réconcilier avec l’ambition qui a fait sa force et son rayonnement, un modèle  désormais ringardisé et rendu obsolète aux yeux du peuple à force de déceptions successives, de renonciations et de manque de conséquence et de cohérence de ceux qui sont censés l’incarner et le promouvoir.

Et c’est cette toile de fond contextuelle qui doit nous servir de boussole pour poser la question de la place de l’Islam au sein de la République d’une manière sereine. Car effectivement, l’Islam à tort  ou à raison est un sujet de préoccupation majeure, voire d’inquiétude pour une bonne partie de nos concitoyens comme le montrent les récents sondages d’opinion et le révèle le quotidien des musulman(e)s.  

Pour un nous universel 

Il conviendrait, pour dépasser une opposition binaire aux conséquences dramatiques sur les liens symboliques qui sont censés unir les Français dans la diversité de leurs ancrages,  d’admettre de part et d’autre, l’existence d’un véritable problème, un double malentendu en réalité : l’un concerne l’islamité de la France et le second concerne la francité de ses musulmans.

Certes, cette thèse nécessite une analyse complexe que nous ne développerons pas ici. Toujours est-il, que de mon point de vue,  deux malentendus se nourrissent mutuellement dans un engendrement réciproque et creusent le fossé d’incompréhension entre d’une part, une partie de la population (ici les citoyens  français de confession ou de culture musulmane) qui n’assume pas sereinement sa francité pour des raisons complexes et d’autre part, une nation qui n’accepte pas son islamité ou la francité pleine et entière de sa composante musulmane, ce qui revient au même.

On se retrouve alors avec un double problème d’imaginaire non sans conséquences pratiques  sur la réalité du vivre ensemble, le sentiment d’appartenance  et la cohésion de la nation.  Ceci dit, précisons une fois pour toute que loin de nous l’idée de renvoyer dos à dos les protagonistes de cette réalité, à savoir les citoyens de confession ou de culture musulmane d’un côté et l’Etat et ses institutions de l’autre.

Résultat des courses : pour les musulmans, un imaginaire individuel  et communautaire qui n’intègre pas sereinement et pleinement la nation dans son habitus[2], et pour la nation un imaginaire collectif qui n’intègre pas l’islam en son sein bien au contraire il l’en exclu comme synonyme d’étrangeté, d’ailleurs, du lointain et dans un contexte de crise telle que nous vivons aujourd’hui  comme ennemi intérieur et cinquième colonne !

Intégrer l’islam dans l’imaginaire collectif français

Notre thèse est que le malaise identitaire  grandissant que vit notre pays qu’il soit réel ou artificiel,  trouve en partie son origine dans ce constat  qui fut fort bien exprimé par Jacques Berque en ces termes  «  La France, ayant un million de citoyens musulmans recensés, est aujourd’hui, à la lettre, une nation partiellement musulmane. Je le dis avec force : la France doit assumer son islamité, et les musulmans de France doivent assumer leur francité »[3]

Or, force est de constater que la France n’assume pas une part d’elle-même et refuse d’intégrer dans sa superstructure sa part musulmane. Les discriminations structurelles que subissent les populations identifiées comme musulmanes, étrangères immigrées ou arabes c’est selon, sont en partie, le produit objectif d’une superstructure  qui refuse la relative islamité de la France.

La France ne peut pas tenir et fonctionner sereinement et avoir le rayonnement qu’elle mérite que si elle règle la question musulmane dans une perspective globale et dans une stratégie d’apaisement et d’inclusion.

Autrement dit, la menace/piège  qui guette la France, c’est que sa politique, ses lois et  son idéal, se construisent contre cette présence  et en opposition à  cette réalité démographique et sociologique qui caractérise la France d’aujourd’hui.

Il est donc  urgent, à l’heure où la relation des musulmans à l’Etat et à la société est systématiquement remise en cause sur le mode de la suspicion et de l’incompatibilité absolue, de se poser les questions dans le sens inverse et d’interroger le rapport de la France à l’égard de sa composante musulmane et de l’islamité partielle de son identité.

Car si la République comme idéal clamé, ne reconnaît en principe que des citoyen(ne)s supposés tous égaux en droits, en devoirs, sans aucune hiérarchisation et  fixe la fraternité qui transcende les particularismes  comme horizon pour la société, force est de reconnaître le poids de la réalité d’un système à deux vitesses au sein duquel certains  français ont moins de droits que d’autres.

Ce traitement spécifique à l’endroit d’une partie de la population culmine en un déni de francité et de citoyenneté comme droit d’accéder au débat démocratique sur un pied d’égalité avec toutes les composantes de la société. Les politiques publiques sont conçues depuis plusieurs décennies d’une manière entièrement dogmatique et tristement crispée.

Sur le plan symbolique, elles produisent une forme d’« excommunication laïque », une humiliation de masse qui vient se greffer à l’exclusion sociale, au déracinement et à la dislocation du lien social.

Or, la jonction de ces deux formes de rejet, à savoir l’excommunication symbolique et l’exclusion économique, constituent le terreau propice au développement d’une défiance dangereuse à l’égard de la nation et de la société.

 


[1] Discours de François Hollande candidat aux présidentielles de 2012

[2] J’utilise le mot ici dans son sens premier définissant  «  une manière d’être, une allure générale, une tenue, une disposition d’esprit.. »

[3] Jacques Berque, Quel Islam ?, Sindbad/Actes Sud.

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